Djihad : la guerre sans fin ?

Djihad ! Le mot résonne aujourd’hui comme le condensé de tous les actes de terreur impulsés par l’islam. Si le djihad est bien, étymologiquement, « un effort tendu vers un but déterminé »[1], par sa consécration religieuse comme « guerre sainte », il attire dans son champ sémantique les mots de la lutte (qîtal) ou de la guerre (mukatala ou harb), sur plus de 220 versets, tandis que les verbes « combattre » ou « tuer » figurent dans plus de 300 versets.

Le djihad est-il soluble dans l’exégèse philosophique ?

Certains prosélytes de l’islam n’hésitent pas à présenter le djihad comme un art de la guerre précurseur du « droit international humanitaire »[2], quitte à travestir un verset décisif : « Combattez (tuez -les ) dans le chemin d’Allah et ne transgressez pas. Certes, Allah n’aime pas les transgresseurs » (2, 190) qui devient : « Combattez dans la voie de Dieu contre ceux qui vous feront la guerre. Mais ne commettez point d’injustice en les attaquant les premiers, car Dieu n’aime point les injustes. »[3]

Leurs prédécesseurs, dès le IXe siècle, comme les Soufis,  ont préféré découper le djihad en plusieurs parties, distinguant entre un « djihad majeur », effort purement intérieur, et un « djihad mineur », effort de guerre dirigé vers l’extérieur . D’éminents penseurs de l’islam distinguèrent jusqu’à quatre djihads, comme Averroès [4] ou Ibn Al-Qayyim[5], ces catégories de djihads étant elles -mêmes subdivisibles en sous-parties… Et encore, toutes leurs savantes divisions ne se recoupent pas !

Aucune de ces arguties données pour approches philosophiques de l’islam ne réprouve ni n’abolit le concept de djihad= guerre sainte », mais elles s’y juxtaposent sans y toucher. 

Ainsi, bien des mystiques soufis de l’islam ont-ils pu s’illustrer sans problème dans la pratique guerrière du djihad[6] !

Quel sont les buts du djihad ?

• Le triomphe de l’islam sur tout autre religion: « Combattez les infidèles jusqu’à leur soumission et que l’islam seul règne » (2, 193)
• Le butin : « Mangez donc de ce qui vous est échu en butin, tant qu’il est licite et pur. » (8, 69)
• L’anéantissement des mécréants : « … afin qu’Allah purifie ceux qui ont cru, et anéantisse les mécréants ».( S. 3, v. 141)
• La récompense des martyrs « … afin qu’Allah reconnaisse ceux qui ont cru, et qu’il choisissse parmi vous des martyrs. » ( S. 3, v. 141)
•  La conquête : Combattant à la foi pour leur profit et pour une cause bien établie, les Compagnons du Prophète et leurs successeurs firent main basse sur des territoires de plus en plus vastes. Ils laissaient aux autochtones le choix de la conversion ou de la mort. Par exception, les Gens du Livre, chrétiens ou juifs, se voyaient octroyer un choix supplémentaire, celui de la dhimmitude. Le djihad devint effort de conquête, avançant par violence ou par traités d’alliance, répits toujours provisoires.

Qui doit accomplir le djihad ?

Le djihad n’est pas englobé dans les Cinq piliers de l’islam, il n’est donc pas un « devoir individuel » pour le croyant. Cependant, lorsque le chef politique (calife, imam, autorité reconnue) lance un appel à la Oumma (communauté des croyants), parce que le dar al islam (territoire de l’islam) est attaqué, le djihad considéré comme un « devoir communautaire », se transforme en « devoir individuel ». Alors…« Ne sont pas égaux ceux des croyants qui restent chez eux – sauf ceux qui ont quelques infirmité – et ceux qui luttent corps et biens dans le sentier d’Allah. Allah donne à ceux qui luttent corps et biens un grade d’excellence sur ceux qui restent chez eux. Et à chacun Allah a promis la meilleure récompense; et Allah a mis les combattants au-dessus des non combattants en leur accordant une rétribution immense »(4, 95).

A partir de cet instant, le croyant qui se soustrait à cet appel au djihad n’est qu’un « hypocrite » voué à l’Enfer[7] . Plus généralement, « celui qui meurt sans avoir combattu dans le sentier d’Allah et sans avoir exprimé le désir de combattre pour le djihad meurt de la mort d’un hypocrite. » (Muslim, livre 020, numéro 4696).

Tandis que le croyant qui meurt en martyr en faisant le djihad est accueilli au Paradis, sans passer par le Jugement. Mais, selon plusieurs hadiths, une fois au Paradis, ce même martyr brûle de recommencer : « Aucune personne qui meurt et trouve le bien d’Allah ne souhaiterait revenir en ce monde, même s’il lui était donné le monde entier et quel que soit ce qu’il contient, excepté le martyr qui, au vu de la supériorité du martyre, aimerait revenir au monde et tuer encore. »( Bukhari,volume 4, livre 52, numéro 53).

Quels sont les moyens du djihad ?

Très tôt (IX- XIIe siècle), bien avant Machiavel, les conseillers des califes, secrétaires, vizirs, lettrés, ont consacré des chapitres entiers à l’art de la guerre, dans des livres connus sous le nom de « Miroirs aux princes »[8] , la Sîra, vie de Mahomet, leur ouvrant la voie.

