QUAND LES FRANÇAIS DIGNES DÉFENDAIENT LA MÈRE PATRIE
Cette série de trois articles fait suite à une série précédente dédiée à Leclerc, Patton et Montgomery.
Cette série de trois articles fait suite à une série précédente dédiée à Leclerc, Patton et Montgomery.
Pour la première partie de cette nouvelle série, consacrée à Honoré d’Estienne d’Orves, suivre le lien ci-dessous
Pour la deuxième partie, consacrée à Bob Maloubier, suivre le lien ci-dessous
(3) HENRI ROL-TANGUY
Selon le livre de Roger Bourderon :
« ROL-TANGUY » (TALLANDIER) :
Le lieutenant-colonel Henri Rol-Tanguy, ouvrier mécanicien, responsable syndical CGTU, militant du Parti communiste français, engagé volontaire dans les Brigades internationales, Résistant et chef des FFI d’Île-de-France, militaire éloigné du service actif pour cause de Guerre froide, est une figure historique de notre pays.
Henri Rol-Tanguy doit ce patronyme à ses parents et à l’un de ses pseudonymes dans la Résistance : Rol. Celui-ci, dernier d’une longue liste et avec lequel il restera connu, est un hommage au commandant Théo Rol, des Brigades internationales, tué le 8 septembre 1938 en Catalogne, à la bataille de la Sierra Caballs. Commentant le retour d’Espagne des Brigadistes -dont le sien-, il écrit :
« L’épopée ne revit que dans les livres, et encore seulement pour ceux qui les lisent. »
Voilà qui pose bien notre étude de texte. La gloire est éphémère, les résultats obtenus par les sacrifices sont parfois dispersés par l’Histoire. L’exemple seul subsiste en tant que matière à motivation, s’intégrant dans l’héritage commun élevant l’esprit, qui doit être reconnu, préservé et transmis par les générations suivantes. Il n’y a que les imbéciles pour remettre cela en cause, pour relativiser en confondant Bien commun et idéologies passantes.
Voir mon article :
Dans son avant-propos, l’auteur le présente ainsi :
« Rol s’est longtemps montré très réticent à l’idée qu’un livre lui soit consacré. Malgré l’insistance de ses proches, il répugnait à se mettre en avant, à privilégier sa personne… l’approche du cinquantième anniversaire de la Libération le fit partiellement changer d’avis, dans un but précis : depuis longtemps chagriné sinon irrité par le peu de cas que l’abondante historiographie sur la libération de Paris faisait de la direction régionale des FFI de l’Île-de-France pendant cette période cruciale, il voulut montrer la place que son commandement et ses collaborateurs y avaient tenue, ses archives personnelles à l’appui. »
Parlant des « contestations, calomnies et inexactitudes factuelles qui l’avaient mis en cause dans des articles et ouvrages divers… » il précise que : « Lui-même a presque toujours refusé de répondre publiquement à ces mises en cause, car il estimait que l’affection et la solidarité de ceux de ses amis les plus proches qui avaient partagé ses combats suffisaient à lui rendre justice. »
Un détachement pertinent l’éloignant des polémiques à n’en plus finir. Aujourd’hui, Rol prendrait sans doute encore plus de distances.
À propos de la culture de Rol, particulièrement littéraire et éclectique :
« Je me suis formé et instruit moi-même, dans les responsabilités et dans l’action militante… Les lectures de tous ordres m’ont beaucoup éclairé. »
Rol lit au moins un livre par mois, qu’il fait soigneusement relier, ce qui n’est pas courant pour un ouvrier en mécanique. Comme quoi la culture n’est pas affaire de milieu social.
