Je monterai dans la lune, j’y retrouverai Socrate et Galilée…
Comment ne pas frissonner en écoutant cette déclaration d’amour à la science, à la raison, au courage, ce refus de l’obscurantisme ? Quand je dis « au courage » je fais allusion bien sûr à la fin de Socrate qui, condamné à mort, refuse de s’évader alors qu’il en a la possibilité, parce qu’il a passé sa vie à répéter qu’il fallait respecter les lois de la Cité, reste dans sa prison où il passe ses derniers instants en philosophant avec ses amis jusqu’au moment où, la cigüe faisant son effet, il ne peut plus parler et s’éteint.
Vous avez compris, amis lecteurs, que mon coup de coeur dominical est pour Cyrano de Bergerac, celui d’Edmond Rostand, filmé par Rappeneau avec Gérard Depardieu dont on ne commentera pas l’évolution comme homme qui ne nous intéresse pas ici mais avec Gérard Depardieu, le prodigieux acteur qui a joué un prodigieux Cyrano de Bergerac.
C’est l’une de mes pièces de théâtre préférées, découverte alors que j’avais 14 ou 15 ans, j’ai été subjuguée, une rencontre majeure dans ma vie, j’ai compris ce qu’était le courage, la liberté, l’abnégation et, surtout, l’indépendance qui vous fait préférer crever de faim plutôt que de vous soumettre au joug d’un médiocre, fût-il comte ou marquis. C’est pour cela que, quand Pierre Cassen a fondé Riposte laïque et m’a demandé de faire partie des rédacteurs, et que toute l’équipe cherchait un pseudo pour le signataire de l’édito hebdomadaire, j’ai proposé Cyrano. 😉
J’ai vu jouer Cyrano de Bergerac sur scène au moins une dizaine de fois dans ma vie, et ce qui m’a plus enthousiasmée, marquée c’est l’adaptation cinématographique. Un bijou. Un diamant.
Il y a, bien sûr, dans cette pièce, plusieurs passages d’anthologie qui vous font frissonner, pleurer, qui ne vous laissent pas indifférent.
Le début, lorsqu’un Cyrano prodigue et prodigieux jette le contenu de sa bourse qui devait le faire vivre 6 mois aux acteurs qu’il a empêchés de jouer par refus de l’acteur principal ayant commis l’outrage de poser les yeux sur bien-aimée de Cyrano, Roxane.
La fameuse « tirade du nez ». I4
Le non moins fameux duel « à la fin de l’envoi, je touche ». I4
Et un bouquet de passages qui vous émeuvent, vous fascinent, vous transportent et vous transforment.
Mais mon préféré et qui me fait pleurer à chaque fois bien que je le connaisse par coeur, c’est la fin et de la pièce et de Cyrano. Acte V scène 6.
Je suppose que tous nos lecteurs connaissent la pièce, je rappellerai juste à ceux qui auraient un peu oublié que Cyrano au long nez est tombé fou d’amour pour la belle et précieuse Roxane, sa cousine, qui s’éprend du beau Christian… qui a peu d’esprit et qui, se rendant compte qu’il ne pourra pas garder la précieuse, demande à Cyrano de lui faire les discours et lettres d’amour. Christian meurt alors qu’il vient de se rendre compte que, en fait, Roxane aime celui qui lui écrit et veut lui avouer la vérité. Par respect pour le mort, Cyrano se tait et se contente de rendre visite chaque samedi à Roxane, dans le couvent où elle s’est retirée. On vient d’apprendre que Cyrano à qui son intransigeance et sa plume moqueuse ont fait des ennemis a été touché mortellement par un pot de fleurs jeté du haut d’un étage… Cyrano vient faire ses adieux à Roxane, elle découvre qui il est et que c’est lui qu’elle aime. Trop tard, il va mourir…
Ah ! Cette fin sublime où il déclare avec un « panache » inégalé la guerre à tous ses ennemis, lâcheté, compromis, mensonges, préjugés, sottise…
C’est, je crois ce qui nous anime tous, les Résistants, si seuls, dépourvus de tout et qui, pourtant, continuons, préférant mourir en Cyrano qu’en lâches ou en collabos.
On ne se bat pas dans l’espoir du succès, non, non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile
Non! non! c’est bien plus beau lorsque c’est inutile!
— Qu’est-ce que c’est tous ceux-là?–Vous êtes mille?
Ah! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis!
Le Mensonge?
(Il frappe de son épée le vide):
Tiens, tiens!–Ha! ha! les Compromis!
Les Préjugés, les Lâchetés!. . .
(Il frappe):
Que je pactise?
Jamais, jamais!–Ah! te voilà, toi, la Sottise!
— Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas;
N’importe: je me bats! je me bats! je me bats!
(Il fait des moulinets immenses et s’arrête haletant):
Oui, vous m’arrachez tout, le laurier et la rose!
Arrachez! Il y a malgré vous quelque chose
Que j’emporte, et ce soir, quand j’entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J’emporte malgré vous,
(Il s’élance l’épée haute):
et c’est. . .
(L’épée s’échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.)
[**Roxane:*] (se penchant sur lui et lui baisant le front):
C’est?. . .
[**Cyrano:*](rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant):
Mon panache.
Rideau.
A savourer, joué par Depardieu qui, dans cette scène, touche au sublime.
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Oh combien vrai… j’adore Rostand et pas uniquement Cyrano qui est son chef d’œuvre le plus connu mais aussi l’ Aiglon et plus…c’est de la vraie littérature, de l’art aérien, du panache, de l’élégance .. la quintessence de l’esprit Français que l’on n’enseigne plus à cette jeunesse décérébrée, gavée de culture à deux balles, de hamburger frelatés, de traductions minables d’oeuvres médiocres anglo saxonnes qui ont oublié Shakespeare ou Byron.. oeuvres qui sont choisies pour leur farcir l’esprit de propagande Orwellienne et les détacher de cette culture grandiose que le monde a admiré durant des siècles
Madame, vous exprimez admirablement tout ce que je ressens à la re-re-lecture de cette pièce. Le film avec J Weber était magnifique celui avec G Depardieu encore davantage.
Cyrano de Bergerac c’est la quintessence du théâtre français avec l’œuvre d’Edmond Rostand adapté au cinéma par Jean Paul Rappeneau avec un Gégé Depardieu aussi magnifique !
Cyrano de Bergerac c’est la quintessence du théâtre français avec l’œuvre d’Edmond Rostand adapté au cinéma par Jean Paul Rappeneau avec un Gégé Depardieu aussi magnifique et talentueux en citant cette célèbre tirade !
Pour le pseudo du signataire, chère Christine, vous avez eu du pif. Merci pour cet instant plein de poésie dans ces moments difficiles. Du coup j’ai le cafard. Ce cauchemar n’aura donc jamais de fin?
Grand merci à toi Christine. Et de glisser dans ton récit ce que tu aimes et t’es précieux.
Nous avons les mêmes goûts!, j’espère que vous avez vue les autres versions filmées, elles valent toutes leur pesant d’or: celle du téléfilm en 1960 avec Daniel Sorano, celle de Mel Ferrer en 1950 et celle de Claude Dauphin en 1945, toutes trois sorties en dvd et qui ,à mons sens, sont mieux réussies que celles de Rappeneau. Cyrano de Bergerac a réellement existé, il était écrivain lui aussi, ses textes sont pleins de critiques acerbes et parfois de cynisme. Son oeuvre la plus connue reste: « Histoire comique des etats et empires de la lune », de la science fiction au 17 ème siecles! Merci pour cet instant culture.