Nous avons, ce jour, rencontré un grand défenseur de la langue française, Albert Salon, ancien ambassadeur de France. L’occasion de faire mieux connaissance avec un homme qui est le symbole, par son parcours, de la méritocratie que permettait la République… avant.
Riposte Laïque : Les lecteurs qui vous connaissent savent que vous avez été ambassadeur de France, que vous animez une émission mensuelle sur Radio Courtoisie, et que vous êtes un grand défenseur de la langue française. Pourriez-vous nous en dire davantage sur vous ?
Albert Salon : Avant d’être ce que vous rappelez (merci !), j’ai été, enfant et adolescent, très pauvre, plein bénéficiaire des écoles et de l’ascenseur social de la République. Notamment, à Auxerre, de l’école normale d’instituteurs, formant alors les « hussards noirs de la République » (Péguy dixit). Le petit villageois enfant de chœur, puis « cœur vaillant » au patronage, que j’avais été avant d’entrer par concours dans ce séminaire laïque, a pleinement adhéré à la (vraie) laïcité (issue du « rendre à César » !…), mais en s’opposant déjà à ses dérives laïcistes et « laïcardes » dirigées contre les « cathos », les « talas » (qui vont-à-lamesse). Devenu agnostique, je n’ai pas changé sur ce plan ; et je souhaite vivement que la laïcité s’applique pleinement, légitimement, sans complexe ni trouille, au principal danger politico-religieux actuel : à l’islam envahissant.
Riposte Laïque : Comment avez-vous réagi aux propos du président de la République, qui, lors de son discours sur la francophonie, a parlé de plurilinguisme, et d’un avenir composé de plusieurs types de langue française ? Cela vous a-t-il surpris ?
Albert Salon : Je trouve, certes, le président de la République très inquiétant sur bien des plans, y compris sur ceux du français et de la francophonie.
Son discours du 20 mars 2018 sous la Coupole, repris en partie les 11 et 12 octobre 2018 au Sommet francophone d’Erevan, laisse apparaître ce qu’il a montré plus clairement par ailleurs : une position – comme à l’égard de l’islamisme – trop édulcorante, voire complaisante à l’égard de cet autre danger mortel pour nous : l’empire, les menées impérialistes anglo-saxonnes. Le président de la République prône trop l’anglais et ne lutte pas sérieusement contre l’énorme entreprise à l’œuvre pour remplacer chez nous le français par l’anglais, relayée par beaucoup trop de « collabos de la pub et du fric » dénoncés par notre philosophe Michel Serres. Il y aurait un grave danger pour la francophonie mondiale à considérer qu’elle ne serait bonne que hors de France !…
J’ai écrit – et largement diffusé – nos deux critiques vigoureuses les plus récentes : la peur de monsieur Emmmanuel Macron d’invoquer en Conseil de l’UE les conséquences logiques du Brexit sur les langues officielles des institutions de l’UE, et son soutien déterminant et très dangereux à l’élection de Mme Mushikiwabo comme Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Mais sur l’apparente « délocalisation du français », je crois à la nécessité d’une stratégie politique intelligente de cette langue en partage au sein de la communauté francophone.
L’appropriation (bienvenue) du français par d’autres, était prônée dans tous nos (et mes) écrits depuis 40 ans.
Nous devrions donc nous féliciter que l’émancipation du français en Afrique commence à être une réalité aujourd’hui. N’oublions pas que c’était déjà le cas en Belgique, au Québec, en Suisse, en l’Île Maurice…
Il n’est pas malsain de le constater, ni de le dire et de l’encourager. Laissons, sur ce plan, le bénéfice du doute au président.
Car tous ceux qui connaissent de l’intérieur, comme moi, la Francophonie organisée, savent bien que les reproches de néocolonialisme et de néo-impérialisme faits à la France depuis les conférences de Bandoung (1955) et du Caire, sont loin d’être éteints. Alors même que notre classe politique cultive plutôt l’absurde repli, l’ignorance et la repentance, que l’appétence pour la dominance, les Anglo-Saxons (un comble de la part de ces colonialistes génocideurs !), les Russes (déplaceurs de populations entières …) ; les Chinois (voyez le Tibet ; voyez le Sin Kiang, ancien Turkestan chinois, pays des Ouïgours brimés et submergés par les Han) ; les islamistes (les plus grands des esclavagistes depuis bien plus longtemps que les Européens, et encore aujourd’hui), répètent et amplifient ces reproches à l’envi et en boucle, pour détourner de nous, soulever contre nous, les Africains francophones, et casser cette Francophonie qui les dérange beaucoup. Face à eux, cultivons une Francophonie intelligente, généreuse, rayonnante. Certes pour des raisons d’intérêt national ; mais plus encore pour des raisons plus généralement civilisationnelles.
