La Liberté, la Nation, l’ Honneur… que sont mes amis devenus ?

Illustration : Rutebeuf

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La Liberté, la Nation, l’ Honneur…  que sont-ils devenus ?

Peut-être bien que :

” Je cuit qu’il sont trop cler semé ;
Je cuit li vens les a osté.

Ce sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte ;
Ses enporta ” ( Rutebeuf )

En français actuel :

” Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés

Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta “

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Formidable texte de Jean Paul Brighelli : 

Je ne sais quand la Vie est devenue la valeur suprême. Ce n’était pas le cas certainement durant la dernière guerre, où tant de résistants mettaient la patrie et le combat contre l’occupant bien au-delà de leur conservation propre. La longue paix qu’à peu de choses près a connue l’Europe depuis 1945 est peut-être la cause de cet amollissement progressif — encore que la Guerre froide ait maintenu longtemps l’idéologie de la victoire, devant le souci épidermique.
Il ne faut peut-être pas remonter au-delà de la chute du Mur, en 1989, pour trouver le point de départ de l’Ego triomphant. Francis Fukuyama avait vu juste sur un point : proclamer, comme il l’a fait, la « fin de l’Histoire » revenait à promouvoir désormais les valeurs du capitalisme triomphant : toujours plus, et tout pour ma gueule.
C’est à peu près l’époque où l’on a commencé à seriner le refrain désormais familier — « les temps ont changé », leitmotiv de toutes les compromissions, et de toutes les démissions.

Elle est loin, l’époque où Corneille écrivait dans Horace :
« Mourir pour le pays est un si digne sort
Qu’on briguerait en foule une si belle mort ».
Loin, l’époque où Marie-Joseph Chénier affirmait, dans le Chant du départ :
« La République nous appelle
Sachons vaincre ou sachons périr!
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle un Français doit mourir. »
Loin, le champ de bataille de Waterloo, où Cambronne a dit ou n’a pas dit « Merde » au colonel anglais qui lui suggérait de se rendre.
Et nous nous moquons gentiment (et parfois pas gentiment) de ces Français partis la fleur au fusil en août 14. Etaient-ils bêtes ! Demandez à des étudiants contemporains s’ils supporteraient, comme Jean Moulin, une petite quinzaine avec Klaus Barbie… S’ils pourraient simplement l’envisager…
Et le Che est vraiment mort pour rien, malgré Carlos Puebla et Nathalie Cardone… D’aucuns l’arborent encore sur leurs tee-shirts, pour mettre au chaud leur cœur de poulet.

Tous pacifistes désormais. Pacifistes comme Marcel Déat, député SFIO puis chef du Rassemblement National Populaire en 1941, en fuite à Sigmaringen avec le dernier carré des ultra-collaborationnistes, condamné à mort par contumace en 1945 et finissant sa vie en cavale permanente en Italie. Aujourd’hui, tous Déat, tous béats.

Dans les années 1950-1980, Ian Fleming puis John Le Carré mettent en scène des agents secrets prêts à mourir pour combattre le KGB, qui en avait autant à leur service. Mais c’est loin, tout ça. C’est du cinéma.
Désormais, la peur de mourir — et même la peur de tomber malade — régit nos existences. Un éternuement est suspect. Votre voisin, hostile au flicage via les portables ou les drones, est suspect. La petite fille qui joue dans la cour de l’école est suspecte. Et dénoncée — parce que pour les dénonciations, nous sommes restés imbattables. À la fin de la guerre la Gestapo ne les lisait même plus — et les forces de l’ordre aujourd’hui protestent devant tous ces bons confinés qui encombrent le 17. En vain.
Et ce qui m’épate, c’est que ça n’épate personne.

J’ai déjà parlé, ici-même, de la décision des derniers survivants de la Horde sauvage, qui pourraient se barrer, en vie et les poches pleines, et décident, sur un mot — « Let’s go ! » — d’aller à quatre affronter 500 hommes. Ou de cette réplique de Bogart dans Key Largo, répondant à Lauren Bacall qui lui demande pourquoi il va à la mort : « I have to ». Un homme, un vrai, ça s’oblige.
Des programmes scolaires repensés dans le sens de la fraternité universelle et du « vivre ensemble » ont éliminé le modèle héroïque. Roland à Roncevaux, choisissant de se battre plutôt que de fuir devant 500 000 Sarrasins, Rodrigue combattant les Maures, Cyrano se jetant dans la bataille à la fin du IVe acte, ou Lord Jim, trébuchant une première fois sur le chemin de la bravoure et de l’honneur, nobody’s perfect, et consacrant le reste de sa vie à restaurer cette self-esteem mise à mal par sa couardise, jusqu’à en mourir — tous aux poubelles de l’Histoire.

