DIMANCHE CINEMA
Le plan du casse est discuté
En 1953, on savait causer !
Un vocabulaire qui aujourd’hui vaudrait la taule à son auteur !
À la veille de la guerre d’Algérie, les Nord-Africains font déjà partie du paysage et vont remplacer les Corses.
Auguste Le Breton, l’auteur du polar qui a inspiré le film tourné deux ans plus tard dépeint le basculement en des termes qui ne passeraient pas aujourd’hui !
« Ces bics !… Y se croyaient tout permis. Emballaient les gonzesses sans même chercher à savoir si elles étaient maridas. Se demandaient même pas s’il y avait une amende en suspens à verser à un homme.
Les crouilles qui vivaient à Paris avant guerre, eux, oui, ils respectaient le code.
Mais les nouveaux débarqués… Depuis la Charbonne, ils avaient fait tache d’huile. Le Barbès d’abord. Après, en loucedé, ils avaient pris du galon, Anvers, Pigalle, Blanche, Clichy. À présent, ils attriquaient la plupart des bottes, des bars, des hôtels de Montmartre. Les Corses, dans le temps les caïds du secteur, avaient presque passé la pogne. Incroyable. Maintenant, les troncs se risquaient jusqu’à l’Opéra, les Champs-Élysées. Où s’arrêteraient-ils ? »
Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes, 1953
Bande -annonce :
Casting : Jean Servais dans le rôle principal , Robert Hossein, Pierre Grasset, Janine Darcey, Robert Manuel, Carl Möhner.
Synopsis
Tony Le Stéphanois est sorti il y a quelque temps de taule. Il est tubard et raide côté oseille. Son aminche Jo le suédois vient le tirer d’une partie de poker où il s’est fait repasser par trois caves son dernier fifrelin. Jo le voyant dans la panade lui propose un coup pour se refaire. Dans un troquet il lui présente Mario Ferrati un rital sapé façon milord qui lui propose de se faire la vitrine d’en face remplie de joncaille. En deux coups les gros c’est pesé et emballé qu’il dit. Mais le Stéphanois ne veut pas risquer de se faire enchrister pour ballepeau. Il dit banco mais pour vider le coffiot et en loucedé, la noye quand le populo est dans les torchons…
Critique
Jules Dassin poussé hors des Etats-Unis par la chasse aux sorcières en 1949 et dénoncé par Edward Dmytryk en tant que sympathisant communiste, s’exile en Europe. Il tourne un premier film en Angleterre « Les forbans de la nuit » (« Night and the city« ) (1950). Ce n’est que 5 ans plus tard qu’il put tourner en France ce film (interdit en Amérique).
Adaptation d’un roman éponyme, d’Auguste Le Breton, inventeur du mot rififi. C’est lui qui a sorti l’argot et le verlan (il l’écrivait : verlen) du mitan pour le populariser par la littérature dans ses romans noirs.
Jules Dassin n’était pas particulièrement friand du folklore linguistique de Le Breton, mais comme il fallait bien se nourrir et ne pas perdre la main en ces temps difficiles pour lui, il accepte de tourner cette adaptation du roman. Beaucoup des effets de langages des voyous sont gommés dans le film.
Jules Dassin avec un budget quasi anorexique (pas de tête d’affiche dans la distribution) fait des prouesses de mise en scène, et donne à ce film un aspect quasi documentaire qui influencera c’est à n’en point douter Jean-Pierre Melville. Dans « Le deuxième souffle » (1966) on retrouvera quelques ingrédients, pour ne pas dire recettes, de ce film.
Notamment cette scène du casse relaté dans ses moindres détails, ainsi que la description des ingéniosités déployées par les malfrats pour limiter les bruits (Ah le coup du parapluie!). En cela il reprend ce qu’il avait mis au point dans ces films noirs précédents et notamment ses films hollywoodiens.
La photographie est magnifique et les décors de Alexandre Trauner permettent de cacher le budget famélique du film.
Mais le film est aussi un modèle de scénario réussi. Touffu et prenant de bout en bout, le spectateur a de la matière à se mettre dans la dent creuse.
Si Robert Manuel surjoue en gangster italien, Jean Servais est impérial dans ce qui est sûrement son meilleur rôle au cinéma. Il est digne des Jean Gabin et Lino Ventura des grands jours.