   TOUS les moyens sont bons pour accomplir le djihad :

• les armes (« tout ce que vous pouvez comme force» (8,60),
• l’argent («dépenser ses biens dans le sentier d’Allah » (2, 261),
• la propagande (chez ’Averroès c’est le « djihad de la langue »),
• la terreur (« jeter l’effroi dans les coeurs des mécréants » (4, 151),
• la taqîya , en toute occasion : pour cela , il est bon de surprendre l’ennemi avant qu’il ne se prépare, à l’imitation de Mahomet qui déclare «  La guerre c’est la ruse »  (al-Boukhari, 3029 et Mouslim, 58).

Contre qui le djihad est-il justifié ?

Théoriquement, le djihad contre « ceux qui font la guerre contre Dieu et son Prophète » est la seule forme de guerre concevable en islam. Sont visés TOUS les non-musulmans.

La lutte entre musulmans est interdite. Mais il suffit alors de considérer les ennemis du jour comme de mauvais musulmans, des « infidèles » qui s’ignorent (chiites contre sunnites).

Il va de soi que l’apostat, le blasphémateur, le satiriste entrent également dans cette catégorie des « ennemis d’Allah« . Leur assassinat est alors pleinement licite, et même recommandé, comme en témoigne, entre autres récits semblables, ce récit d’Ibn Ishaq[9], destiné à servir l’apologétique de Mahomet :

« Il y avait une femme du nom d’Asmâ bint Marwan, du clan des Banu Khatma. Elle faisait des vers particulièrement insultants pour le Prophète de l’islam. Quand ces vers furent rapportés à Mahomet, il dit tout haut : « Est-ce que personne ne me débarrassera de la fille de Marwan ? » Il y avait là un homme du clan de la poétesse, Omayr Ibn Adi. (…) Le soir même, il s’introduisit chez elle. Elle dormait au milieu de ses enfants. Le dernier, encore au sein, sommeillait sur sa poitrine. Il la transperça de son épée et le lendemain alla trouver l’Envoyé de Dieu. Il dit : « Envoyé de Dieu, je l’ai tuée ! ». « Tu as secouru Allah et son Envoyé, ô Omayr » répondit celui-ci. Omayr demanda : « Est-ce que je supporterai quelque chose à cause d’elle, Envoyé d’Allah ? » Il dit : « Deux chèvres ne choqueront pas leurs cornes pour elle.»(…) Le jour après l’assassinat de Bint Marwan, les hommes des Banu Khatma devinrent musulmans, parce qu’ils avaient vu la puissance de l’islam. »

   L’assassinat politique et même le djihad intra-familial ne sont donc pas à écarter : « Ô vous qui croyez! Ne prenez pas pour alliés, vos pères et vos frères s’ils préfèrent la mécréance à la foi. Et quiconque parmi vous les prend pour alliés… ceux-là sont les injustes.» (9, 23).

Quand cesse le djihad ?

  Tant que les pays non-musulmans, dar al harb = « terres de la guerre », ne sont pas devenus  dar al islam = « terres de paix par la soumission à l’islam » … le djihad doit se poursuivre. « L’obligation au djihad persiste tant que l’universalité de l’islam n’est pas réalisée. La paix avec les nations non musulmanes est donc un état provisoire, seules sont autorisées des trêves dont la durée, en principe, ne doit pas dépasser dix ans »[10]

C’est en position d’infériorité, que la trêve se justifie. « Que les croyants ne prennent pas, pour alliés, des infidèles, au lieu de croyants. Quiconque le fait contredit la religion d’Allah, à moins que vous ne cherchiez à vous protéger d’eux. Allah vous met en garde à l’égard de Lui-même. Et c’est à Allah le retour. » (3, 28)… En position de supériorité, la trêve est une faute : « Ne faiblissez donc pas et n’appelez pas à la paix alors que vous êtes les plus hauts, qu’Allah et avec vous, et qu’Il ne vous frustrera jamais [du mérite] de vos oeuvres. » (47, 35).

Allah se plairait-il donc à engager ses créatures, aussi bien Ses combattants que Ses ennemis (8, 59 et 60) -ennemis qu’il a lui-même choisi d’égarer car il « égare qui il veut » ( 6, 39)- dans une Guerre sans fin ?

[1] Encyclopédie de l’islam, Brill, réédition 2005, p. 551

[2] Abdekkadr ARBI, « « Djihad, une guerre « juste » codifiée », in Inflexions, 2008/2, pp. 141 à 144, mis en ligne sur Cairn.info le 21/06/2019.

[3] Makram ABBES, « Réflexions sur la guerre en Islam », pp. 2019-133,  Extrême-Orient Extrême-Occident 2014, pp. 2019-133,  mis en ligne le 01 janvier 2017.

[4] Pour Averroès , il y a quatre djihads : celui du cœur, celui de la langue, celui de la main, celui de l’épée.

[5] Pour Ibn Al-Qayyim, il y a le djihad contre son ego, contre Satan, contre les infidèles , contre les hypocrites.

[6] En Algérie et en Libye, l’émir Abd el-Kader ainsi que les membres de la famille royale Senoussi constituent des figures majeures du soufisme ET du nationalisme arabe.

[7] Voir Agathe RABIER, « Enfer et contre tous », in Résistance républicaine, 11 octobre 2023, https://resistancerepublicaine.com/2023/10/11/islam-enfer-et-contre-tous/

[8] Les premiers Miroirs des princes, sont ceux d’Abd al-Hamid Ibn Yahya et d’Ibn al-Muqaffaa. L’un des plus célèbres, Le conseil aux rois, est composé par Al-Ghazali à la fin de sa vie, au tournant du XIIème siècle.

[9] Ibn Ishaq (704- 767) in Sira Rasul-Allah, le premier corps biographique ancien sur Mahomet.

[10] Encyclopédie de l’islam, p.552

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