Isaac bénissant Jacob, huile sur toile deGerrit Willemsz Horst (1638). Dulwich Picture Gallery, Londres.
Le père, le fils aîné, qui suit fidèlement les commandements de son père et ne le quitte pas ; et le deuxième, le fils cadet, le fils prodigue, qui, lassé de sa fidélité initiale, s’éloigne de son père et part à la découverte du monde et de ses séductions.
Le thème de l’enfant prodigue a été apparemment repris de la Bible juive concernant les deux jumeaux Jacob et Esaü. Esaü naquit le premier, suivi immédiatement par Jacob. Les deux passent leur vie à se supplanter l’un l’autre comme en témoigne le récit du livre de la Genèse au chapitre 25, versets 21-35. Comme si dans la fraternité, l’un semble toujours être de trop (thème essentiel de tout le livre de la Genèse). Pourquoi n’y aurait-il qu’un seul fils ? L’amour pour un seul est le chemin que Dieu prend pour qu’apparaisse Son amour pour Tous.
Le récit va être marqué par ce mal originaire des jumeaux qui recherchent sans cesse à la fois dans la rivalité et la ressemblance, une place privilégiée et se heurtent au désir jamais comblé d’être unique. Le narrateur insiste sur tout ce qui les différencie et les sépare, leur physique et leur caractère, mais aussi l’espace où chacun se plaît, et surtout la préférence croisée de chacun des parents pour l’un des deux jumeaux : Isaac pour Esaü, Rébecca pour Jacob (25,28).
Finalement suite à une question de la soustraction de la bénédiction destinée à l’aîné, les deux frères deviennent ennemis et se battent.
Dans la vie régulière, nous pouvons aisément nous identifier à ces deux frères qui rivalisent, se contestent et finissent par lever le bras l’un contre l’autre.
Nous l’avons observé durant les récentes manifestations qui ont balayé le petit État juif d’Israël, lors de l’initiative d’une refonte du système juridique israélien.
Le libéral accusait le pratiquant/religieux d’être une sangsue… un parasite qui vit aux dépends de la communauté libérale et travailleuse.
Le plus grand reproche fait aux religieux se résume en l’absence ou le refus de l’orthodoxe de s’enrôler à l’armée.
La situation s’était aggravée au point de créer une véritable scission entre le juif libéral/agnostique et le juif religieux/pratiquant. Certains, au sein des libéraux/progressistes avaient déjà tenté de suggérer la possibilité de diviser géographiquement le minuscule État en deux : l’un libéral et laïc et l’autre religieux et pratiquant.
Durant toutes ces émeutes persévérantes qui s’étendirent sur plus de six mois, il devint clair que l’alternative de toute scission de ce peuple l’approcherait de sa disparition/dissolution – opportunité qui permettrait à ses nombreux ennemis tapis aux aguets, de l’anéantir, d’en faire une bouchée.
Le dicton qui dit « qu’à quelque chose malheur est bon » s’est avéré comme toujours indéniable, lorsque le Hamas, aiguillonné par l’évidente faiblesse et inconscience d’Israël, se jeta de toutes ses forces, sur la proie endormie qu’était devenue la nation juive. Pour lui, le laïc, le religieux, le vieux comme l’enfant – c’est le juif qu’il voit en eux et rien d’autre, et qu’il faut absolument massacrer. Il passa sans tarder, à l’action… assassinant tout ce qu’il rencontra, même les chiens et les chats, les ânes et les chevaux. C’est dire à quel point sa haine du juif est immense, incommensurable, indescriptible… Et dire que ces juifs qu’il vient de massacrer, lui ont ouvert leurs portes, lui ont offert un gagne-pain, une dignité, un souci pour ses petits, pour leur avenir, pour ses malades qui se faisaient traiter aux frais de l’État juif… C’est énorme, c’est démentiel, c’est barbaresque.
