« Occitan », langues d’oc et Etat de droit
« la langue occitane » est entrée dans notre droit par la loi Deixonne, de son nom officiel loi n° 51-46 du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux. Or cette loi fut adoptée « sans débat » grâce à une intense activité “de coulisses” dont a rendu compte aussitôt un de ses protagonistes, le journaliste parlementaire et militant de l’« occitan » Pierre-Louis Berthaud (Lo Gai Saber n° 237, janvier-févier 1951, pp. 243-255).
[sur Lo Gai Saber, télécharger ici l’édifiant récit par P.-L. Berthaud des conditions peu démocratiques de l’adoption de la loi Deixonne en 1949-50 : P.-L. Berthaud – Loi Deixonne 1951 ]
Les langues visées n’apparaissaient qu’à l’article 10 qui prévoyait l’application de la loi à la rentrée scolaire 1951 « dans les zones d’influence du breton, du basque, du catalan et de la langue occitane ». On remarque la mention de « langue » pour l’occitane, les autres idiomes n’en ayant pas besoin pour être reconnus comme tels, et qu’avec une « zone d’influence » sur plus de 30 départements, elle vient en dernière place, après le catalan qui n’en couvre qu’un !
24 ans après, un amendement d’origine parlementaire allait devenir l’article 12 de la loi de “réforme” proposée par le ministre de l’éducation nationale René Haby (n° 75-620 du 11 juillet 1975), article qui réaffirmait plus nettement encore la place de l’enseignement des langues et cultures régionales tout au long de la scolarité.
Pour l’application de cet article 12, le ministre adressa aux Recteurs une importante circulaire (n° 76-123 du 29 mars 1976) sur la « Prise en compte dans l’enseignement des patrimoines culturels et linguistiques français ». À cette occasion il rappelait « que les langues reconnues par la réglementation en vigueur sont : le breton, le basque, le catalan, les langues d’oc et le corse. »
On remarque d’abord que le corse est nouveau par rapport à la loi Deixonne : il avait en effet été ajouté par décret n° 74-33 du 16 janvier 1974, car la désignation des langues objet de cet enseignement était passée dans le domaine règlementaire en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution de 1958 ; cela avait été constaté par le Conseil d’État lors d’une première modification par le décret n° 70-650 du 10 juillet 1970 qui avait abrogé la 2ème phrase de l’article 9 de la loi.
Mais les occitanistes remarquèrent surtout que « langue occitane » était remplacé par « langues d’oc », ce qu’ils ne pouvaient accepter. Il y eut diverses protestations dont un communiqué de l’Institut d’études occitanes tellement grandiloquent que ce serait dommage de ne pas le reproduire (Annales de l’I.E.O., n° 1, 1977, p. 138) :
« Ces circulaires [sic, au pluriel] pulvérisent la langue occitane dans une multitude de parlers locaux et enferment une culture vécue par un peuple depuis un millénaire et de rayonnement universel dans un folklorisme de clocher ».
Plus sérieux fut le recours en Conseil d’État qu’un enseignant, M. Carbonne, exerça contre cette circulaire, mais ce recours fut rejeté, ce qu’il est très intéressant de rappeler aujourd’hui. L’arrêt de rejet ne fut jamais été publié, et donc répertorié dans des tables d’exploration facile ; mais un ami m’en communiqua un jour la date, 7 octobre 1977, qui me permit d’obtenir du Conseil d’État, par retour du courrier, l’arrêt lui-même, puis les conclusions du commissaire du Gouvernement.
On ne publie d’ordinaire ces conclusions qu’à la suite de l’arrêt, seul à avoir la force du droit, mais elles le précèdent évidemment dans le temps ; dans la procédure devant le Conseil d’État, en effet, un magistrat intervient en dernier lieu pour donner son avis sur la question posée à la juridiction, tant sur les faits que sur le droit ; la juridiction le suit souvent, mais pas toujours. En tout cas, malgré son titre bien mal choisi, il le fait en toute indépendance à l’égard du Gouvernement. Les “conclusions” de certains commissaires du Gouvernement sont célèbres dans l’histoire de notre droit, car elles éclairent l’arrêt, nécessairement plus lapidaire.