Appliquant à lui-même ses idéaux, Rol s’engage dans les Brigades internationales, composées de volontaires d’un grand nombre de pays combattant aux côtés des Républicains espagnols contre les fascistes du général Franco. Il passe la frontière le 19 Février 1937 et ne revient en France qu’après la désastreuse décision du retrait des Brigades. Le 28 octobre 1938, elles défilent pour la dernière fois afin de dire adieu aux habitants de Barcelone. Le 13 novembre suivant, les volontaires français défilent à Paris. Plus tard, Rol exprimera combien son expérience durant la guerre civile espagnole lui aura servi juste après, dans la Résistance, même si les conditions des francs-tireurs ne sont pas celles des soldats en formations de combat accompagnés d’une logistique et disposant de bases arrières. C’est à cette occasion qu’il écrit la phrase citée en début d’article. Lucide sur la faiblesse des démocraties européennes face aux fascismes, il écrit encore, avec modestie et discernement :
« Nous-mêmes, nous sommes rentrés d’Espagne sans rien exiger, sans rouler des mécaniques. J’ai repris ma place de responsable syndical en me gardant de jouer les anciens combattants chargés de souvenirs… nous allions militer à nouveau en France dans la vie civile, sans nous singulariser, mais peut-être avec une conscience un peu plus aiguë que d’autres de la montée des périls, des dangers que courait la paix, de la guerre qui se profilait… je ressentais très fortement tout le poids de la situation internationale. »
Assurément, Rol ne tiendrait pas un autre discours aujourd’hui. Seuls les idiots prétendent que l’Histoire ne se répète pas. Elle se répète inlassablement, tant que les hommes ne comprennent pas ses exemples passés, ou les oublient, ou les ignorent, ou n’en tiennent pas compte, aussi douloureux et désastreux soient-ils. Quel dommage et quel gâchis ! Quand on voit notre Éducation nationale aux mains des gauchos qui ignorent, oublient volontairement ou falsifient l’Histoire, nous pouvons avoir du souci pour nos enfants !
Son épouse, Cécile, le présente ainsi :
« Henri est venu, il a tenu à annoncer lui-même que j’étais enceinte, en me disant que c’était à lui de le faire parce qu’il était responsable de la situation. C’est bien de lui, cette attitude : le sens des responsabilités, du devoir, une attitude vraiment réfléchie, pas simplement mécanique.
Il a toujours pensé qu’il faut assumer les situations qu’on a créées et respecter une certaine conduite, une éthique, en dehors même de ses sentiments. »
Si nos politiciens appliquaient telle morale… enfin, on peut rêver !
Sportif, adepte de la pratique du vélo, Rol se fait de nombreux amis en région parisienne dans les années précédant la guerre. Il est mobilisé en 1939 à la déclaration de guerre. Il reste militaire actif jusqu’à sa démobilisation, le 16 août 1940 et rentre à Paris le 19. Il reprend tout de suite contact avec ses camarades du syndicat des Métaux CGT. Le voici donc revenu à la lutte, par une curieuse coïncidence de dates, puisque quatre ans exactement le séparent de l’insurrection parisienne où il sera chef régional des FFI. Les militants communistes et syndicalistes étant recherchés et arrêtés par la police française et la Gestapo, il entre dans la clandestinité le 5 octobre 1940 et n’en ressort que le 19 août 1944. Prudent, il n’attend pas les consignes du Parti communiste ou de la CGT, beaucoup de ceux qui le font étant arrêtés. Rol bénéficie d’un réseau d’amitiés du temps de sa pratique du vélo, qui lui offre de nombreuses opportunités de résidences clandestines, présentant l’avantage de ne pas se situer dans les milieux politiques, syndicaux ou même de résistance ; néanmoins il s’en faut plusieurs fois de peu qu’il échappe à l’arrestation.
« Le camarade planqué chez un autre communiste se faisait trop souvent arrêter car les surveillances, les filatures et les regroupements s’en trouvaient facilités. Les amis ont donc été ma meilleure garantie. Je savais que tous garderaient jalousement le secret. »
Si Rol entre ainsi dans la clandestinité ce n’est pas seulement pour échapper à la prison, c’est aussi parce qu’il œuvre déjà, avec quelques-uns, à la résistance active contre l’occupant nazi, avant la consigne du Parti communiste liée à la rupture du pacte germano-soviétique (voir situation similaire dans mon livre : « Citoyens ce roman est le vôtre). Il participe aux revendications des comités populaires et à la mise en place de l’OS, Organisation Spéciale, embryon des groupes armés de lutte contre le fascisme souvent animés par des anciens des Brigades internationales.
Rol s’active aussi dans la mise en place des GSD, Groupes de Sabotage et de Destruction, destinés à perturber l’appareil de production au service des nazis.
