NOSTALGIE D’AUTOMNE, SQUARES ET JARDINS SOUS LE VENT OU LA PLUIE. LE TEMPS S’ENFUIT, LE TEMPS S’EN VA.
L’automne est là. Les feuilles des arbres rougissent, se parent d’or et tombent, virevoltant dans le vent d’automne, les cheminées commencent à fumer, envoyant telles des sémaphores des messages énigmatiques vers le ciel.
Ce matin, j’ai ouvert la fenêtre de mon petit bureau-bibliothèque, qui donne sur la campagne. La vallée de l’Eure était toute empanachée de brouillard, et seuls les croassements des corbeaux perçaient le silence minéral de la nature alentour. La nostalgie qui émanait de ce spectacle familier a fait remonter des souvenirs à ma mémoire.
Je me souviens. Lorsque mes parents habitaient Paris même, dans les années 50, avant que nous ne migrions vers la Banlieue, ma mère m’emmenait au square, véritable oasis de verdure en pleine capitale. Comme nous avons résidé dans plusieurs arrondissements, du dix-huitième, en passant par le onzième et le dixième, et un peu plus, j’ai pu ainsi visiter un certain nombre de ces espaces de verdure, dont j’ai oublié le nom. Seules me restent quelques images, celle du vendeur de ballons multicolores, du marchand de glaces, ou de confiseries, des vieux gardiens moustachus et chenus, souvent des anciens combattants à l’époque, chargés de surveiller leurs domaines, d’ouvrir et de fermer les grilles de l’entrée. Un joueur d’orgue de Barbarie aussi. Les mamans installées sur des bancs, tricotant ou devisant, surveillant leur progéniture du coin de l’œil. Des personnes âgées venant se réchauffer au soleil.
J’ai toujours été spécial. Je préférais ces jardins en automne, lorsque la pluie venait de tomber, lorsque les feuilles chutaient au sol en tourbillonnant, lorsque le vent soufflait, murmurant mille mots à mon oreille juste pour moi. J’ai toujours eu besoin de nature, de solitude. Pour moi, tout était chargé de mystères, de poésie. La beauté d’une flaque d’eau où se reflètent les nuages est sans pareille. J’aimais voir les pigeons venant à mes pieds quémander un peu de nourriture. J’ai toujours eu de l’affection pour les animaux. Je n’étais pas chien, je partageais mon goûter avec eux. C’était un tout un drame lorsqu’il fallait rentrer.
Cette manie des jardins publics ne m’a pas quitté. Lorsque j’étais pensionnaire, le jeudi, mon correspondant venait me chercher au lycée, me donnait royalement une pièce de deux francs et me lâchait dans la nature. Le correspondant, un vague ami de mon père, était supposé me distraire ce jour-là. C’était un ivrogne invétéré. Il ne voulait pas s’embarrasser de ma personne. Comme avec deux francs, on ne peut aller très loin, je filais au square où je passais l’après-midi. J’emmenais toujours un bon livre et je passais le temps en dévorant un roman de Georges Duhamel ou d’Anatole France, et en grignotant quelques cacahuètes achetées à l’entrée. J’ai même lu Léon Bloy. À dix-sept heures, je passais chez mon mentor pour qu’il me ramène. J’ai passé là des moments formidables, surtout en automne.
Plus tard, j’ai effectué un séjour d’un an dans la capitale à l’occasion d’un stage professionnel. Je suis arrivé un premier septembre. Mes collègues préféraient passer leurs journées de repos à boire dans les bistrots, ou à l’occasion dans des endroits mal famés, que la décence m’interdit de nommer. Chacun aura compris. Moi, je filais au jardin du Luxembourg. L’automne était là. Je m’en souviens encore. Que de beauté en ces lieux, même teintée de tristesse en ces jours languissants. Il est vrai que j’ai un caractère plutôt pessimiste, en proie à la mélancolie, parfois, souvent. Je me complais dans la nostalgie. Là, j’existe vraiment. Heureusement que je n’ai pas vécu à l’époque de Baudelaire, Verlaine; j’aurais succombé avec eux aux charmes de l’absinthe et de la confiture verte.
De nombreux poètes ont chanté l’automne. Quelques vers de Francis Carco me reviennent en mémoire. Une strophe particulièrement.
Dans le jardin du Luxembourg,
Les feuilles tombent par centaines
Et j’entends battre le tambour
Tout en courant la prétentaine
Parmi des ombres incertaines
Qui me rappellent nos amours.
Ou encore Apollinaire :
Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son bœuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et besogneux
Et Verlaine :
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Et tant d’autres…
Dont votre serviteur, en toute modestie.
SPLEEN D’AUTOMNE, écrit un jour de cafard.
Faudra-t-il que tu t’en souviennes,
De ces heures sombres, lointaines,
De ce si profond désespoir
Qui nous broyait seuls dans le noir.
Les horloges scandaient, hautaines,
L’angoisse qui m’étreint encore
Et dans ma tête et dans mon corps,
Faudra-t-il que tu t’en souviennes?
On entendait dans la ruelle,
Qui s’échappaient du vieux café,
Des bruits de voix , des ritournelles.
L’existence, c’est de la peine,
C’est de la mort prématurée,
Faudra-t-il que tu t’en souviennes?
Comme dit mon épouse : « Quand on a lu ton sonnet, on a envie de se jeter sous les roues d’un train ou de se flinguer. »
Amitiés à tous et à toutes.
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Dès le début , j’ai reconnu la patte d’Argo.
C’est qu’il aime écrire le bougre !!!
Et il a un certain talent !
Merci pour cette superbe ballade, Argo .
ADMIRABLE Argo ! Je me reconnais totalement dans ce merveilleux article. Moi, c’était les Tuileries. Je m’y inventais des mondes extraordinaires, des aventures improbables. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle……
Ami Argo, tu n’es pas seul dans ton cas. Merci pour ton beau texte.
J’ai cueilli ce brin de bruyère
l’automne est morte souviens t-en
nous ne nous verrons plus sur terre
odeur du temps brin de bruyère
et souviens toi que je t’attends
Guillaume Apollinaire
Moi aussi j’aime les bois, leurs odeurs, les bruits de la nature…. Malheureusement aujourd’hui, une femme n’est plus en sécurité de s’y promener seule.
Et l’odeur des bois et sous-bois après la pluie ! Aucun flacon ne pourra la restituer.
🌦🌳
Grand merci Argo pour ces endroits de toi où la beauté se cache. Se cachait ! Comme nous tous, tiens bon. Et tel que tu es ! Dans l’amitié.
Quel bel article ! Quel poésie, ami Argo, j’en suis tout ému.
Tes impressions poétiques me touchent particulièrement car je les ressens comme toi.
Cette louange à l’automne est merveilleuse et pleines d’émotions. Merci !