Atlantico : La polémique autour du recours massif à des cabinets de conseil, dont McKinsey, commence à polluer la campagne électorale d’Emmanuel Macron. Dans quelle mesure ce fait est-il représentatif de la gouvernance d’Emmanuel Macron ? A quel point la démocratie représentative a-t-elle été malmenée pendant son quinquennat ?
Benjamin Morel : Le sujet n’est pas principalement démocratique. Avec le recours aux cabinets de conseil, on a d’abord un sujet de confiance et d’organisation de l’administration. La gouvernance d’Emmanuel Macron repose sur un paradoxe originel. Il s’agit d’un triomphe de la technocratie qui semble s’émanciper de la tutelle des politiques et des partis, du contrôle militant et du personnel politique. Emmanuel Macron, Alexis Kohler et nombre de ministres incarnent cela. Le triomphe du monde d’après est surtout marqué par la victoire de jeunes technocrates brillants sur leurs aînés ayant suivi le cursus honorum politique classique. D’un autre côté, cette technocratie, surtout issue de Bercy, craint les technocrates. Elle se méfie surtout d’une administration qu’elle semble peiner à maîtriser. D’où l’idée d’un spoil system à la française qui revient comme une antienne lors de ce quinquennat. En même temps, le macronisme ne se donne, au moins au début pas les moyens de tenir l’administration. Pour tenir une administration, vous avez trois instruments. De petits ministères permettant de rapprocher le ministre de son administration : or cela rentre dans un premier temps en opposition avec l’idée qu’il faut moins de ministres… on n’a toujours pas compris pourquoi cette idée s’était imposée dans le débat public. Le second outil est un ministre spécialiste du domaine qu’il contrôle, ça a parfois été le cas, mais pas toujours… Le troisième outil est un cabinet ministériel très spécialisé et compétent jouant efficacement le rôle d’interface et de pilotage entre ministre et administration. La circulaire Philippe de 2017 limite le nombre de conseillers ministériels à dix et les cantonne souvent dans un rôle de communicants. Face à cette situation, la fragilisation de la gouvernance administrative de l’État, couplée avec quelques tensions, notamment avec le SGG, a fini de grever une partie de la confiance. Paradoxalement, le triomphe de la technocratie s’est donc accompagné d’une recherche de ressources à l’extérieur de cette technocratie.
Cela conduit également à interroger les ressources internes de l’État. La fonction publique d’état a été très fragilisée depuis le début des années 2000. La fonction publique territoriale a sur la période a crû de 40%, l’hospitalière de 18% ; seule la fonction publique d’État a vu ses effectifs rognés de 3%. Derrière, il y a les fragilités déjà largement identifiées (Police, Justice, École), mais aussi les missions de prospective. Le symbole évident au vu de la crise que nous avons vécu est la liquidation de l’EPRUS chargée justement de prévenir les crises pandémiques. Le Parlement joue ce rôle, dans une certaine mesure, dans certains pays. Toutefois, le parlement français est l’un des plus faibles du monde occidental et ne dispose pas matériellement des moyens suffisants. Le budget de l’Assemblée est l’équivalent de celui de la commune de Bordeaux, celui du Sénat de celle de Grenoble. Ces chambres ont déjà du mal à internaliser l’expertise législative, elles ne peuvent remédier à tout.
Luc Rouban : L’affaire du recours systématique aux cabinets de conseils n’est effectivement pas anodine. Ce recours n’est pas récent et a véritablement commencé dans les années 1990 sous le gouvernement Rocard lorsque la question de l’évaluation des politiques publiques est devenue un thème central du « renouveau » du service public et de la modernisation de l’État. Un nouveau marché est apparu et les grands cabinets conseils qui œuvraient jusque là dans le secteur privé ont tous développé des départements « secteur public » car c’était un gisement de contrats dont les usages se sont multipliés progressivement. Mais il est vrai que ce recours, devenu systématique à partir de la RGPP de Nicolas Sarkozy et sa fameuse Révision générale des politiques publiques visant à réduire les dépenses de fonctionnement et à restructurer les organigrammes, s’est poursuivi par la suite et a fleuri depuis 2017 comme le montre le rapport de la commission d’enquête du Sénat. L’usage de consultants privés pour réformer l’État ou organiser les politiques publiques était déjà très critiquable sur le terrain des finances publiques car les contrôles qui s’exerçaient sur leur utilité réelle et leur coût étaient faibles voire inexistants.