Ce film est devenu un des premiers classiques français du thriller. C’est aussi un superbe voyage dans le Paris des années 1950.
Excellente musique de Georges Auric qui envoûte le film.
La scène d’anthologie
La longue scène de quasi une demi-heure sans dialogue, (juste des bruitages), du casse de la bijouterie minutieusement mise en image.
Le film reçoit le prix de la mise en scène au festival de Cannes.
Location 3 € ici
Ou sur https://www.gaumontclassique.fr/ (200 classiques pour 50 €/an)
Pigale…
C´est une rue, c´est une place,
C´est même tout un quartier,
On en parle, on y passe,
On y vient du monde entier.
Perchée au flanc de Paname
De loin elle vous sourit,
Car elle reflète l´âme
La douceur et l´esprit de Paris
Dans un cabaret, années 1950
Le vrai Pigalle c’est bien sûr avant tout celui du sexe et de la nuit, sans lequel Pigalle n’aurait pas existé, et qui explique pourquoi il n’existe plus.
Éros et Thanatos …
Étroitement surveillés par « la mondaine », les voyous locaux quitteront le quartier dans les années 1970, quand la drogue deviendra plus rentable que l’exploitation des femmes.
L’Abbaye de Thélème, 1 place Pigalle [sur la photo : La fête foraine]
Photo Ed Clark 1945-1946
Après la guerre, le quartier vit la prostitution s’accroitre encore. « Le Chapiteau » devint « La Fête Foraine », puis « Les Naturistes ».
Plus de Jazz en ces lieux, mais des Revues nues et des « Strip shows », comme partout dans le quartier. « Les Naturistes », c’était selon sa publicité « la Revue la mieux déshabillée de Paris ».
Dans les années 60 et 70, ce furent l’arrivée des sex-shops et des « Peep-shows ». Les Naturistes fermèrent, l’immeuble fut détruit et reconstruit, puis un restaurant de moules-frites prit la relève. Des riches heures de «l’Abbaye de Thélème », il ne restait rien.
Au 1 place Pigalle, c’est désormais un immeuble quelconque et un supermarché.
http://www.rueducine.com/amy_movie/du-rififi-chez-les-hommes/
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Nostalgie, quand tu nous tiens! Mon Père avait ses bureaux dans le 9ème près de La Trinité C’était l’indicatif de ses 2 numéros de téléphone TRI(nité) Ses affaires se développant il demanda une 3ème ligne dont l’indicatif fut PIG(ale). Tous ses clients transporteurs européens connaissaient ce numéro! Le bon temps des ralations véritablement humaines.
Bonjour,
Un grand merci pour cet article.
Je ne suis pas du tout cinéphile et j’ai découvert ce film à la télévision, où il est passé, il y a quelques mois : je l’ai adoré !
Et pour ma part, je me félicite que: « beaucoup des effets de langages des voyous sont gommés dans le film. » !!
Merci, Jules Ferry, pour ce moment d’émotion. J’adore les films noirs et blancs de cette époque. Chaque fois que je peux, j’en visionne un. J’ai connu ce Paris, le langage de cette époque serait banni aujourd’hui. Mes parents ont habité Pigalle dans le début des années 50. J’étais un enfant curieux de tout, et voyant ces « dames » faire le pied de grue dehors par tous les temps, je demandais à ma mère ce qu’elles faisaient. « Elles attendent leurs maris, me repondait-elle. Comme ce n’était jamais les mêmes hommes qui partaient avec elles, je me doutais bien de quelque chose. Plus tard, j’ai habité ce quartier quelques mois. C’était encore pittoresque mais ça sentait la fin d’une époque.Les Américains surnommaient cet endroit : pig alley. Merci pour ce moment de nostalgie.
Elles attendent leurs maris… Toute une époque ! On sourit et en même temps on est émus. C’était l’époque où on protégeait les enfants des complexités de la vie d’adulte qu’ils découvriraient bien assez tôt, alors qu’à présent il y a une volonté de leur montrer les pires aspects de l’humanité et de les faire passer à l’âge adulte trop vite. Merci à Jules qui m’a rappelé ce film, vu il y a très longtemps. Je viens d’acheter le livre et le film !