Cela ne signifie naturellement pas que le français n’est plus en France, ni qu’il doit en être chassé, et remplacé par l’anglais.
Dans les réactions récentes de trop de Français, il y a eu là un procès d’intention sans doute excessif, infondé.
Il nous faut raison et honnêteté garder, certes tout en renforçant encore notre vigilance à l’égard du pouvoir actuel.
Riposte Laïque : Nous savons également que vous êtes un patriote convaincu, sensible à tous les symboles qui font la grandeur de la France. Comment réagissez-vous à deux décisions du président de la République, à l’occasion du centenaire de la victoire de 14-18 ? D’abord celle de refuser d’honorer les huit maréchaux victorieux, en raison de la présence parmi eux de Philippe Pétain ? Et ensuite celle consistant, pour ne pas froisser l’Allemagne, à ne pas organiser de défilé militaire ?
Albert Salon : Vous l’avez dit : je ne suis pas nationaliste, mais ardent patriote, affirmant le droit de la nation française à persévérer dans son être très original, donc aussi à commémorer, transmettre, faire vivre, les pages glorieuses de son Histoire.
Dans le cas de ce centenaire, je n’utiliserai pas l’argument des blasés, voire des hostiles, qui vont pensant et disant :
« Les poilus sont tous morts ; nous ne célébrons plus d’autres victoires salvatrices du pays, telle celle de 1453 (fin de la guerre de Cent ans), celle de 1712 à Denain du maréchal de Villars, sauvant la France de Louis XIV alors très mal en point ; Jacques Chirac n’a pas voulu de grande célébration d’Austerlitz lors du bicentenaire en 2005 ; et, enfin, aurons-nous de 2114 à 2118 autant de commémorations du bicentenaire de la Grande Guerre que lors du présent centenaire ?… »
Non ; c’est une réponse de diplomate que je vous fais :
Malgré toutes les critiques vigoureuses que nos diverses associations formulent à l’égard de monsieur Emmanuel Macron, je pense qu’en l’occurrence il n’a eu que le tort – si c’en est un ! – de vouloir marquer en 2018 un symbole de la réconciliation franco-allemande, qui fut d’abord gaulliste. En invitant Mme Merkel, il a pu juger que l’aspect militaire des cérémonies aurait pu humilier la Chancelière et l’Allemagne (qui ne célèbre plus un Rossbach (1757), deux Forbach et deux Sedan : 1870 et 1940).
Ou alors, il ne fallait pas l’inviter et rester entre Alliés vainqueurs, avec défilé et hommage aux poilus et maréchaux…
D’ailleurs, le président va faire du 3 au 11 novembre une « itinérance mémorielle » sur les hauts lieux d’héroïsme des Poilus sous leurs maréchaux, y compris Pétain, à qui de Gaulle avait, à Verdun, rendu hommage, seulement pour Verdun. Ce n’est tout de même pas comme si l’actuel président n’avait rien fait de militaire pour 2018.
Riposte Laïque : Parlez-nous de votre émission mensuelle, sur Radio Courtoisie, en défense de la langue française ?
Albert Salon : Radio Courtoisie (sur 95,6 Mhz) est une radio libre ; en fait de toutes les droites. Une des très rares radios libres en France. Et peut-être la seule au monde qui vit vraiment sans subventions, sans grand parrain contrôleur d’opinion, sans ressources publicitaires, et dont les patrons d’émission et leurs assistantes sont bénévoles. Un pari de son fondateur Jean Ferré en 1983. Audacieux, car les auditeurs, occasionnels ou fidèles, sont entièrement libres d’écouter sans rien payer. On ne sait pas a priori qui écoute ! Si cette radio vit des seules cotisations depuis 35 ans, cela signifie qu’elle intéresse, que beaucoup de gens très divers, y compris du centre et de la gauche, y trouvent une respiration, une liberté, face à l’étouffant politiquement correct des grands media.
J’ajoute que c’est la seule radio qui se proclame fièrement « radio libre du pays réel et de la Francophonie ».
Voilà pourquoi, il y a plus de 15 ans, lorsqu’elle est venue chercher le gaulliste que je suis, j’ai accepté d’y diriger une émission intitulée « Le français en partage » pour y traiter, non seulement du bon usage de notre langue et de notre grammaire, mais encore – et surtout, à mes yeux – de son usage même, de la politique linguistique, de la question politique vitale pour la France et la civilisation, de sa langue et de de la Francophonie organisée, de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF, pour les intimes). J’y parle en totale liberté, personne ne me reproche d’y faire venir à l’occasion des gens de gauche, tels le grand linguiste Claude Hagège ou Julia Kristeva, qui acceptent de leur côté de braver les remontrances de leurs collègues, parce que « le français en partage » a la réputation d’être une émission de droite très ouverte au débat. Cette radio est aussi un porte-voix de 32 associations françaises qui agissent en synergie pour notre langue et la francophonie mondiale.