Mais sous le quinquennat d’Emmanuel Macron le problème est devenu politique. L’usage de ces cabinets est venu illustrer l’indifférenciation entre le public et le privé non seulement dans la gestion de l’action publique mais aussi dans la conception des réformes, comme si la pensée de l’action avait déserté l’État en reléguant les hauts fonctionnaires au rang de gestionnaires techniciens. Et cette indifférenciation est au cœur du macronisme qui entend bien faire sauter la séparation entre public et privé dans la recherche d’une plus grande efficacité gestionnaire. Emmanuel Macron d’ailleurs a clairement défendu cette politique qui remet en cause la distinction entre l’État et les entreprises, distinction qui, en pratique, s’était considérablement amenuisée surtout lorsqu’on étudie les trajectoires professionnelles de certains de ses conseillers, mais qui n’était pas théorisée jusque là.
On touche ici un problème central dans l’interprétation du macronisme. La tentation est forte de dire que le macronisme c’est du néolibéralisme, thème commode et mot valise qui permettent de dénoncer l’affaiblissement de l’État. La réalité, comme toujours, est plus complexe et surtout plus problématique. Pourquoi ? Parce que dans un système néolibéral on privatise tout ce que l’on peut privatiser, y compris les hauts fonctionnaires (comme au Royaume-Uni) qui sont alors recrutés sur des contrats de droit privé puis évalués comme des cadres dirigeants du privé. Un modèle néolibéral implique des contrôles très stricts non seulement en termes d’efficacité ou de légalité mais également en termes déontologiques. Ici, on garde le modèle étatique classique très tolérant avec le pantouflage et les allers-retours entre public et privé et on organise la confusion entre l’État et les acteurs privés au coup par coup, ce qui fait qu’on perd sur les deux tableaux : d’un côté, l’indifférenciation entre public et privé génère la défiance que les Français éprouvent à l’encontre des autorités politiques nationales suspectées de ne pas défendre l’intérêt général ; et, de l’autre côté, on crée une fracture entre les autorités politiques, ou leurs entourages, et les fonctionnaires qui ne comprennent pas pourquoi on ne recourt pas aux ressources internes qui sont pourtant considérables (experts, chercheurs, inspections générales, etc.). Cette politique a donc créé de la méfiance en interne, au sein même de l’appareil d’État, tout en donnant le sentiment que la politique se faisait par derrière dans l’opacité de contrats juteux et dans le dos des représentants lesquels on tout de même réussi à lancer le débat. Mais il s’agit du Sénat et ce n’est pas un hasard.
Benjamin Morel : On dit qu’Emmanuel Macron a été marqué par son passage à l’Assemblée comme ministre où le travail parlementaire en pleine fronde lui a semblé à la fois vain et caricatural. C’est possible. La réforme constitutionnelle proposée en 2018 comporte encore un élagage sur les prérogatives parlementaires, notamment en matière de droit d’amendement. Le Parlement français est encore une fois l’un si ce n’est le plus faible du monde occidental. C’est aussi l’un des plus rapides. Le temps moyen pour y voter un projet de loi est de 149 jours contre 400 aux Pays-Bas. Cela fait de nos chambres les plus véloces après le Parlement hongrois… qui n’a qu’une seule chambre. Le temps moyen d’adoption d’une ordonnance est de 355 jours, ce qui montre bien que le gouvernement n’est en rien plus efficace que les parlementaires. Il y a donc clairement de la part d’Emmanuel Macron une mauvaise précision du rôle du Parlement qui est également lié à son absence de culture parlementaire.
À cela se sont rajoutées les difficultés du quinquennat. La majorité s’est rapidement révélée, assez amateur, même si des éléments de qualité ont pu y émerger. Ne recruter des députés sur CV et entretien téléphonique ne fait pas un groupe politique stable, encore moins des parlementaires formés aux métiers. Dans ce cadre-là, s’appuyer sur les travaux de la majorité pouvait apparaître dangereux. C’est d’autant plus le cas qu’en face le Sénat lui maîtrise les enjeux législatifs des textes et sait appuyer là où ça fait mal. Verrouiller l’Assemblée était donc une nécessité politique pour ne pas perdre le contrôle du contenu des textes. C’était au moins une obligation dans un premier temps. Les députés auraient toutefois pu être formés et du pouvoir aurait pu leur être peu à peu rendu, ça n’a pas été le cas.