Dans notre affaire, les conclusions sont signées par M. (Renaud) Denoix de Saint-Marc, alors maître des requêtes, et actuellement membre du Conseil constitutionnel. Ces conclusions s’ouvrent par un premier alinéa qui évoque le Félibrige du XIXe s., avec ses manifestations naïves et passéistes en « patois », favorisées par des « hobereaux » et des curés de village, et réprouvées par « les esprits affranchis de l’ancienne tutelle du châtelain et du curé » ; comme il est peu probable que cette peinture ait été puisée dans les arguments du requérant ou dans les observations de l’administration, il y a fort à penser que son auteur s’est fondé sur ses propres connaissances.
Or ce rappel du passé n’a semble-t-il d’autre but que de marquer le contraste avec la situation présente, où « des idéologues venus d’horizons diamétralement opposés à ceux des traditionalistes de naguère ont inventé l’Occitanie et s’acharnent à affirmer, notamment, l’unité de la langue occitane de la Gascogne à la Provence, en passant par le Limousin, l’Auvergne, le Quercy, le Rouergue et le Languedoc. »
Cependant, cette introduction n’a rien à voir en fait avec la démonstration juridique qui va conduire au rejet de la requête, qui visait le pouvoir du ministre à prendre de telles circulaires touchant à la pédagogie.
Or ce pouvoir est reconnu depuis longtemps à tout ministre, s’il n’est pas démontré que sa circulaire va contre la loi ou y ajoute, si elle est donc purement interprétative. Le Commissaire du gouvernement va donc analyser le texte pour apprécier la compatibilité de la circulaire de 1976 avec les lois en vigueur. Il mérite d’être cité intégralement :
Selon la circulaire, « chaque fois qu’une langue est pratiquée sous des formes de dialectes différenciés, c’est le dialecte correspondant au lieu où l’enseignement est dispensé et la graphie la plus appropriée à ce dialecte qui seront utilisés ».
« Ces dispositions ne constituent en réalité qu’une explicitation des termes de la loi du 11 janvier 1951.
« 1 – sans doute la loi parle-t-elle de la langue occitane. Mais il ne résulte pas de l’emploi de ce singulier qu’elle ait entendu poser en règle de droit l’unité de la langue d’oc. La loi la cite au nombre des « langues et dialectes locaux » dont il s’agit de favoriser l’étude dans « les régions où ils sont en usage » ; elle semble donc plutôt poser en principe, que l’enseignement doit être dispensé en se référant aux pratiques en usage dans les différentes régions.
« 2 – au surplus, l’emploi du singulier n’a aucune signification précise. Si les dictionnaires et encyclopédies du XIXème siècle ignorent “l’occitan”, les ouvrages contemporains (notamment le Grand Larousse encyclopédique et l’Encyclopedia Universalis), le définissent comme l’ensemble des dialectes de langue d’oc ou précisent qu’il présente trois inflexions dialectales spécifiques : le nord occitan, l’occitan moyen et le gascon. Par conséquent, en mentionnant la langue occitane, le législateur ne nous semble pas avoir voulu affirmer une unité qui n’existe pas en fait, il a simplement employé un terme qui, selon une acception communément admise, recouvre divers dialectes.
« Il ressort de tout cela qu’en parlant des langues d’oc, la circulaire attaquée n’a fait qu’expliciter les termes de la loi sans rien y ajouter et par conséquent sans la violer. »
D’où la conclusion au rejet de la requête.
On voit que le magistrat ne s’est pas embarrassé des distinctions subtiles — et controversées — entre langues et dialectes, et il avait raison, car dans les faits, ce sont des idiomes suffisamment distincts pour ne pouvoir être enseignés qu’avec des grammaires et dictionnaires différents, et langues ou dialectes, leur pluralité ne fait aucun doute.
