Promenade dans les Noëls d’antan (2)

NOELS D’ANTAN, SUITE ET FIN
Je passais autrefois les Noëls chez ma grand-mère paternelle parisienne, Fernande, et quelquefois en Corrèze, chez mes arrières-grand-parents maternels, Catherine et François. Ma grand-mère maternelle était morte avant ma naissance, et mon grand-père, son époux, à la suite de la mort de sa femme, était devenu une sorte de vagabond, triste destin. Il faut dire que ses enfants avaient été confiés à ses beaux-parents, Catherine et François. Il ne pouvait s’en occuper seul, et je pense que c’est ce qui a précipité sa chute. Chez mes bisaïeux, les Noëls étaient plus austères. C’était de très pauvres agriculteurs corréziens, tirant toujours le Diable par la queux, mais j’y ai passé des Noëls inoubliables. Voici l’un d’eux.
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Nous sommes en décembre 1958, le vingt-quatre. Mes parents, mon petit frère et moi sommes arrivés la veille, en voiture. À bord d’une Quatre-Chevaux Renault.. Un long trajet. Il est bientôt huit heures, et nous nous apprêtons à aller à la messe de minuit, au bourg.  Quatre kilomètres aller et retour. Il ne faut pas se mettre en retard. Mon frère cadet, le grand-père, François, trop âgé pour entreprendre le trajet, il a quatre-vingt-treize ans,  et mon père ne viendront pas. Ni ma mère non plus. Elle est fragile de santé, et a souvent des coliques néphrétiques. Je vais au catéchisme, aussi je ne peux pas me dérober. Grand-mère Catherine m’emmène avec elle. Elle est plus jeune que grand-père de seize ans. Nos cousines de la ferme d’à côté, Marcelle, sa mère, Amélie, nous accompagneront. Au passage nous prendrons Marie Neyrat, une vieille dame qui habite une maisonnette au milieu des bois. Elle est si peureuse, qu’il faudra la raccompagner jusqu’à chez elle au retour. Grand-mère, je la nomme ainsi, c’est plus pratique qu’arrière-grand-mère, s’est munie d’une lanterne dans laquelle on a fiché une bougie. On n’a pas oublié de prendre une boîte d’allumettes pour allumer notre fanal au retour. Mes cousines, plus riches, ont des lampes de poche. Mais ça n’est pas toujours pratique; à l’époque, les piles ne duraient pas longtemps; le lapin Duracell n’était pas encore né.
Grand-mère et les cousines sont toutes vêtues de noir. Je les ai toujours vues comme ça.On dirait qu’elles sont perpétuellement en deuil. Elles sont très pieuses. Il est vrai qu’à la campagne, la religion tient une grande place. Il y a toujours matière à demander les secours du Ciel : maladies des humains, du bétail, mauvaises récoltes ou autres fléaux.
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Nous nous mettons en route. Il ne fait pas très chaud. La voûte céleste  est étoilée. Je frissonne un peu.  J’ai revêtu une pélerine, on m’a mis un béret sur la tête — je déteste ça— , mais ma culotte de drap gris ne descend que jusqu’aux genoux. J’ai bien de grosses chaussettes tricotées maison, mais elles laissent  une partie de mes jambes  à l’air. Jusqu’au bout du hameau, il faut faire attention, la route n’est pas goudronnée. Après, ça va mieux. Marie Neyrat est là, qui nous attend, un lumignon à la main. On se met en chemin. La chaussée  est bordée de bois touffus, et c’est bien ce qui m’inquiète. Grand-mère a eu beau m’assurer qu’il n’y avait plus de loups, je doute encore un petit peu. Et s’il en était resté un? Lorsque nous atteignons la dernière montée, soudain on entend le ding-dong des cloches qui appellent les fidèles.
Nous arrivons sur le parvis de l’église. Ding-dong, là haut le clocher trémule sous le poids des campanes,  qui oscillent allègrement. À l’entrée, je glisse une piécette dans le tronc des indigents. Il y a un ange au dessus qui hoche la tête pour te remercier. J’en mettrai une autre en sortant, pour me porter bonheur; j’en garde une  pour la quête. Nous nous asseyons sur des prie-Dieu anonymes. Les notables ont les leurs, frappés d’une plaque d’émail où figurent leurs patronymes. Tout à l’heure, le curé ira réveillonner chez l’un d’eux. Il y a pas mal d’hommes, aussi, dans l’assistance. Ils ont ôté leurs chapeaux et les ont posés sur leurs genoux. Tout à l’heure, quand il faudra se lever, certains vont les poser sur leurs sièges, les  oublier,  et s’asseoir dessus. On voit qu’ils sont furieux à la manière qu’ils ont de leur redonner forme à coups de poings rageurs. Pendant la messe, j’ai un peu piqué du nez, mais ma cousine Marcelle me met des coups de coude. Voyons, on ne s’endort pas dans la maison du Seigneur!  Il y a une crèche. L’Enfant Jésus y a été placé au dernier moment, le jour de sa naissance. Ding-dong, c’est la fin de la messe. On sort, et tout le monde regagne son domicile, chacun sa lanterne à la main. C’est joli, toutes ces lumières qui s’éloignent dans le noir;  on dirait des lucioles un jour d’été.
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Nous faisons le trajet du retour moins vite qu’à l’aller. Je pense encore au loup et tiens  la main de grand-mère plus fort qu’à l’ordinaire. Il faut dire qu’aux veillées, ils m’ont bien bourré la tête de légendes terrifiantes : le léberou, loup-garou, et autres histoires terrifiantes. Une fois Marie Neyrat à bon port, nous rentrons chez nous. Les cousines n’ont que cent mètres à faire. À la maison, tout le monde nous attend. On se sustente, une bonne soupe de châtaignes, et un tourtou,(une crêpe de  sarrasin) , et de la confiture. On mangera un repas plus  soigné demain. Le réveillon, c’est des fantaisies de Parisien.  Après, au lit. Grand-mère recouvre les braises de l’âtre, appelé cantou, avec de la cendre. Toujours la peur atavique des incendies nocturnes, venue du fond des âges. Je me glisse dans les draps. Je ne vais pas m’endormir tout de suite; je pense au vélo que j’ai commandé, bleu, avec une sonnette et des sacoches, s’il vous plaît! Pourvu qu’on ne m’ait pas oublié!
Voilà, mon modeste récit est achevé. Aujourd’hui, tous les protagonistes de cette époque ont pour la plupart disparu. Je pense souvent à eux. La maison de mes bisaïeux a été vendue. Ah si, il me reste un hectare de bois et de bruyères, jadis terre à blé et champ de pommes de terre, que j’ai hérité de mes parents, qui avaient récupéré la ferme, et une partie des terres par le biais d’un arrangement de famille.Ce patrimoine n’a que peu de valeur.   J’aurais aimé y être inhumé, au beau milieu, face au moutonnement des collines, tantôt verdoyantes, ou parées des ors de l’automne, bercé par la sibilance de la brise, ou bien fouetté par les fureurs éoliennes des quatre vents de la Terre.
Je conclus mon propos en vous souhaitant à tous et à toutes un joyeux Noël, ainsi qu’à vos proches et vos familles respectives. 

