Immigration 1945 : quand de Gaulle voulait plus de Nordiques et moins de Méditerranéens

La politique de la France en matière de naturalisation après la 2e Guerre Mondiale

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L’abrogation des lois de Vichy suscite de nombreuses polémiques sur la conception des textes à adopter, sur les critères de leur mise en œuvre et sur la détermination des autorités compétentes. Dans les débats sur la politique d’immigration et de naturalisation, l’approche ethnique reste souvent présente et s’oppose aux conceptions égalitaires.

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La loi qui avait permis de déchoir de la nationalité les résistants (dont de Gaulle…) est abrogée dès avril 1943 par la France Libre, et les personnes déchues sont réintégrées. L’abrogation de la loi de dénaturalisation provoque davantage de controverses. Le ministre de la Justice de la France Libre, de Menthon, considère en 1943 que l’annulation des dénaturalisations « pourrait dans certains cas présenter les plus sérieux inconvénients… Les naturalisations trop nombreuses, dans les années qui ont immédiatement précédé la guerre, d’éléments israélites douteux, ont donné prétexte à un antisémitisme qui peut poser au jour du retour un certain problème. Ce ne serait pas y parer par avance que d’annuler a priori toutes les mesures de retrait qui sont intervenues. »

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Le Comité juridique de la France Libre adopte début 1944 un texte qui contredit ce point de vue et propose l’abrogation pure et simple des textes de Vichy. Les allers-retours entre les structures débouchent finalement sur un texte le 24 mai 1944 qui va dans le sens du Comité juridique et tous les dossiers de dénaturalisation sont réexaminés.

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Les points de vue sur les nouvelles naturalisations sont encore plus contradictoires. Les dossiers s’accumulent (200 000 en 1944) dans les préfectures et le Garde des Sceaux demande leur remontée au ministère. Une Commission interministérielle est créée le 17 mars 1945 pour dégager les principes à adopter.

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Se mêlent les débats sur les naturalisations et sur l’immigration. De Gaulle déclare en 1945 que « Le manque d’hommes et la faiblesse de la natalité française sont la cause profonde de nos malheurs… et l’obstacle principal qui s’oppose à notre redressement. » Il trace un grand plan afin « d’appeler à la vie les douze millions de beaux bébés qu’il faut à la France en dix ans … et d’introduire au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d’immigration dans la collectivité française. »

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Un Haut Comité consultatif de la population et de la famille est créé en avril 1945. Il est dirigé par Mauco, qui s’est distingué avant et surtout pendant la guerre par ses points de vue racistes et antisémites. Aux principes égalitaires de la politique de l’immigration de la Troisième République, il oppose la nécessité d’un objectif de protection ethnique. Il collabore à L’Ethnie française jusqu’en 1943, où il publie en 1942 un article hallucinant sur les caractéristiques ethniques des Russes, des Arméniens et des Juifs – qui les rendent bien sûr inassimilables –, avant de rejoindre les FFI au début de 1944. Il est désormais chargé de mettre en place la nouvelle politique de l’immigration. Il utilise des études anthropologiques pour déterminer l’assimilabilité et donc la sélection des immigrés selon leur origine. Il conclut que puisqu’il est impossible de mener avec certitude une politique d’immigration totalement objective, « la position la plus sûre et qui doit permettre d’écarter tout risque de modifier profondément la population française et tout déboire du point de vue culturel, est certainement celle qui consiste à rechercher des immigrants dont le type ethnique est déjà présent dans la mosaïque française », c’est-à-dire celle de 1881-1891, considérée comme équilibrée ! Le Haut Comité décide que l’entrée des immigrés se fera selon un ordre de « désirabilité » déterminé, selon les nationalités, et des pourcentages sont fixés pour chacune d’entre elles. Les réfugiés politiques et les fugitifs sont considérés comme suspects.