Sans avoir besoin de reprendre cette riche argumentation, l’arrêt s’y est conformé.
Ainsi, aux requérants qui souhaitaient une application à la lettre — et, osons le mot, centralisatrice et “jacobine” — des mots “langue occitane” de l’article 10 de 1951, le Conseil d’État opposait l’esprit de la loi selon son article premier et, approuvant l’interprétation du ministre, validait l’expression plurielle « les langues d’oc ».
Étrangement, pourtant, vingt-six ans plus tard, un ouvrage collectif officiel dirigé par Bernard Cerquiglini, Délégué général pour la langue française et les langues de France, et réuni par ses deux collaborateurs J. Sibille et M. Alessio, allait affirmer, sous la plume du premier :
« L’emploi du terme langues d’oc (au pluriel) est relativement nouveau et très minoritaire, mais il tend à être mis en avant par des minorités agissantes ou des individus isolés qui, pour des raisons plus idéologiques que scientifiques, voudraient voir reconnaître autant de langues que de régions ou anciennes provinces. » (Les langues de France, 2003, p. 179).
- Denoix de Saint-Marc était donc aimablement rangé par ce fonctionnaire parmi les « individus isolés [agissant] pour des raisons plus idéologiques que scientifiques » !
Mais entre temps, une ordonnance du Président de la République datée du 15 juin 2000 et contre-signée par le Premier ministre Lionel Jospin et quelques ministres, dont celui de l’Éducation nationale Jacques Lang, a institué un Code de l’éducation, partie Législative ; elle a abrogé en conséquence les textes codifiés, dont notre loi Deixonne.
Mais le code lui-même n’en a conservé que les deux premiers articles, car seuls de nature législative ; l’article 10 n’y est pas, et ne se retrouvera pas non plus dans la partie « Décrets » du code lorsqu’elle sera publiée, sans doute en raison de son caractère transitoire.
Il n’y a donc plus aucun texte législatif ou règlementaire qui donne une liste “officielle” des langues régionales.
Il est donc abusif et même malhonnête de présenter comme telle la liste établie en 1999 par le Pr. Cerquiglini, ou pire encore celle de la loi Deixonne !
Qui plus est, il semble bien que l’État ne peut plus décider d’une telle liste !
En effet, l’article 75-1 inséré en juillet 2008 dans le « Titre XII – Des collectivités territoriales » de la Constitution apporte beaucoup aux langues régionales :
– par son libellé « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » :
– le qualificatif « régionales » enracine chaque langue dans un territoire et écarte de ce champ législatif les langues non-territoriales ;
– le substantif « patrimoine » renvoie à l’histoire de chaque langue héritée des aïeux, comme tout bien patrimonial.
– par sa place dans le titre XII de la Constitution, relatif aux collectivités territoriales, cet article en fait les maîtres d’œuvre de la conservation du patrimoine linguistique de leur territoire, comme de tout autre bien patrimonial de la collectivité. Dès lors, toute la législation relative à l’exercice des compétences générales des collectivités territoriales est applicable à leurs actions au profit de ces langues.
À cet égard, l’article 72, le premier de ce Titre XII, est d’une grande importance :
– selon son 2ème alinéa : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. »
Il s’agit là d’une mesure de décentralisation qui interdit à l’État central d’intervenir, par loi ou par décret, dans tout ce qui peut le mieux être mis en œuvre à l’échelon local ou régional. En cas de transgression, la loi peut être annulée par le Conseil constitutionnel, et le décret par le Conseil d’État, si ces juridictions en sont saisies.
Concrètement, l’État ne peut imposer le nom ou le système d’écriture d’une langue régionale, mais pourrait fixer par décret des règles générales pour la mise en œuvre des politiques linguistiques définies par les collectivités territoriales ; par exemple, fixer les conditions dans lesquelles seront déterminés les noms de communes écrits selon la langue locale (recherche dans les écrits anciens, lisibilité à l’époque actuelle en raison de la prononciation moderne de la langue, etc…).
