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Excellent article de Jean-Paul Brighelli : Michel Onfray, « Théorie de la dictature ou Le Petit Orwell illustré ». A lire et relire.
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Au programme des prépas scientifiques, cette année, « la Démocratie ». Comme quoi l’Inspection générale, tout en restant ostensiblement respectueuse, est parfois matoise : intituler ainsi le sujet de réflexion donné aux futurs Polytechniciens et autres Ingénieurs, c’est présupposer qu’il y a dans « la démocratie » de quoi alimenter une problématique.
(En fait, il y a de quoi en alimenter trois : ce « la » singulier s’interroge, le « démos » manque de clarté, quant au « kratos »…)
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Eh bien, sur le « kratos », le « pouvoir », il y a le dernier livre de Michel Onfray.
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Bien sûr, les âmes sensibles objecteront que « dictature » est bien loin de « démocratie »… C’est qu’elles n’ont lu ni Platon, ni Bodin, ni Montesquieu — ni Orwell.
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Comme le remarque Onfray dans les premières pages, il plane sur Orwell un double soupçon. Pour les philosophes, il est trop romancier ; pour les littéraires, il est trop idéologue. Ce sont les reproches que ces imbéciles font aussi à Voltaire et à Camus, ce qui met Orwell en bonne compagnie.
Théorie de la dictature s’appuie sur une lecture fine des deux écrits majeurs d’Eric-Arthur Blair, 1984 et la Ferme des animaux. Une fois que vous avez décrypté les allusions aux deux systèmes totalitaires frères et rivaux du XXe siècle, le nazisme et le socialisme version URSS, reste l’os de ces deux œuvres : la description de l’essence de toute dictature.
Onfray définit sept principes de cette essence :
– Détruire la liberté ;
– Appauvrir la langue ;
– Abolir la vérité ;
– Supprimer l’Histoire ;
– Nier la nature ;
– Propager la haine ;
– Aspirer à l’Empire.
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Et il en tire la grille de lecture de « l’empire maastrichien » (c’est le sous-titre), qui est par ricochet le gouffre où s’engloutissent les nations — par exemple la nôtre.
L’habileté des thuriféraires de l’Europe bruxelloise tient justement à l’identification forte des totalitarismes passés, qui permet de faire passer pour démocratique la conception dictatoriale de leur propre système.
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Notez d’emblée que la construction européenne, sous houlette américaine (Onfray raconte dans le menu ce que fut Jean Monnet, bootlegger au temps de la Prohibition, banquier à Chicago, comploteur anti-De Gaulle, agent de la CIA, atlantiste de choc, anti-souverainiste de principe), a su rameuter le socialisme version Mitterrand, et le gauchisme version Cohn-Bendit, Joffrin, Goupil ou BHL — qui en prend pour son grade.
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Parce qu’il est temps de rappeler que le gauchisme, plus qu’une maladie infantile du communisme (dixit Lénine), est une maladie sénile du capitalisme. Une maladie bien utile : « Mai 68, dit Onfray, marque la fin de la domination gaullo-communiste qui se trouve remplacée par le tandem libéral-libertaire ». Le rôle de Giscard dans la dissolution de la maison France (à commencer par la dissolution de l’école française grâce à René Haby) est essentiel ; celui de Mitterrand après 1983 aussi : « Cet homme, explique Onfray, fit comme l’empereur Constantin [qui convertit d’un coup l’empire romain au christianisme ] : sa conversion fut celle de toute une gauche, celle du socialisme de Jaurès et de Blum, transformée en bras armé du capital qui ne s’est jamais aussi bien porté qu’avec elle. » . Le référendum sur Maastricht, c’est Mitterrand — et il y mit tout son poids et tout son cinéma de demi-mourant. L’entourloupe de Sarkozy après le rejet du référendum de 2005 sur le Traité de Lisbonne n’est que l’hommage du vice au vice. « Un coup d’Etat des élus contre le peuple » — mais il y a longtemps que les élus ne sont plus au service du peuple (et voilà pour la démocratie !). Du coup, « il ne fait aucun doute que le mouvement des Gilets jaunes, dans son origine et pour l’essentiel de ses revendications qui sont connues et clairement identifiables, manifeste le retour du refoulé maastrichien. »
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Je fais une parenthèse. Onfray écrit très bien. « Trop bien », lui reprocha Polac lors d’une émission au début des années 1990 : « Je n’ai jamais su ce que signifiait ce reproche, sauf à célébrer les livres pas écrits du tout ». C’est que la modernité, conformément à ce que j’ai dénoncé moi-même (dans C’est le français qu’on assassine) et à ce que démontre Onfray, a choisi l’oral contre l’écrit — afin de tuer la pensée. « L’une des façons de tuer l’écrit, c’est de tuer l’oral » — certes : d’où la prépondérance des « débats », à l’école (« le cœur nucléaire de l’apprentissage de la langue ») ou à la télé. Le bla-bla érigé en principe pédagogique et démocratique. « L’assèchement intellectuel qui rend impossible toute révolte. » On n’en est plus à brûler les livres, comme chez Bradbury, ni même à les caviarder, comme chez Orwell ou Patrice Jean : « Il suffit juste de rendre impossible le lecteur ».