Vous, Christine et Pierre, le savez, puisque vous avez été invités à venir à mon antenne répondre à ma question : « Que font les laïques et les identitaires pour le français et la Francophonie ? »
Riposte Laïque : Pouvez-vous nous parler d’actions entreprises par les défenseurs de la langue française ?
Albert Salon : Nos actions sont multiples, sur tous les terrains, y compris – avec des syndicats – sur celui du droit des travailleurs à travailler en français en France. Depuis notre création en 1992, elles sont, entre autres, juridiques et contentieuses : Avenir de la langue française (ALF), par exemple, fit en 1992 introduire par des parlementaires amis la précieuse phrase « La langue de la République est le français » dans la Constitution ; élabora le projet devenu loi Toubon du 4/8/1994 ; obtint, par des parlementaires amis, en juillet 2008, de constitutionnaliser la Francophonie-Communauté (titre XIV, art. 87) ;
ALF lança :
– en 2012, la campagne Communes de France pour la langue française, et présenta en mai 2017 les votes de centaines de communes représentatives de toute la France en équivalent de référendum d’initiative populaire ;
– en 2013, la grande campagne médiatique contre l’article 2 de la loi Fioraso qui ouvrait les vannes à l’enseignement en « globish-pour-tous » dans nos universités. D’intéressants amendements ont été obtenus. Elle a déposé des recours devant les tribunaux administratifs contre 5 universités et établissements (dont l’ENS !…) qui avaient offert des formations diplômantes exclusivement en anglais, en violation flagrante de la loi Fioraso-Toubon ; en 2016, la campagne pour l’introduction d’un « droit au français » dans la loi « Égalité et citoyenneté » ;
– dès le 24 juin 2016, la campagne pour tirer la conséquence logique du Brexit sur les langues officielles de l’UE, relancée vigoureusement après le 20 mars 2018 et la présentation par M. Macron de son Plan pour le français et la Francophonie ;
– en 2017, la campagne contre le débile slogan en anglais (« made for sharing ») de présentation de la candidature de Paris aux JO de 2024 ;
– en 2017, la campagne de sensibilisation, avec dossiers très nourris, des candidats à l’Élysée et à l’Assemblée, qui a obtenu des engagements écrits précis de la part de plusieurs candidats, dont Mme Le Pen, MM. Dupont-Aignan, Macron et Mélenchon ;
– en 2018, la campagne pour la prise en considération de ses objectifs pour la Francophonie multilatérale lors du 17e Sommet de la Francophonie, en octobre à Erevan.
ALF agit pour français et plurilinguisme dans UE et institutions internationales ; organise la synergie entre 32 associations françaises et 8 associations francophones hors de France qui décident au cas par cas de leurs actions communes ;
– promeut la solidarité avec les peuples et communautés francophones : entretient des liens avec des associations et mouvements francophones québécois, suisses, wallons ; ainsi que, dans leurs langues respectives, avec des associations allemandes, italiennes ;
– ALF a lancé en octobre 2001, du balcon du « Plaisir » du roi François Ier, le projet « château de Villers-Cotterêts » : Institut international de documentation, formation et recherche sur la Francophonie et la diversité linguistique et culturelle européenne et mondiale, projet que le président de la République, M. Macron, vient, le 20 mars 2018, de reprendre à son compte.
ALF participe par son président à l’Académie-jury des prix « Carpette anglaise » et « Tapis Rouge ».
En février 2018, ALF et « La République exemplaire » ont commandé ensemble à l’Institut d’opinion BVA un sondage national pour mesurer l’attachement des Français à leur langue et à la Francophonie. Résultats très satisfaisants !
ALF a été distinguée par l’OIF : Le président d’Avenir de la langue française (ALF) a reçu de M. Abdou Diouf la médaille Senghor de la Francophonie 2014,au siège de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), en hommage à ALF et aux associations qui, en France et au dehors, « mènent ensemble un combat exemplaire pour la langue française en France et pour la solidarité et la coopération entre les pays, communautés et collectivités locales, qui ont le français en partage. »
Riposte Laïque : Vous avez, tout en les félicitant pour leur action au col de l’Echelle, critiqué les militants de Génération Identitaire, pour avoir utilisé des banderoles écrites en anglais. Avec le recul, que pensez-vous de cette divergence ?
Albert Salon : Oui, je les ai félicités pour cette action. Je les ai aidés aussi plusieurs fois lorsqu’ils défendaient l’identité nationale (je préfère d’ailleurs parler de « personnalité nationale » expression moins figée, plus évolutive). Je ne soutiens pas les identitaires régionalistes qui veulent – légitimement – maintenir les langues régionales, mais dont certains veulent se servir de ces langues pour, souvent avec l’aide de l’étranger et de Bruxelles, bras armé de l’empire, casser la nation française.