Il n’est au final pas certain qu’Emmanuel Macron ait voulu structurer un groupe, pas plus qu’un parti d’ailleurs. La force du macronisme est sa capacité à s’adapter aux circonstances. Or, là aussi, l’épisode des frondeurs a montré au président que la flexibilité politique n’avait pas pire ennemi que des partisans formés et convaincus. Des députés mal formés vous suivant par défaut, offrent une bien plus grande marge d’action tactique et pour parler simplement… ne vous embêtent pas. Cette considération joue aussi dans la gestion très solitaire de la crise alors qu’en Allemagne ou en Italie par exemple la crise a été en partie cogérée avec le Parlement. La politique était discutée avec les partis d’opposition, débattue et ensuite annoncée. En France, le Président, annonçait d’abord, l’opposition critiquait ensuite, et enfin seulement on en débattait au Parlement. C’est évidemment le fait d’Emmanuel Macron, mais il y a là aussi une position inhérente au présidentialisme français.
Luc Rouban : Au total, le quinquennat d’Emmanuel Macron s’est construit en court-circuitant les corps intermédiaires, notamment les élus locaux et les syndicats, mais aussi les grands corps de l’État, et en affirmant un pouvoir vertical fort qui n’est d’ailleurs pas pour déplaire à son électorat. C’est effectivement le signe d’un manque de confiance, ce que Gérard Larcher, président du Sénat, lui a souvent reproché dans ses relations avec les autorités locales – et on a vu la montée des tensions lors de la première phase de la crise de la Covid-19. Mais c’est l’application de la doctrine macroniste : se débarrasser de l’ancien monde, des appareils, des partis et de toutes les structures pouvant être considérées comme générant du bruit et de l’inefficacité. Le problème tient donc à cette vision très managériale du politique qui oublie que l’efficacité politique ne se réduit pas à des chiffres mais exige l’adhésion du plus grand nombre aux décisions prises par le pouvoir ce qui implique le recours à des médiateurs qui permettent de rendre acceptables certaines réformes comme celle des retraites. Le changement politique ne peut se faire seulement par le haut d’autant plus si ce « haut » a été élu par défaut avec une base électorale fragile. Emmanuel Macron, sous cet aspect, est bien loin de la situation qu’a connue le général de Gaulle au début de la Vᵉ République, porté par le soutien d’une forte majorité de Français qui s’étaient d’ailleurs exprimés par référendum sur les nouvelles institutions.
Si on le compare à ses prédécesseurs et homologues européens actuels, quel est l’état du bilan démocratique d’Emmanuel Macron sur le plan institutionnel et celui de la gouvernance ?
Benjamin Morel : On n’est pas dans le même système. La cinquième République surtout post quinquennat est d’abord et avant tout un césarisme plébiscitaire. Les Français élisent un sauveur qu’ils dotent de tous les pouvoirs. Nulle part ailleurs en occident on n’assiste à une telle concentration des pouvoirs. Par ailleurs, les chefs de gouvernements étrangers doivent, à l’exception de la Grande-Bretagne, compter avec un mode de scrutin proportionnel. Les dirigeants doivent donc s’appuyer avec des partenaires de coalition. En Allemagne, Italie, Espagne, Grande-Bretagne même, l’ouverture démocratique implique une plus large association du Parlement et de l’opposition. En France, les effets déformants du mode de scrutin rendent l’Assemblée très peu représentative de l’état des forces politiques au sein du pays. La crise de la représentativité, qui existe partout, est donc rendue encore plus difficilement soluble. Du coup, l’ouverture démocratique implique non pas de parler aux organes et aux partis, mais de reprendre la langue directement avec le Peuple de la part du prince omnipotent. C’est la solution grand débat qui s’est imposée. On peut bien sûr aller beaucoup plus loin en matière d’ouverture démocratique et de réforme de nos institutions. Je vous renvoie pour les propositions à une note que j’avais faites pour l’Institut Rousseau, il y a un peu plus d’un an. Mais soyons clairs, cette crise représente un défi pour l’ensemble des démocraties occidentales et aucune n’a trouvé la panacée.