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9 Commentaires

  1. Merci Argo pour le récit de tes souvenirs , qui nous rappellent d’une époque plus ou moins heureuse pour certains d’entre nous , des souvenirs qui restent gravés à jamais dans nos mémoires.

  2. Bonsoir Argo ,
    merci,pour ces deux récits,belles promenades dans les Noël d ‘antan.
    Vous parlez du cantou, cela évoque les veillées et les soupes qui mijotaient très longtemps sur le feu de bois .A noter que les bûches de chêne ne brûlaient pas si vite qu’ on a voulu nous le faire croire …
    Mais c est une autre histoire et réjouissons-nous de cette évocation : la marche dans le froid,la messe ,les places réservées aux notables, le retour ,le repas simple mais délicieux .
    Et le vélo ? Zvez- vous pu le rentrer dans la 4cv ?
    Merci beaucoup !
    Bon temps de l’Avent et beau et joyeux Noël !

  3. Une belle histoire qui nous replonge au cœur des récits d’autrefois, Victor Hugo ou ou Georges Sand, la vie des paysans dans nos campagnes au 19 ème siècle.
    Joyeux Noël Argo et à toute ta famille !

  4. Merci pour ce récit, Argo!

    Je connais un peu la Corrèze : de vieilles maisons en pierre, toutes jolies; et des coins très ruraux dont il est bien facile d’en imaginer un passé qu’on n’a pas forcément connu.

    La Corrèze est un très beau département – verdoyant et forestier… chaleureux, bien qu’humide et froid -, et qui a gardé une belle âme de la France d’antan.
    (C’est ce que je pense, du moins… il y a bien des villes « trop » urbaines pour le département, mais ce sont plutôt les coins ruraux que je connais et que j’apprécie, car les âmes de ces territoires sont restées bien fidèles à leurs histoires.)

    (Pour la petite info’ inutile : le loup est actuellement présent en Corrèze.)

  5. Tres beau récit qui m’a rappelé certaines choses de mes Noëls d’enfance, merci ,joyeux Noël à vous aussi et à vos proches .

  6. Magique ! Quelle belle écriture, Argo !

    J’aime beaucoup la Corrèze, le suc au May, les Millevaches, le Causse, la Xaintrie… J’y passe souvent 🙂

  7. Magnifique récit d’un temps ancien.
    Et le vélo ? Papa Noël l’avait apporté ?

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