Il faut être un monstre pour décapiter un bébé dans son landau… Il faut être sans cœur pour ouvrir le ventre d’une femme enceinte et lui arracher son embryon…
Mais passons – ce paragraphe m’est particulièrement pénible pour m’y attarder.
Retournons aux deux frères : Le risque de mort est bien là avec la menace explicite d’Esaü : « Je tuerai Jacob, mon frère », lien de fraternité qu’Esaü nomme alors pour la première fois. Contraint à la fuite, Jacob se retrouve certes béni, mais seul, sans aucun bien, condamné à l’errance.
Mais l’histoire des deux frères ne s’arrête pas là. Nous les retrouvons vingt ans plus tard, alors qu’à l’appel de Dieu, Jacob revient en Canaan, avec ses quatre femmes, ses onze fils, à la tête d’une caravane de femmes, enfants, serviteurs et troupeaux. Apprenant qu’Esaü marche à sa rencontre à la tête de 400 hommes, Jacob retrouve intacte la peur face à son frère, comme si rien n’avait changé au cours de ces années. Il organise la caravane pour apaiser son frère en envoyant devant femmes et enfants, en groupes successifs. Et c’est à la veille de la rencontre, alors que Jacob se retrouve seul, de nuit, au bord du fleuve Yabboq, qu’a lieu le fameux combat, combat dont il sortira blessé et transformé, fort d’un nouveau nom qui dit une nouvelle identité, non plus « celui qui supplante », mais celui qui « lutte avec » à visage découvert, fort aussi d’une bénédiction reçue et non volée.
La rencontre des deux frères est magnifique, elle inverse les rôles issus du vol de la bénédiction : Jacob arrive devant son frère Esaü en se prosternant devant lui, comme un vassal devant son suzerain, mais c’est en frère aimant qu’Esaü se jette à son cou, et leurs larmes communes signent leur réconciliation. Jacob pose les dernières armes de la rivalité fraternelle en offrant à son frère la bénédiction qu’il lui avait volée : « reçois donc de moi ma bénédiction (berakha) qui t’a été apportée » (33,11). Chacun peut enfin retrouver sa juste place pour qu’une relation pure et fraternelle puisse s’instaurer. L’inversion annoncée entre le grand et le petit, puis programmée dans les premiers épisodes du récit, est maintenant dépassée. La mort d’Isaac ne verra donc pas la vengeance d’Esaü s’assouvir (Gn 27,42), mais au contraire elle rassemblera une nouvelle fois les deux frères enfin réunis dans une même affection fraternelle et un même lien filial : « Isaac mourut… et Esaü et Jacob ses fils l’ensevelirent » (Gn 35,29).
Et c’est justement cette rencontre que je veux décrire aujourd’hui plus que jamais.
Je la reconnais en ces orthodoxes qui viennent proposer leurs bras à l’armée israélienne et c’est eux aussi qui se sont attelés à préparer des repas chauds aux soldats, et que nous pouvons voir partout dans les hôpitaux, auprès des ambulances, des blessés, faisant les dernières prières aux victimes – corps calcinés qu’ils devaient identifier dans le silence et le respect.
C’est surtout ces bras ouverts de ces hommes, les uns avec leurs papillotes et les autres avec leurs grades militaires, qui s’enlacent et se remercient, reconnaissant finalement leur fraternité indivisible…
J’ai vu en eux Jacob et Esaü enlacés…
Il faut enterrer à jamais les ruines du passé et regarder avec plus de de confiance et de foi notre avenir puisque béni par l’amour de la fraternité, béni par l’Éternel lui-même.
AM ISRAËL HAY
Thérèse Zrihen-Dvir
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Merci pour cette page fort riche et instructive, je vois qu’il me reste encore beaucoup à lire et à apprendre sur les mythes intemporels qui peuvent nous éclairer sur les événements
le fils prodigue et son père alité ?
c’est un carquois qu il a sur le dos?
je vous recommande le livre de Daniel Rops, « la palestine au temps de jésus »