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En matière de naturalisation, il prône les mêmes principes. Le bureau du Sceau naturalise en priorité les résistants et les combattants de la France Libre. Mauco envoie une note pour souligner que cela conduit à naturaliser une proportion considérable de Méditerranéens, Arméniens et Israélites russes ou polonais. Il faut au contraire une politique d’ensemble qui privilégie les Nordiques, les travailleurs agricoles et les mineurs.

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Lettre adressée par le Général de Gaulle à Pierre-Henri Teitgen,
garde des Sceaux, le 12 juin 1945

Le Haut Comité consultatif de la Population et de la Famille étudie actuellement des projets qui constitueront son avis en ce qui concerne la politique du Gouvernement en matière d’immigration.

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Dès à présent il importe que les naturalisations soient effectuées selon une directive d’ensemble. Il conviendrait notamment de ne plus les faire dépendre exclusivement de l’étude des cas particuliers, mais de subordonner le choix des individus aux intérêts nationaux dans les domaines ethnique, démographique, professionnel et géographique.

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a) Sur le plan ethnique, limiter l’afflux des Méditerranéens et des Orientaux qui depuis un demi-siècle ont profondément modifié la structure humaine de la France. Sans aller jusqu’à utiliser comme aux États-Unis [qui ont connu les mêmes préoccupations]* un système rigide de quotas, il est souhaitable que la priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, Luxembourgeois, Hollandais, Suisses, Danois, Scandinaves, Islandais, Anglais, Allemands, etc.). [Si on se réfère à la composition de la population étrangère aux recensements de 1881-1891, où les sources d’émigration s’équilibraient]. Étant donné le grand nombre de dossiers actuellement en instance dans les préfectures, on pourrait envisager une proportion de 50 % de ces éléments.

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b) Sur le plan professionnel, la France a surtout besoin de travailleurs directement producteurs : agriculteurs, mineurs, ouvriers du bâtiment, etc. D’autre part, pour conserver au pays son pouvoir d’assimilation, il est souhaitable que les professions libérales, commerciales, banquières, etc. ne soient pas trop largement ouvertes aux étrangers. C’est dans la mesure où les étrangers peuvent se donner en France des cadres intellectuels et économiques – même naturalisés – qu’ils conservent davantage leur particularisme. Il y a intérêt à limiter les naturalisations dans ces professions, et d’une manière plus générale, dans les professions urbaines.

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c) Sur le plan démographique, il importe de naturaliser des individus jeunes ou ayant des enfants.
[Il n’est pas souhaitable d’accorder la nationalité française à des individus de plus de 70 ans.]

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d) Sur le plan géographique, limiter [très] strictement les naturalisations dans les villes, spécialement à Paris, Marseille, Lyon, où l’afflux des étrangers n’est pas désirable pour de multiples raisons. Par contre, les naturalisations doivent être suscitées et multipliées en province et spécialement dans les milieux ruraux.

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Je vous prie de vouloir bien donner des instructions aux préfectures pour que l’étude et l’envoi des dossiers s’inspirent de ces directives et pour que soient suscitées au besoin les naturalisations désirables.

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Ch. de Gaulle

* Sont barrés entre crochets les passages du projet de Mauco qui n’ont pas été repris dans la lettre de Charles de Gaulle.

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La Commission interministérielle fixe à 45 000 le nombre de naturalisations, soit 130 000 acquisitions de nationalité en incluant les procédures automatiques ou déclaratives. Cela correspond au nombre de nouveaux immigrés, de sorte que la proportion Français/étrangers reste identique… Elle tente de dégager les principes d’attribution. Chaque ministère pondère différemment les critères de situation de famille, de profession ou de nationalité d’origine. Finalement, les instructions publiques données aux préfectures fixent une priorité pour :

  • Les anciens combattants de 1939-45 et ceux qui ont joué un rôle dans la résistance.
  • Les parents de trois enfants et étrangers et âgés de moins de 25 ans aptes au service militaire.
  • Les parents de deux enfants et étrangers et âgés de 25 à 30 ans aptes au service militaire.