Luc Rouban : Je crois qu’il faut être très clair à ce sujet. Le malaise démocratique qui a généré notamment la crise des Gilets jaunes n’a pas disparu même avec la guerre en Ukraine laquelle, du reste, va générer une crise économique grave. Le niveau de confiance dans les autorités politiques est toujours très bas au regard de ce que l’on observe dans d’autres démocraties européennes. La France est toujours malade de se vie politique et le spectacle affligeant de la campagne présidentielle le confirme. On est toujours dans l’opposition entre 30% d’électeurs macronistes plus ou moins convaincus et 70% d’électeurs fortement hostiles à Emmanuel Macron qui attendent peut-être les législatives mais plus sûrement la troisième « mi-temps » sociale qui va se déchaîner sur la question du pouvoir d’achat et des retraites. Le problème tient à ce que ces revendications, souvent légitimes, vont raviver la plaie démocratique. En majorité, les Français pensent qu’ils vivent dans une société injuste, inéquitable, où les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. La dernière vague de janvier 2022 du Baromètre de la confiance politique nous indiquait que 63% en moyenne des enquêtés estimaient que la société française était injuste. Mais il ne faut pas s’arrêter à cette moyenne. Car si cette proportion atteint 68% dans les catégories populaires, elle est encore de 49% dans les catégories supérieures.
La question n’est donc pas fondamentalement de nature institutionnelle. Emmanuel Macron a utilisé tous les pouvoirs que donne la Vᵉ République au Président. Il s’est appuyé sur une majorité de députés à l’Assemblée nationale et a sensiblement ignoré le Sénat. Il ne faut pas se tromper de débat. Ce n’est pas parce qu’on passera au scrutin proportionnel pour les législatives ou qu’on multipliera les référendums – et avec quelles questions sur quels sujets ? – que la question démocratique sera réglée. Il suffit de constater que les maires sont les seuls élus en qui les Français ont confiance en grande majorité et notamment ceux des communes de moins de 20 000 habitants. Or les maires ne sont pas vraiment élus à la proportionnelle car la dose de proportionnelle pour les communes de plus de 1 000 habitants est corrigée par le système de la prime majoritaire qui donne d’office la majorité absolue à la liste arrivée en tête. En revanche, le niveau de confiance est très bas à l’égard des conseillers régionaux ou des députés européens qui sont élus à la proportionnelle.
Une bonne « gouvernance » démocratique au niveau national, où se décident des questions de valeurs et des choix de société, ne pourra pas se mettre en place par un bricolage institutionnel. La dernière réforme institutionnelle est la loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République) de 2015 qui a créé des régions géantes qui n’ont aucun sens historique ou culturel et renforcé le niveau intercommunal en affaiblissant le pouvoir des maires. On peut penser très justement qu’il faudrait sortir de cette logique de réforme par « rustines » institutionnelles afin de clarifier les compétences et de relancer la décentralisation. Mais cela, fondamentalement, ne suffirait pas à redonner goût à la vie démocratique. Pour ce faire, il faut séparer ce qui relève du public de ce qui relève du privé et créer un tissu social suffisamment uni pour que l’investissement dans la vie politique ou la participation électorale aient du sens. Si les contestations sociales en France deviennent tout de suite des mises en cause du pouvoir c’est qu’elles reflètent autre chose que de simples revendications économiques ou salariales. Ce qui se joue derrière et leur donne tout ce poids déstabilisateur c’est le sentiment que le jeu social est truqué. Le drame français actuel est que l’on est en train de payer très cher des décennies d’indifférence aux questions de mobilité sociale et aux réalités de terrain vécues par les citoyens.
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Au final, Macron est le pire des présidents de toute l’histoire de la République. Plus guignol qu’Hollande, plus corrompu que Sarkozy, plus menteur que Chirac, plus fourbe que Mitterrand, plus méprisant que Giscard, Macron qui a détruit l’héritage gaullien, et qui est moins cultivé que Pompidou, moins sympa que Coty, plus collabo que Pétain, et plus con que Mac Mahon! J’arrête là ma litanie. En gros je le hais!
Bien dit Argo !
Et pour la dernière phrase, pareil…mais en pire !