Dans les cas du toit de la mosquée de Poitiers en construction, comme du col de l’Échelle, il s’agissait bien de défense de la France contre des envahisseurs et des clandestins.
Mais le faire en anglais au col de l’Échelle, sans aucune raison valable, c’était servir en fait l’autre ennemi principal, peut-être le plus immédiatement dangereux pour la France et l’Europe : l’empire anglo-saxon.
N’oublions pas que certains régionalistes promeuvent l’usage de l’anglais à la place du français, pour affirmer une forme d’indépendance par une allégeance étrangère ! Lourde erreur, car leurs langues régionales seraient, face à l’anglais, bien moins protégées qu’elles ne le sont dans la République française.
Riposte Laïque : Souhaitez-vous ajouter quelque chose, Monsieur l’Ambassadeur ?
Albert Salon : Oui. L’expression de ma gratitude pour m’avoir invité à parler à vos membres et militants, et mon espoir que le français et la Francophonie feront bien partie intégrante, importante, de leur (et de votre propre) combat pour la France.
Propos recueillis par Pierre Cassen
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« le faire en anglais au col de l’Échelle, sans aucune raison valable »
C’était peut-être pour que les médias étrangers comprennent ce qui se passe en France, non ? Je dis ça, je dis rien.
Quant à Macron, il est l’un des principaux promoteurs de l’anglo-saxon malgré ses gesticulations sur la Francophonie. Son utilisation du « Franglais » le prouve à chaque apparition.
Albert Salon me semble vraiment être le fayot-type de la « défense de la langue française » comme on en a vu dans les trente dernières années socialistes. Je ne comprends pas -hors libre parole convenue- la raison pour laquelle RR invite à blablater ce genre de type; surgeon dégénéré des Bettati et sous-ordres!
Il n’est pas du tout socialiste et plutôt je pense souverainiste. L’important est que notre langue ne disparaisse pas au profit de l’anglais. Il faut s’opposer à la fois au prosélytisme islamiste qui s’étend lentement mais surement dans notre pays ainsi que dans les autres pays européens mais aussi à l’anglo-américanisation de notre continent qui menace la diversité linguistique de l’Europe et qui appauvrit notre vocabulaire.
On ne peut pas se dire attaché à la France et aux pays européens et laisser disparaître à moyen terme les langues européennes au profit d’une seule l’anglais. Quand un seul emprunt à l’angler, le verbe booster fait disparaître toute une série de verbes français : stimuler, dynamiser, accroître, augmenter, renforcer, accélérer c’est quand même inquiétant et je pourrai prendre 100 autres exemples de ce type.
Et on nous bassine avec « la richesse de la langue anglaise » !…
Nos synonymes apportent tous une nuance spécifique, ce qui n’est pas le cas de l’anglais chez qui les synonymes ne sont que des mots d’origines différentes (notamment anglaise et saxonne) ayant exactement le même sens.
« leurs langues régionales seraient, face à l’anglais, bien moins protégées qu’elles ne le sont dans la République française. »
Curieuse « protection » quand on sait que les langues régionales d’Alsace-Moselle sont à l’agonie…
Il est possible de protéger à la fois la langue nationale et les langues régionales. Pour les langues régionales c’est d’abord aux familles de les transmettre à leurs enfants et aux grands parents aussi. Il faudrait également que des associations se créent et sollicitent des subventions des département ou des régions. Mais je suis un peu pessimiste je crains que toutes les langues européennes – autre que l’anglais – qu’ils s’agissent de langues nationales (allemand, néerlandais, italien, espagnol, français) ou régionales (alsacien, breton, basque, frioulan en Italie Romanche (en Suisse) frison (Nord des Pays-Bas et de l’Allemagne disparaissent face à l’anglais.
Bonjour rinocero,
Ce ne sont pas les associations de promotion des langues régionales qui manquent, mais elles sont incapables d’endiguer le phénomène de disparition programmée de ces langues.
En réalité, il faut que la langue régionale chez elle ait un statut a minima d’égalité avec la langue nationale, que son enseignement soit obligatoire dans toutes les écoles, qu’elle soit obligatoire dans les administrations locales à l’instar de la langue nationale.
Il faut une politique volontariste comme au Québec qui a réussi à préserver la langue de ses habitants face à l’anglais. Car si en France il est normal de parler français, il est tout aussi normal en Bretagne de parler breton, au Pays Basque de parler basque, en Corse de parler corse, et en Alsace de parler alsacien, jo ammel! (= of course)
superbe entretien