À Versailles, Louis XIV fait grise mine. Ses jeux d’eau dans les jardins ne durent que trois heures. La seule consommation des fontaines et des jets d’eau s’élève à 32 292 muids, soit 9500 m3 du précieux liquide. Ni le détournement des eaux de la Bièvre ni la machine de Marly sur la Seine n’y pourvoient. Plusieurs projets sont élaborés pour alimenter le château et le parc. Le premier, en 1674, sur une idée de Riquet, prévoit de détourner les eaux de la Loire. Les frères Francine, fontainiers du monarque, envisagent de capter les eaux de l’Essonne.
Heureusement, il n’y fut pas donné suite, car, plus tard, il fut démontré que ces cours d’eau se situaient à un niveau inférieur à celui du palais.
En août 1684, Sa Majesté fait une déclaration qui va bouleverser la Cour. Les eaux de l’Eure vont être conduites à Versailles. Les belles dames se pâment, et les courtisans d’applaudir. Des études sont réalisées. Philippe La Hire, mathématicien, physicien et titulaire de quelques autres titres, sous la direction de Louvois, surintendant des bâtiments, découvre que l’Eure est plus élevée à la hauteur de Pontgouin (petite localité d’Eure-et-Loir) à 80 km de Versailles, que le château d’environ 80 pieds, soit 27 mètres. Louvois espère des quantités d’eau comprises entre 50 000 et 100 000 mètres cubes par jour. Il fait appel à Vauban, qui se fait prier avant de se rendre à Versailles. Le ministre finit par le convoquer pour lui confier le chantier. Vauban se met au travail, effectue des relevés. Hélas!
Notre homme propose une canalisation enterrée, moins onéreuse, une sorte d’aqueduc rampant, c’est- à -dire un siphon en conduites métalliques qui franchirait la vallée en suivant le relief. L’orgueil du souverain a dû en prendre un sérieux coup sur la pipe. Quoi! le Roi-Soleil enterrer ses réalisations comme un vulgaire Vulcain. Que nenni, il refuse. Louvois, tout à la gloire du roi et de la sienne propre, souhaite une alternance de canalisations et d’aqueducs pour le franchissement des vallées. Vauban, toujours grincheux, critique le projet. L’ouvrage est trop massif et manque de largeur pour que l’eau s’écoule correctement. Il propose de le redessiner en réduisant le volume de la maçonnerie et en l’élargissant. Le projet est lancé.
Les pierres viennent d’Épernon, de Gallardon. Pour les charrier jusqu’à Maintenon, on canalise la Voise et la Drouette. On commande en Auvergne des chalands spéciaux. D’Angleterre parviennent les gros tuyaux en plomb, par le cours de l’Eure, canalisée pour l’occasion. Et je vous passe l’inventaire des brouettes, charrettes, pioches, pelles nécessaires. Pas moins de 30 000 hommes sur ce chantier pharaonique, dont 20 000 soldats. Les effectifs sont décimés. Blessures, dysenterie, décès par accidents. Le roi, après deux ans de travaux, passe les troupes en revue. Constatant l’ampleur du désastre, il envoie les dragons, célèbres par leur dureté, et double les effectifs de l’infanterie.
Une brave femme, qui a perdu son fils sur le chantier, apostrophe le souverain et l’injurie quelque peu. Louis la fait arrêter sur le champ et lui fait donner le fouet. On peut admirer au passage la magnanimité de ce grand roi; ce n’est pas lui que l’on surnommera le Bien-Aimé.
Deux ans plus tard, en 1688, c’est une hécatombe. La dysenterie sévit de plus belle. Louvois lui-même a la fièvre. La Cour se déplace. Le roi ne peut présenter aux belles dames de Versailles les colonels commandant les régiments. Presque tous sont au lit! De nouveaux renforts sont envoyés, les régiments de Champagne et du Maine, habitués à la boue et aux intempéries. On creuse enfin des puits pour ravitailler les hommes en eau potable.
Mais en août 1688, il faut abandonner le chantier. Trop de malades, trop de morts. Le major général des troupes de la vallée de l’Eure est révoqué. Il a failli à son devoir. Et puis, le roi est reparti pour la guerre, contre la ligue d’Augsbourg, et il a besoin de Vauban, et de ses troupes. Le chantier Vivote encore un peu avec quelques équipes civiles de Maintenon. Les fonds manquent, le cœur n’y est plus. Le chantier est abandonné. C’est la fin du rêve. Les eaux de l’Eure n’arriveront jamais à Versailles. Un rêve coûteux en vies humaines et en livres sonnantes et trébuchantes.
On peut retrouver sur le terrain, encore de nos jours, les vestiges de ce rêve grandiose mais dispendieux. On peut voir les traces du canal dans le parc du château de Fontaine-la-Guyon, puis à Dallonville et à Chartainvilliers, dans de petites vallées comme l’Arche-du-Mulet, ou à Brosseron. Le siphon entre Berchères et Théléville, la grande arche et les terrasses, immense remblai de terre qui barre la plaine jusqu’à Maintenon sont toujours visibles. Et bien sûr les vestiges de l’aqueduc de Maintenon. L’aqueduc fut en partie démantelé pour servir de pierres de réemploi. L’architecte de madame de Pompadour, Cailleteau dit Lassurance, utilisa des moellons de l’aqueduc pour la propriété de Crécy-Couvé appartenant à la marquise. Ce même Lassurance participa aux travaux de l’Hôtel d’Évreux, aujourd’hui palais de l’Élysée. Des pierres de cet aqueduc ont été aussi employés pour la construction du séminaire Saint-Charles à Chartres.