Il est des valeurs supérieures à la vie — d’autant que la valeur en soi de la vie, si brève ou aussi longue soit-elle, n’apparaît guère à un épicurien sûr de lui. La liberté, la nation, l’honneur sont des valeurs. Et, pour un enseignant, la transmission de la culture.
Et pas n’importe laquelle. La démagogie consistant à inventer une contre-culture, qu’elle vienne des jeunes en général ou des banlieues en particulier, est une fumisterie de premier ordre. Y a-t-il une contre-culture mathématique ? Une contre-langue ?
Flatter les dérives des uns et des autres participe de la même extinction des valeurs — pendant que les élites, qui reconnaissent fort bien la valeur de l’héritage, inscrivent leur progéniture dans des établissements ultra-traditionnels.

Les pays qui ont encore des valeurs autres que la vie nous donnent l’exemple — et curieusement, ce sont ceux qui résistent le mieux à l’épidémie en cours. Au Japon, même les voyous ont un code d’honneur qui leur fait se couper le petit doigt pour tenter de racheter leurs fautes. Et encore, c’est une dérive par rapport à l’ancien code samouraï, qui malgré l’ère Meiji et l’américanisation d’après 1945 imprègne leur culture. Les pays qui ont le plus vaillamment résisté à la présente épidémie ont des valeurs communes supérieures à l’idée, souvent exagérée, que chacun se fait de soi et de la valeur de son existence propre.

Je suis effaré des comportements d’aujourd’hui. Risque zéro ! disent-ils. Mais le risque zéro n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais. Faut-il rester confiné ad vitam aeternam ? Exiger un minimum vital, certes — inutile de mourir pour rien. Exiger des tests, des masques, des savons dans les toilettes des collèges, certainement. Mais…

Mais se calfeutrer comme des rats ; admettre que l’on vous suive à la trace ; admettre de bon cœur, ou même à contre-cœur, que les plages restent fermées cet été ; suggérer qu’une génération entière n’aille plus en classe avant qu’un vaccin nous prémunisse de tout risque — jusqu’au prochain virus ; tolérer que nos parents âgés meurent solitaires dans les EHPAD, et partent en vrac au cimetière — si vous en êtes là, vous n’êtes même plus des hommes.

À la fin du très beau film qu’Agustín Díaz Yanes a tiré en 2005 de la série des aventures du capitaine Alatriste d’Arturo Perez-Reverte, le duc d’Enghien — le Grand Condé — propose aux derniers survivants de l’ultime tercio de se retirer dans l’honneur, avec leurs armes et leurs drapeaux, avant la dernière charge. Les éclopés remercient, et refusent — « ese es un tercio español », disent-ils ; et l’honneur, ça oblige. « Oui, mais c’était une autre époque », diront les plus bêlants de mes contemporains. Pff…

Jean-Paul Brighelli

https://blog.causeur.fr/bonnetdane/et-moi-et-moi-et-moi-003114  

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16 Commentaires

  1. On ne peut qu’abonder dans le sens de JP Brighelli ! La situation actuelle n’est que la conséquence du ramollissement général de la société depuis plus de 40 ans…Ramollissement découlant d’un excès de confort dans tous les domaines, nous faisant rechercher toujours plus de sécurité, toujours moins d’efforts, toujours moins d’engagement. Mon père qui avait fait la guerre, me disait toujours en s’adressant à ma génération du baby boom; “vous en avez trop! “. Les “68tards” ont initialisé la lente pourriture de la société au nom d’un idéal totalement utopique. Résultant de cette situation, les valeurs “féminines” ont pris lentement mais surement le dessus sur celles de nos ancêtres et la féminisation forcée (exemple dans l’armée) ou naturelle (exemple dans l’éducation ou la magistrature) a bien évidemment joué le rôle de catalyseur de cette évolution sociétale. La valeur des femmes n’y est évidemment pour rien, mais le résultat est là: nous vivons dans une démocratie molle qui ne nous mènera nulle part. Comment s’étonner alors de la disparition du sentiment patriotique, de la capacité de sacrifice personnel, du sens de l’honneur, du courage, du désintéressement, etc…
    Heureusement il existe encore des Français, hommes ou femmes, qui sont encore mus par ces valeurs, (en particulier à Résistance Républicaine, et pas que … ) ! Tout n’est pas encore perdu, résistons !

  2. nous pareillement que ce soit à CARTHAGE l’Institution près de celle des pères blancs,(Pensionnat ST JOSEPH) ou à l’Institution SAINTE MARIE de BIZERTE (anciennement ND DE SION) j’ai appris tous nos chants patriotiques dans ces établissements religieux
    mais rien ni personne dans les écoles laïques de Tunisie – chercher l’erreur…)
    Salut MACHINCHOSE mon compatriote…

  3. Merci pour cet article.

    Je crois que j’ai été encore plus touché par son précédent billet, qu’il donne en lien et que j’ai découvert après avoir lu celui-ci :
    https://tinyurl.com/y7odxcw5

    Il y parle du far-west, des héros kantiens, et de la fin d’une époque.

