Milly ou la terre natale
[…]Fait rare pour une maison d’écrivain, cette dernière a été toujours été habitée après le départ de son illustre propriétaire, qui fut contraint de la vendre en 1860. Quand il l’a léguée, Alphonse de Lamartine avait demandé au nouvel occupant, un ancêtre de la famille Sornay, que lui et ses descendants préservent de génération en génération cette atmosphère romantique, une promesse que la famille a toujours su tenir. « C’est à Milly que s’est forgée son âme d’enfant, d’adulte et de poète. Son enfance heureuse, ici, s’est avérée déterminante pour la suite », témoigne Catherine Sornay, copropriétaire des lieux avec son frère Philippe Sornay.
[…]Le parc situé à l’arrière de la maison présente lui aussi beaucoup d’intérêt. Au bout d’un petit chemin, encadré de hauts cèdres que le poète avait ramenés de son voyage au Liban, apparaît un banc de pierre sur lequel le jeune Alphonse passait des heures à griffonner ses premiers vers. Un cadre idyllique pour le poète et qui l’inspirera toute sa vie, comme en témoignent quelques vers de Confidences[…]
Pour ce coup de coeur dominical je voudrais dire et redire cet extrait du magnifique poème, si romantique, si émouvant, de Lamartine que tous les gens de mon âge ont appris, dit et connaissent encore, j’en suis sûre, tant la musique, les mots choisis, les images qui surgissent sont prenantes et ne souffrent pas de pensées polluantes.
Et, surtout, ces mots qui font naître en nous nostalgie du passé, rappellent des moments de bonheur de l’enfance et, c’est là la magie de la littérature, nous permettent de dire ce que nous ne sommes pas capables d’écrire car nous ne sommes pas Lamartine.
Ce sont les 4 quatrains précédant de nombreuses et très longues strophes pour évoquer le regret du pays natal dans un très long poème « Milly ou la terre natale ». A rapprocher de Du Bellay qui, au XVIème siècle évoquait son petit Liré… Il faut dire que le thème des « Regrets » est un incontournable de la littérature occidentale depuis les Grecs, célébré, d’une autre manière, par Ulysse allant de Charybde en Scylla, bravant tempêtes, magiciennes, dieux et autres Cyclopes pour retrouver Pénélope, Télémaque et surtout Ithaque… la vie, le retour au pays.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.
XXXXXX
Lamartine est éloigné de Milly, le village où il a passé son enfance (en Saône et Loire, du côté de Mâcon). Il en a la nostalgie. Il n’est pas né à Milly mais à Mâcon mais il y a passé son enfance. C’est donc l’enfant du pays, et en 1902 Milly est devenu Milly-Lamartine.
Milly ou la terre natale
Dans son brillant exil mon coeur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d’un ami.
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide,
Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide,
Et, leur urne à la main, s’entretenaient du jour,
Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?…
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Le poème de Joachim du Bellay réveille chaque fois en moi le souvenir du collège à la fin des années 60, et surtout de la haute stature de notre professeur de langue française M. François Robreau, un curé angevin défroqué, reconverti dans l’enseignement et royaliste dans l’âme, qui nous récitait tout le temps ce joli poème de son compatriote. Comme il était un amoureux des belles lettres, il nous avait fait apprendre un autre poème, d’un auteur algérien et dont les envolées mélancoliques sont à rapprocher de ceux Joachim du Bellay et de Lamartine :
Extrait :
Je connais sous les ponts à l’écoute du fleuve
L’impassible dialogue et les mornes questions
Que se pose un maudit à qui manque la preuve
Qu’il est juste pour lui de dormir sous un pont
Verrai-je un nouvel an aux couleurs de cerise
La rue blonde au pavé d’un jour du mois de mai
Et vers le Djebel Ouach quand bavarde la brise
Tous ces rêves noyés d’un lac aux yeux fermés
(Malek Haddad)
Merci. Très beau poaime !