L’aqueduc de Maintenon a été classé au titre des monuments historiques en 1875. Les deux entonnoirs en 1934.
Madame de Maintenon demanda un dédommagement au souverain pour nuisance visuelle, car le monument obstruait le point de vue depuis son château. L’Histoire ne dit pas si elle fut dédommagée. Louis lui fera tout de même cadeau de l’encombrant monument.
Ironie du temps, l’aqueduc, aujourd’hui bien vieilli, a pris des allures d’ouvrage d’art de l’époque romaine et s’intègre parfaitement dans le panorama. L’Histoire a de ces revirements!
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Excellent, originale, et instructif moment de l’histoire. Avec notre ami Argo on n’en apprend toujours, et du passionnant.
Quand on se trouve dans un pays sans opposition, on a affaire aux plus grandes cruautés. La France (et de nombreux autre pays bien sûr) ont vécu dans les siècles passés dans des monarchies, lesquelles ne sont que des régimes dictatoriaux nazis sans tenir compte de la valeur humaine.
On a toujours beaucoup de mal à réaliser que les régimes démocratiques existent depuis peu de temps. Mais les gens s’habituent très vite et ces abrutis finis de français pensent que parce qu’elle existe depuis deux générations elle existera toujours.
L’expérience du salaud Macrocescau qui a voulu revenir à des régimes de privation de liberté, a été récompensé en ayant été remis au pouvoir. Il n’y a que ceux qui ont quelques neurones dans le crâne qui comprennent qu’il faut défendre ce type de régime. Déjà si le dictateur Macronescau ne peut plus imposer toutes ces saloperies c’est parce qu’il en a perdu la majorité absolue des gentils petits soldats qui lui obéissaient à la lettre.
très interressant on croirait du Marc Menant
Bonjour,
Merci, Argo, pour cette belle histoire !
Les aqueducs romains ont été solidement achevés , ils ont servi longtemps et sont toujours en place.
Pourquoi tous ces décès lors de la construction de celui de Louis XIV ?
Une épopée quelque peu piteuse, pas digne du grand roi Louis.
Si ça vous intéresse il faut aller voir :
– Les écluses de Boizard dans la forêt à coté de Pongouin. C’est l’endroit où devait se situer la captation de L’Eure. Il y a des restes des écluses devant servir à détourner l’eau.
– L’Arche de la vallée à Berchères-la-maingot. On peut y voir une grande tunnel maçonnée au dessus d’une minuscule rivière et un siphon gigantesque tel que l’avait imaginé Vauban que l’on peut parcourir à pied. A visiter l’été quand la rivière est à sec.
– Les étangs de Hollande dans la forêt de Rambouillet. Ces étangs devaient servir de régulateurs pour le débit de l’eau envoyé à Versailles.
– Le long de la N10 on peut voir à intervalles réguliers des petits édifices qui sont des regards pour les fontainiers car le canal est toujours utilisé entre Rambouillet et Versailles.
Bonjour @napoleonkom ;
Merci pour ce plaisant complément d’informations.
Voilà où mène la folie des grandeurs des dirigeants.
Bonjour @Julie ;
Aujourd’hui, ça en ferait hurler plus d’un pour plusieurs raisons.
IMG : « Louis XIV devant l’aqueduc long de 17 km (Huile sur toile de Hubert Robert, vers 1778, musée de Chartres) »
http://falainlecomte.free.fr/autres/Acqueduc_Maintenon.jpg
Bonjour @Argo ; Superbe article ; merci! – Quelques images, plans et compléments très intéressants à propos du « Canal LouisXIV », ou « Canal de l’Eure » avec GEOCACHING
◙ https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9ocaching%5D
– Selon Chateaubriand, « Les aqueducs romains ne sont rien auprès de l’aqueduc de Maintenon, ils défileront tous sous un de ses portiques »
1°).- IMAGE : Photo-montage de ce qu’aurait pu être l’aqueduc de Maintenon, selon les projets excluant les siphons : Hauteur 73 m, longueur 995 m (Pour mémoire, le Pont du Gard est haut de 48 m, et long de 275 m).
◙ GEOCACHING.com : https://tinyurl.com/2p8h38zd
2°).- CACHE geocaching : Virtual Reward – 2017/2018
•► Cette cache virtuelle fait partie d’une série limitée créée entre le 24 août 2017 et le 24 août 2018. Seuls 4 000 propriétaires de caches ont eu la possibilité de créer une telle cache virtuelle. En savoir plus sur les Virtuelles Rewards sur le Blog
◙ GEOCACHING.com : https://tinyurl.com/ytu5s6s3
Merci pour ce voyage !
Je me suis aperçu d’une faute d’accord : employés au lieu d’employées. Je m’en excuse auprès des puristes. J’ai rédigé mon texte entre deux séances de lasurage de mes volets. La fatigue ou l’inattention…
L’article est superbe ! Mille mercis.