Onfray accumule donc les formules qui portent, les phrases ciselées qui signifient quelque chose, la rhétorique au service de l’acuité d’esprit. Bref, il est vieux. Daté. Irrécupérable. On ne dira pas de bien de son livre dans Libé, ni dans le Monde, ni dans Télérama. On n’en dira rien du tout — la presse a anticipé depuis belle lurette les injonctions de la loi Avia, et élimine a priori toute pensée non conforme. Cherchez donc Onfray dans les médias, depuis quelques mois…
Il n’oublie pas pour autant qu’il est philosophe, et que comme Socrate l’a démontré à fil de dialogues platoniciens, « si une chose est vraie, le contraire de cette chose ne peut être vrai en même temps ». D’où la conclusion impitoyable — suivez son regard : « Penser qu’en même temps est une formule logique possible ou pensable relève du nihilisme intellectuel. » L’avant-dernière étape de la fusion de la démocratie en dictature — en démocrature —, c’est Napoléon IV. La dernière étape est programmée pour 2050. Le trans-humain. Le post-humain. GAFA forever !
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On en revient à la formule toujours d’actualité de La Boétie, pour laquelle Onfray montre une révérence que je partage : « Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres. » Parce que le futur, si nous ne nous révoltons pas rapidement, sera ce qu’avait prévu Orwell — mieux que Greta Thunberg ou Yves Cochet et tous les déclinistes prophètes de l’apocalypse : « Si tu veux une image du futur, figure-toi une botte qui écrase un visage humain — indéfiniment. » Ce n’est pas de deux degrés de plus que nous allons mourir ; c’est d‘avoir confié le pouvoir à une oligarchie de hyènes.
Jean-Paul Brighelli
PS. J’enseigne entre autres en prépas scientifiques — donc, « la démocratie » . Mais aussi dans une classe qui prépare l’Heptaconcours des IEP de province — au programme, le Secret et Révolution(s). Si Onfray est disponible, je l’invite volontiers — avant mars, si possible — à venir expliquer aux uns la dictature, et aux autres la Ferme des animaux, récit d’une révolution au sens copernicien du terme — qui revient à son commencement.
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C’est vrai ce que vous dites ! L’oral annihile la pensée, au contraire de l’écrit !
Il permet de structurer sa réflexion et de l’enrichir;
Heureusement pour lui Onfray ne se défend pas mal non plus à l’oral lorsqu’il va dans les émissions TV où justement on a pas le temps de développer le fond de sa pensée.
Les sept,principes énoncés par Onfray ,sont exactement, le portrait de celui, que la populace française a placé au pouvoir ,Macron ! Donc, les franchouillards, sont responsables, de leur descente aux enfers ! Pire, ils sont trop soumis ,pour redresser la barre ,avec la force, qui reste le seul moyen d’échapper au servage qui guette ce pays !
Excellent ! Et la langue française si belle !
le trio rageant apparait en fin d’ article en photos
la Saaleté
la trisomique
l’ hominidée
😜👍👌😊
Erreur de ma part: le titre du livre de Rayski, c’est « Le gauchisme, maladie SÉNILE du communisme ».
Pardon… Mais je vais m’offrir un petit moment de pedantisme – ça fait toujours plaisir – sur un point annexe de l’article de Jean-Paul Brighelli, l’emploi du mot « gauchisme » en l’occurrence. Lorsque Lénine a écrit « Le gauchisme, maladie infantile du communisme », c’était lui le gauchiste au sens actuel que nous donnons à ce terme. En effet, le cinglé Oulianov entendait lutter contre les « dérives » des organisations ouvrières néerlandaises, qui essayaient alors d’obtenir pour les travailleurs de leur pays un maximum d’avantages en s’insèrent au mieux dans la vie politique démocratique. Bref, les ouvriers des Pays-Bas étaient en voie de devenir de bons petits sociaux-démocrates, soucieux d’augmenter les avantages que leur avait déjà concédés l’une des sociétés capitalistes les plus évoluées au monde. Ils ne pensaient plus au prolétariat mondial. Une honte!
A l’inverse, ceux que nous appelons maintenant les gauchistes pensent surtout à faire venir en Europe le prolétariat, et même et surtout le lumpen-prolétariat, de tous les pays du monde, et même et surtout des pays musulmans, au détriment des avantages acquis par les travailleurs français. Nos gauchistes usent pour cela de la stratégie de la barre de fer et du cocktail molotov. En cela, ils se montrent de fidèles disciples de leur maître à penser Oulianov, et ils auraient très certainement molesté avec ardeur les pue-la-sueur bataves.
C’est dans ce sens que Benoît Rayski a écrit son livre « Le gauchisme, maladie infantile du communisme ». Pour finir, je voudrais émettre une critique à la fois amicale et irrévérencieuse à l’encontre de Rayski. Et dire que le « communisme », en tant que léninisme, était déjà dès sa naissance un infantilisme d’attardé mental – Lénine était par ailleurs très intelligent sur bien d’autres points – ou une maladie sénile, ou relevait d’autres types de pathologie mentale que je ne vais pas passer mon temps à énumérer.