Vraisemblablement ce qui pousse des millions de migrants à venir en Europe c’est un désir mimétique : le grand René Girard en parlerait mieux que moi …
« Le désir mimétique est une théorie unitaire élaborée par René Girard exploitant un seul et même mécanisme, l’imitation, pour expliquer un grand nombre de phénomènes humains. Il développe ses analyses dans plusieurs domaines : psychologie, anthropologie, sociologie, culture, etc. »
Ceux qui veulent détruire les « cultures » en nivelant les différences ne savent même pas qu’ils détruisent en fait ce qui fait qu’un humain se sent « habité » par ce qui lui est cher et le « constitue ».
Pour humaniser ils dé-humanisent, il serait temps qu’ils commencent à réfléchir à la nuisance de leur idéologie mortifère de « sauveur ».
« Que font/sont donc ces millions d’immigrés qui arrivent chez nous, abandonnant ce qui, forcément, les fait vibrer, chanter, les rend heureux ? Qui les manipule à ce point que la perspective de manger Mac Do les pousse à ce déchirement, à la disparition d’une part d’eux-mêmes ? »
Vous avez touché là Christine, une part du problème dont on ne parle jamais mais qui est réel, « profondément » réel. Ceux qui croient les aider en leur faisant miroiter un un idéal qu’ils n’atteindront jamais, n’imaginent même pas qu’ils les préparent à une vie d’errance et de vide. J’en ai eu des témoignages de certains là depuis des années, séparés de leur famille et de leurs racines sans pouvoir construire quelque chose qui pourrait leur faire retrouver une part d’eux-mêmes laissée au pays.
C’est tellement vrai, qu’à l’étranger, ceux d’une même culture ont tendance à se regrouper et à reformer des communautés qui se ressemblent.
Il y a 60ans, j’étais en classe de ‘Poésie’ (seconde, gréco-latine) et j’ai eu comme sujet de dissertation francaise ces deux merveilleux vers de Lamartine.
Je ne sais ce que j’ai bien pu écrire, mais je me souviens de ce moment de réflexion intense. Ces vers font, depuis lors, partie de mon bagage.
merci : ces deux phrases magnifiques m’ont fascinée moi aussi, et m’ont déculpabilisée de mon attachement à certains objets familiers que je pensais anormal – Lamartine est l’un de nos poètes intimistes les plus attachants, un magicien des mots : que dire aussi de ses vers émouvants sur « le livre de la vie est le livre suprême etc.. etc.. » : en quelques phrases il résume tout le sens de l’existence : inoubliable et tellement vrai – c’est cela la beauté de notre pays que certains voudrait voir balayer
Bonjour,
Merci pour cette belle récitation.
Ma grand-mère aussi, souvent, disait ces deux derniers vers , mais je connaissais pas, honte à moi, leur origine.
Quant à l’indifférence à sa civilisation d’adoption :
je suis très touché par François Cheng, d’origine chinoise, arrivant à Assise et se disant en substance :
« C’est ce que j’ai cherché toute ma vie » …
Tu as raison, aurais-tu envie de nous faire un petit article pour dimanche prochain résumant l’itinéraire de François Cheng et donnant à lire un passage consacré à Assise ?
Bonjour,
Je ne connais pas son oeuvre.
Mais j’avais été très touché par ce qu’il expliquait.
Venir de si loin pour épouser notre civilisation, cela m’avait, oui, ému.
Pas de problème je viens de commander Assise si ça plaît j’en ferai un coup de coeur dimanche prochain ou le suivant
Bonjour,
Oui, il faudrait que je le lise aussi …
Ayant habité Charolles pendant quelque temps, j’ai fait un pèlerinage en ces lieux, aussi le château de Saint-Point-le-Lac,l’Hôtel Lamartine à Mâcon. Le poète est parti, il reste les souvenirs. Chaque fois que je relis ces vers, la nostalgie m’envahit, j’entends des bruits de pas, l’eau qui s’écoule de la fontaine, le murmure de la vie et du temps qui passe. Merci pour ce très joli article qui embellit un bien triste dimanche, pluvieux et triste. Mais la poésie se nourrit aussi de mélancolie et de tristesse. Encore merci!
« la mélancolie, c’est le bonheur d’être’ triste ». Sacré Hugo !