« Vivre avec une victime d’attentat, le traumatisme des proches »

A l’occasion des cinq ans de l’attentat du Bataclan, ce 13 novembre 2020, je voulais évoquer les répercussions de ces tragiques évènements sur le proche entourage des victimes, qu’il s’agisse de l’environnement familial, amical ou professionnel.

 

Car si les attentats engendrent des traumatismes très importants chez les victimes, la blessure psychique touche également le cercle proche de ces rescapés.

 

Le titre de cet article est issu d’un ouvrage très instructif rédigé par Violaine-Patricia GALBERT, spécialisée dans la prise en charge des troubles post-traumatiques, et qui a été le conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre pour apporter un soutien psychologique aux militaires et aux familles confrontés à des évènements graves. Ce livre est une sorte de guide pour soutenir la victime dans les premiers jours de l’attentat puis à plus long terme. Car la violence de ces attaques s’apparente à un acte de guerre qui laisse de profondes séquelles auprès des personnes exposées à une telle barbarie.

 

Ce qu’on omet souvent de dire, c’est que la majorité des victimes d’attentats traversent ces épreuves dans une grande solitude, l’environnement proche ne comprenant pas toujours les réactions, la peur, la colère qui envahit soudainement ceux qui réchappent de tels drames. Il y a souvent un changement de personnalité chez les victimes, une irritabilité, une impulsivité qui ne sont que le résultat du haut niveau de stress accumulé lors de l’attentat.

 

Ainsi, certains rescapés expliquent que leurs familles, amis ou collègues de travail sont souvent démunis ou désarmés face à leurs réactions et ne reconnaissent plus leur tempérament au lendemain de ces tueries. Les proches manquent souvent de mots ou de patience et ils pensent à tort que ces blessures peuvent se cicatriser rapidement dans une forme de résilience. Or, les victimes d’attentats n’évoluent plus dans la même temporalité, dans la même énergie qu’auparavant. Il faut parfois des mois, voire des années, pour sortir de ce marasme psychologique et de ce chaos intérieur. Tel est le cas pour de nombreux rescapés et témoins du Bataclan qui ne parviennent toujours pas à reprendre le travail cinq ans après la soirée du 13 novembre 2015 ou encore pour de nombreuses familles endeuillées qui restent inconsolables et tentent de continuer le chemin entre chagrin, désespoir et révolte. Les nombreux témoignages sous forme de livres, bandes dessinées et chansons, parus après la vague d’attentats qui a frappé la France, confirment ce processus de bouleversements au sein des familles avec parfois des conséquences sur les couples et des incompréhensions dans les cercles amicaux ou professionnels.

Personnellement, j’en ai fait l’expérience au sein même de mon immeuble qui était celui de l’administration du Bataclan, Boulevard Voltaire à Paris. Profondément choquée par ce bain de sang au pied de mon immeuble le soir des attentats de Paris, comme l’ensemble de mes voisins, nous ne partagions toutefois pas le même regard sur les causes profondes de ces offensives, à savoir une signature islamique et un acte de djihad selon ma propre analyse. Déjà profondément meurtrie par cette nuit tragique, je me suis retrouvée très seule dans mon ressenti et mes convictions, presque rejetée par mon voisinage.

 

Car fondamentalement, les victimes d’attentats vivent une expérience extrême et hors norme, seules face à l’effroi, l’angoisse et la mort. C’est pour cette raison que les rescapés éprouvent souvent le besoin de conserver un lien entre eux, de se revoir pour échanger ensemble sur ces souvenirs et ces émotions qui les dépassent, en petit groupe ou dans le cadre d’associations. Au Bataclan, certains témoins ont expliqué qu’ils devaient lutter contre les rechutes de moral, les creux de la vague qui s’apparentent à une sorte de « Monstre » qui revient de façon récurrente pour hanter leurs pensées. C’est donc au quotidien que ces victimes doivent repousser et chasser ces fantômes de leur esprit afin de retrouver confiance en la vie. De douloureux souvenirs qui sont hélas ravivés à l’annonce de chaque nouvel attentat et qui peut réveiller des colères enfouies et des instincts de vengeance comme la loi du talion.

 

Certaines victimes vont jusqu’à se replier sur elles-mêmes dans une sorte d’isolement et de retrait de la société, le tout pouvant conduire jusqu’à des tentatives de suicide comme ce fut le cas du conducteur du scooter à Nice qui a tenté de stopper le camion du terroriste sur la promenade des anglais et comme ce fut le cas de Guillaume, survivant du Bataclan, qui a mis fin à ses jours trois ans après le carnage.

 

Etre confronté à un attentat représente une sorte de double peine pour les victimes : d’une part, le traumatisme le jour-même du massacre, d’autre part l’impréparation, l’opprobe, l’appréhension, voire l’indifférence du périmètre des intimes, qu’il faut surmonter au plus vite pour voir enfin le bout du tunnel et passer à autre chose. L’objectif étant de ne pas s’éterniser dans ce statut de victime mais devenir acteur de sa propre vie et faire en sorte que de tel drame ne se reproduise plus sur notre sol national.

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