– selon son 3ème alinéa : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. »
Chaque collectivité a donc la possibilité de prendre toutes mesures utiles pour la langue historique parlée sur son territoire, y compris des mesures règlementaires, comme l’affirmation du nom de sa langue ou le choix du système d’écriture à utiliser dans les établissements d’enseignement dont elle a la charge ou qu’elle subventionne.
– selon son 5ème alinéa : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune. »
Cet alinéa empêche l’ingérence d’une collectivité dans les affaires d’une autre. La région ne peut donc imposer des règles au département ni celui-ci aux communes. Si une coordination s’avère utile, nous verrons au Titre II comment la loi l’autorise.
Les citoyens pourront donc demander au tribunal administratif d’annuler toute décision de leur collectivité qui serait un alignement sur une décision prise ailleurs, en contradiction avec les traditions de la langue locale. Il en sera ainsi notamment de tout ce qui touche au nom de la langue, à son écriture, à celle des noms de lieux, à la réédition des œuvres du passé etc.
– selon son 6ème alinéa : « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
C’est la garantie du respect des lois et des intérêts supérieurs ; ainsi, dans le domaine des langues, le recours au préfet peut faire obstacle aux empiètements d’une collectivité sur une autre, avant d’aller au tribunal administratif.
Voilà donc l’« occitan » déchu depuis 15 ans de toute référence législative ou règlementaire, et mis au même plan que chacune des langues d’oc, pour se faire reconnaître par les collectivités territoriales. Et au moins du point de vue sociolinguistique, donc de la réalité sociale des langues, selon les termes mêmes de l’article 72, c’est à « l’échelon » des communes que « peuvent le mieux être mises en œuvre les décisions » concernant les langues, le nom que leur donnent les locuteurs et le système d’écriture qui leur convient le mieux.
7 aout 2015, Jean Lafitte, linguiste
Lire les autres articles de Jean Lafitte sur l’occitan ou la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
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Pour moi, la langue d’Oc va du Limousin au Piemontais et se décline en de multiples langues régionales : le Correzien, l’Auvergnat, le Languedocien, le Béarnais, le Rhône-Alpin, le Dromois, le Provençal (qui lui-même varie entre le Marseillais, le Toulonnais, le Dracenois…), le Nicois et le Piemontais et j’en oublie… De la même manière, le Corse varie entre le Bastiais, l’Ajaccien, le Bonifacien…Je me souviens de discussions sans fin entre ma grand-mère de Corse du Nord et son mari de Corse du Sud pour savoir lequel des deux parlait le « vrai « Corse….
Bonjour,
Oui, c’est exactement cela.
Ce soi-disant programme anti-jacobin est en fait un Jacobinisme féroce, tout autant que dévoyé.
C’est la volonté des normalisateurs de l’IEO de Toulouse d’écraser la pluralité des langues d’Oc au profit d’une langue UNIQUE, le ci-devant « Occitan », qui est en fait lui-même une reconstitution ce qui se parlait à Toulouse …
Déjà, l’emblème de ce mouvement « occitaniste » est la croix des comtes de Toulouse.
Or le Limousin, pour ne citer que lui, mais on pourrait parler du Béarn etc etc, n’a JAMAIS été sous la dépendance des comtes de Toulouse.
Tous ces Messieurs qui parlent « occitan », en 2015, n’ont jamais eu, d’ailleurs, cette langue comme langue maternelle: les prêtres qui disaient les messes, au début des années 60, que j’entendais en Corrèze, eux ,avaient une langue maternelle d’Oc: la langue limousine.
Langue autrefois prestigieuse, c’était la langue de la cour des papes en Avignon.
Plusieurs papes, dont le merveilleux Clément VI, tant et tant calomnié par la série « Inquisitio », étaient d’origine « corrézienne ».
Les mêmes observations de jacobinisme dévoyé s’appliquent pour le Breton, le Basque etc,etc
Mince, quelle démonstration ! Bravo !