Un critère complémentaire de nationalité d’origine est ajouté.

Une circulaire du Haut Comité demande au ministère de la Justice d’accélérer les naturalisations particulièrement désirables et utiles : éléments nordiques, travailleurs directement productifs, en limitant l’étude des candidatures moins désirables : professions commerciales, libérales, artisanales, urbaines, en particulier des grandes villes.
Circulaires, instructions, notes et réponses traduisent la poursuite des débats entre Mauco, du Haut Comité, et Teitgen, du ministère de la Justice.

Un nouveau code de la nationalité est élaboré en 1945 et remplace celui de 1927. Très détaillé, il reflète les préoccupations démographiques et la volonté de renforcer le contrôle préalable de l’Etat sur les acquisitions de nationalité. Le délai de résidence est porté de trois à cinq ans (sauf exceptions), et quatre critères de recevabilité s’ajoutent : résidence effective, moralité, assimilation et bon état de santé. La gestion des naturalisations est retirée au ministère de la Justice et attribuée au ministère de la Population, créé en décembre 1945.

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À cette date, il y a :
200 000 dossiers de naturalisations en instance
500 000 dossiers de déclaration en instance
90 000 dossiers à instruire annuellement
36 000 consultations juridiques
30 000 changements de noms
plus les interventions des cabinets, des parlementaires, etc.

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Le rythme des naturalisations s’accélère considérablement : 17 351 en 1946, 83 317 en 1947, année-record, 58 823 en 1948. Le total des acquisitions de la nationalité française atteint 38 869 en 1946, 111 736 en 1947, 70 925 en 1948. Priorité absolue est donnée aux résistants, aux mineurs polonais, puis aux travailleurs agricoles. Mais l’impératif démographique conduit à des naturalisations massives. Les dossiers sont traités par les préfectures, puis transmis au ministère de la Population qui les traite selon l’ordre de priorité établi par le Haut Comité. D’abord ceux des ouvriers mineurs, des combattants et des familles de trois enfants, puis les autres selon l’âge, la situation familiale et professionnelle. En 1947, le taux de décision positive s’élève à 93,3 %. Cette même année, les industriels, commerçants et ouvriers de la petite industrie représentent 42,2 % du total des hommes naturalisés, les agriculteurs et ouvriers agricoles 17,2 %, les mineurs 9 %.

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Le rythme se ralentit à partir de 1947-48. Au début des années cinquante, la Guerre froide et la réintégration du critère ethnique (favoriser les ressortissants d’Europe septentrionale) conduisent à faire chuter le taux de décision positive : 80 % en 1950-51 ; 63,5 % en 1952-53-54. À partir de 1953 cependant, de nouvelles directives plus libérales (abandon du critère de l’origine nationale) sont données et le taux d’acceptation remonte.

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Les documents sur la naturalisation de Mendel et Mirla Milewski sont visibles dans la section documents.

Sources :
La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos jours, Patrick Weil, Folio actuel, 1995.
Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Patrick Weil, Grasset, 2002.

https://www.unlivredusouvenir.fr/france-apres-guerre.html

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1 Commentaire

  1. Oui mais bon, la suite n’a pas été brillante non plus et sous De Gaulle, qui plus est :
    1956-1972 : l’immigration s’accélère avec la décolonisation et l’entrée en vigueur au 1er janvier 1958 du traité de Rome, qui instaure le principe de libre circulation des personnes.
    Déclin progressif de l’immigration italienne au profit de l’immigration espagnole et portugaise. Développement de l’immigration marocaine et tunisienne. Forte augmentation de l’immigration algérienne après la fin de la guerre en 1962, et début de l’immigration africaine subsaharienne.

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2002/12/06/les-dates-cles-de-l-immigration-en-france_301216_3224.html

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