  4. “Y a-t-il une contre-culture mathématique ?”
    Je pense que l’on néglige trop souvent l’aspect psychologique et politique inhérent à toute activité culturelle humaine, même s’agissant de la “Reine des Sciences”.
    On se souvient tous, sans doute, de la “révolution culturelle” des “mathématiques modernes” des années 1970. Les problèmes qui intéressent les mathématiciens d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux de la Renaissance et on peut douter que la “rigueur” mathématique à l’époque d’Euclide fut identique à celle de maintenant.
    Enfin, il reste une liste, toujours ouverte, de problèmes pour lesquelles les meilleurs mathématiciens du monde n’ont toujours pas trouvé de solution, chacun préférant créer son propre discours mathématique et énoncer quelques théorèmes pour les publier, qui ne seront pas compréhensible même pour des mathématiciens spécialisés dans d’autres domaines…

  5. J’avais cité aussi ces vers de Rutebeuf dans un article sur la robotisation de la personnalité juridique dans l’Union européenne il y a 2 ans :
    http://resistancerepublicaine.com/2018/04/19/au-fou-la-commission-europeenne-veut-donner-des-droits-et-des-devoirs-aux-robots/
    “L’Homme occidental est désormais dans la tourmente. Épuisé par des décennies de crises identitaire, politique, économique et morale, il œuvre chaque jour, par son laxisme et son ingénuité, à sa propre perte. Si la promotion de l’humanisme coïncide avec celle de la science, de plus en plus de scientifiques ont tourné le dos à l’humanisme pour concevoir l’humanoïde, appelé à remplacer l’être humain.
    Ces vers du poète français Rutebeuf pourraient exprimer le désarroi de l’Homme occidental moderne”.

  6. “« La République nous appelle
    Sachons vaincre ou sachons périr!
    Un Français doit vivre pour elle,
    Pour elle un Français doit mourir. »

    souvenirs

    chez les pères blancs de Carthage ou je fis mes humanités, c’était le chant entonné par tous le lundi matin, avant de rentrer en classe et devant un drapeau tricolore en haut d’ un mat

    me souviens même plus quand, mais ça devait etre y a trés longtemps

    • nous pareillement que ce soit à CARTHAGE l’Institution près de celle des pères blancs,(Pensionnat ST JOSEPH) ou à l’Institution SAINTE MARIE de BIZERTE (anciennement ND DE SION) j’ai appris tous nos chants patriotiques dans ces établissements religieux
      mais rien ni personne dans les écoles laïques de Tunisie – chercher l’erreur…)
      Salut MACHINCHOSE mon compatriote…

    • Salut Amigo !
      Il est vrai que fut un temps où–avec ou sans l’agit-prop des pères blancs– plus les gens vivaient près des frontières et plus ils étaient patriotes … Je pense que celà était le cas aussi en Alsace, dans les Ardennes etc…
      Me souvient que partout que l’on se trouvait, dès que retentissait la sonnerie au drapeau en fin de journée, tout le monde marquait un temps d’arrêt et arrêtait les bavardages, ceci dans le petit bled de la Mitidja où nous vivions alors …
      Aujourd’hui, on nous logerait en hôpital psychiatrique !!…

  7. On ne connaît pas la guerre, mais bon je m’imagine que ça s’apprend et que c’est un travail de sorte.

  8. Juste un bémol mais de taille . Ernesto Guevarra n’était qu’un tortionnaire assassin sans honneur qui a tué des femmes et des enfants et qui véhiculait une idéologie totalitaire c’est à dire liberticide.
    Ce nuisible fait partie de ces monstres dont on ne peut pas regretter la mort mais au contraire la fêter.

    • @vendéenne

      Bravo ! Ce très juste texte de Brighelli méritait une petite mise au point.

      Le Che était un criminel de guerre, un fils d’aristocrates, étudiant en médecine à une époque où les fils et filles du peuple ne pouvaient accéder à ce genre d’études. Un notable qui s’est cru investi d’une mission pour éclairer les masses laborieuses.

      J’en veux beaucoup à ces gauchos français qui en ont fait un défenseur des libertés, un gentil révolutionnaire en lutte contre les méchants Américains et leurs sbires. Ils en ont fait un martyre alors qu’il a martyrisé. Honte ultime pour ce communiste, il est devenu un produit de consommation pour pseudo-rebelles capitalistes.

    • Bonsoir vendéenne , exact , c’était un marxiste pur et dur , combien de personnes , femmes ,enfants et hommes ce salopard ,cet ordure de che a t’il tuer ou fait assassiner au nom du marxisme léniniste ?

  9. Que sont mes amis devenus
    que j’avais de si près tenus
    et tant aimés…

    • ….. l’espérance de lendemains, ce sont mes fêtes ….

      ( mais on est mal barrés )

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