Hommage à Jean-Louis Trintignant, un géant très discret

C’était au cinéma UGC, rue de la Convention, à Paris. Ne cherchez pas, il n’existe plus : comme le Kinopanorama, cet autre géant disparu. Été 1983, je vais donc au cinéma sans idée précise de ce que j’avais envie de voir. Privilège des petits Parisiens de l’époque : le cinéma n’était pas cher et le choix était vaste. Là, je repère une affiche, avec ce titre : La Crime. Un film de Philippe Labro où Jean-Louis Trintignant campe un ministre véreux qui a au moins l’élégance de se suicider comme il faut plutôt que d’aller au procès ; à méditer, Messieurs-dames du pouvoir ! En peu de scènes, Trintignant montrait alors toute la maîtrise de son jeu ; ici d’une violente efficacité.

Formant d’abord un couple malheureux avec l’incandescente et volage B.B. – qui captait à elle seule la caméra – dans le film de Roger Vadim Et Dieu… créa la femme, Trintignant sera surtout l’homme qui aimait une autre femme – Anouk Aimée –, sur une musique de Francis Lai et devant la caméra de Claude Lelouch : Un homme et une femme.

Né en 1930, dès l’âge de trente ans il joue, sous la direction d’Abel Gance, dans Austerlitz, aux côtés de Jean Marais, Martine Carol, Orson Welles, Claudia Cardinale et bien entendu l’excellent Pierre Mondy dans le rôle de Napoléon. Un Pierre Mondy qu’il s’agirait de ne pas réduire à La Septième Compagnie !

Trintignant est un géant du cinéma qui aura eu maintes fois l’occasion de le prouver. Et ce, très tôt, notamment dans le film implacable et quasi documentaire de Costa-Gavras, Z. Un Costa-Gavras avec qui il avait déjà collaboré dans Compartiment tueurs.

Fort de son talent – reconnu et maintes fois récompensé –, Trintignant sera dirigé par des metteurs en scène qui trouveront en lui un comédien capable de tout jouer, sans affectation ni excès, endossant des personnages tantôt attachants, tantôt distants, voire cyniques, mais toujours avec ce maintien aristocratique qui lui conférait une présence, là où d’autres ne sont que des ombres ennuyeuses. Aussi exigeant que fluide dans son jeu, il oscillera du cinéma intimiste d’Éric Rohmer (Ma nuit chez Maud) au grand spectacle mis en scène par René Clément dans Paris brûle-t-il ?

Trintignant restera très lié à ce cinéma français si inventif et sur lequel le monde entier posait alors les yeux avec envie. Autre temps… Il en était d’ailleurs une incarnation majeure, au même titre que des Jean-Paul Belmondo, Yves Montand, Michel Piccoli, Lino Ventura, etc., tous partis aujourd’hui. Tout comme est partie, depuis quelques années déjà, Romy Schneider, avec qui Trintignant joua dans Combat dans l’île, d’Alain Cavalier, Le Train, de Pierre Granier-Deferre et La Banquière, de Francis Girod. Mais c’est sur le tournage du Train que ces deux-là connurent une passion amoureuse comme Romy savait les provoquer. Car avec elle rien n’était tiède, pas plus l’amour que son jeu inégalé à ce jour. Passion qui s’acheva brutalement, à l’image de la tragédie du film. Trintignant préféra revenir auprès de ses enfants et leur mère Nadine, réalisatrice qui l’avait dirigé au cinéma et qui partirait, à son tour, vers d’autres cieux amoureux. Là n’est pas le plus terrible…

Trintignant, loin de vivre sur ses acquis, prendra jusqu’au bout des risques avec des films plus expérimentaux comme Bunker Palace Hôtel, d’Enki Bilal – prodige de la bande dessinée passé à la réalisation. Il abordera même la science-fiction avec Malevil, cet ovni post-apocalyptique de Christian de Chalonge, avec qui il avait déjà tourné L’Argent des autres, un film sur le milieu (déjà !) gangrené des affaires.

Trintignant saura de même reconnaître le talent incroyable de Jacques Audiard – fils du fameux Michel et l’un des désormais très rares réalisateurs français dignes de ce nom ! – en jouant sous sa direction dans Regarde les hommes tomber et Un héros très discret. On se souviendra aussi de Ceux qui m’aiment prendront le train, de Patrice Chéreau, homme de théâtre comme Trintignant qui aura interprété aussi bien Ionesco que Shakespeare, pour ne citer que ceux-là. Mention spéciale pour sa parfaite et sobre interprétation d’un magistrat à la retraite qui s’amuse à écouter les conversations téléphoniques de ses voisins dans Trois Couleurs : Rouge, de Krzysztof Kieślowski.

Trintignant ne rechignait pas non plus à se frotter au cinéma populaire. On le verra même dans l’un des Angélique – Merveilleuse Angélique –, cette série pour jeunes filles audacieuses lorsque les plus prudes en restaient à Sissi ! Voir son interprétation  pince-sans-rire du commissaire Duché dans Le Grand pardon, d’Alexandre Arcady, imitation française réussie du Parrain de Francis Ford Coppola, sans toutefois égaler le modèle :

En ce temps-là, la marque des grands c’était aussi de jouer dans des polars. Trintignant n’échappa donc pas à la règle, entre autres avec son rôle de tueur dans Flic Story, de Jacques Deray, traqué par un Alain Delon au sommet lui aussi.


Notons ce film adapté d’un roman de Françoise Giroud et racontant l’histoire d’un Président de la République à la double vie qu’il s’agit de dissimuler à tout prix : Le Bon Plaisir, de Francis Girod. Rappelons que le film est sorti en… 1984, soit en plein règne mitterrandien ! Audacieux…

J’en viens au plus terrible, pour finir. Car, comment ne pas penser à l’immonde Bertrand Cantat qui a massacré la fille de Jean-Louis Trintignant, Marie – avec qui le père était monté sur les planches peu avant sa mort –, et n’a écopé pour ça que d’une peine dérisoire tout en continuant à ouvrir sa grande g… et pousser à l’occasion la mère de ses enfants au suicide ? Pour moins que ça, Jacques Mesrine – que je n’ai jamais particulièrement affectionné, soit dit en passant – s’est retrouvé comme une passoire, porte de Clignancourt, un jour de novembre 1979. La mort de Marie anéantira définitivement Jean-Louis dont on ne peut qu’espérer qu’il a enfin retrouvé sa fille…

Adieu Jean-Louis et merci d’avoir aussi bien piloté – toi le passionné de courses automobiles – ta carrière pour nous, qui ne t’oublierons pas…

Charles Demassieux

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5 Commentaires

  1. Un acteur que j’adorais pour sa grande sensibilité. Mais quelle déception d’apprendre en écoutant Samesi dernier, la rediffusion d’un vieil entretien- je crois sur Europe1- dans lequel il avouait avoir aidé le FLN pendant son service militaire en Algérie de 1956 à 1958 !!!…Décidément, on est trahi que par les siens…mais bon, cela n’enlève rien à sa qualité de grand acteur du bon Cinéma français.

  2. Les grands acteurs sont partis, les réalisateurs aussi, enfin presque tous. Ne reste que le menu fretin avec des films dits intimistes ou nombrilistes. Le vrai cinéma est mort, le nouveau cinéma m’emm. ne me fait plus rêver.

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