« L’antifascisme, la réappropriation du patriotisme par la génération de militants du Front populaire, l’héritage révolutionnaire national, l’expérience des bolchéviks et de la révolution d’Octobre, toutes choses intégrées par Henri Tanguy n’empêchent nullement que s’affirme chez lui une vocation militaire … De Clausewitz à Foch, il a assimilé les grands principes de stratégie, de tactique et d’organisation militaires. De Marx, Engels et Lénine, il connaît les écrits sur la théorie et la pratique de l’insurrection… C’est sans doute parce que Foch et Lénine font bon ménage chez lui que Rol est à l’aise dans ses fonctions… »
En 1942, les divers groupes armés initiés par le Parti communiste prennent le nom unique de FTP, Francs-Tireurs et Partisans. En ce temps-là, les militants ouvriers antifascistes étaient des vrais, ils ne jouaient pas, ils ne se trompaient pas de cible, ils risquaient leur vie contre un ennemi déterminé, organisé, implacable et sans pitié.
Le 22 juin 1941, l’armée allemande envahit l’Union soviétique et la direction du Parti communiste réagit enfin, après une grave crise morale, idéologique et organisationnelle. Sur ordre, Rol quitte les comités populaires pour intégrer une structure du Parti couvrant la région parisienne. Puis la direction l’affecte à d’autres endroits, d’autres missions, d’autres responsabilités.
« Dans ce travail obscur et périlleux, les femmes ont joué dès l’été 1940 un rôle capital. On ne dira jamais assez ce qu’elles ont réalisé comme agents de liaison… Sans elles aucune organisation n’aurait pu exister durablement. On les a souvent oubliées après la Libération… D’un bout à l’autre de la clandestinité, Cécile a eu presque continûment auprès de moi cette fonction essentielle. Cette tâche très prenante l’était d’autant plus que s’y ajoutait la tenue de mon secrétariat. C’est elle qui dactylographiait tous mes textes. »
Rol s’applique à développer et faire appliquer des techniques destinées à remplacer l’improvisation des débuts de la Résistance. Ainsi :
« Je rappelle que seul le premier groupe de trois attaque, tandis que le second protège l’action du premier et son repli, le troisième couvrant le repli général… il ne s’agissait pas non plus de décréter mécaniquement qu’il fallait dans tous les cas appliquer cette tactique… »
Rol s’inspire notamment d’une brochure fort intéressante, éditée chez Lavauzelle, sur l’intervention de la police en territoire insurgé, écrite par un officier allemand et paru een 1921.
Alors que la Libération approche, la Résistance prend une forme plus structurée et plus cohérente, dirigée depuis Londres -et donc n’est plus laissée à l’initiative et à la seule direction de partis politiques ou autres. Rol est nommé à l’état-major FFI de la Région P, laquelle couvre la région parisienne et s’étend jusqu’à des départements plus éloignés tels que l’Aube, l’Yonne, le Cher, le Loir-et-Cher, le Loiret, l’Eure-et Loir… Il est chargé du 3e Bureau (Opérations). Là se trouve un élément déterminant de l’action de Rol, apportant un éclairage précis sur sa fidélité envers la France, indépendamment de son appartenance politique :
« Contrairement à bien des chefs de groupes armés, pour qui les FFI ne doivent pas empiéter sur leur liberté d’action -à commencer par les FTP, qui ne sont pas vraiment sur la longueur d’onde de cette note- le chef du 3e Bureau prend manifestement parti, dès son entrée en fonction, pour que les directions FFI exercent un commandement réel sur l’ensemble des formations armées résistantes. »
Notons que les FTP, Francs-tireurs et Partisans, sont d’obédience communiste, ce qui ajoute à la loyauté démontrée par Rol qui en est issu.
Le 5 juin 1944, Rol est nommé chef régional des FFI pour la même Région P. Il doit encore affirmer l’autorité des FFI, mais aussi celle du Conseil National de la Résistance et du Gouvernement Provisoire de la République Française face à des manœuvres orchestrées par le Parti communiste, lequel prend l’initiative unilatérale de créer un Conseil central des Milices patriotiques, qu’il entend diriger. Rol constate l’incongruité de cette déclaration, les Milices patriotiques étant un élément mineur de la Résistance. Mais, surtout, il prend la mesure de l’orientation vers la guerre civile à laquelle telle prétention peut conduire. En effet, la tentation d’utiliser un mouvement populaire pour prendre le pouvoir, quitte à entrer dans une lutte perdue d’avance contre les Alliés ne peut être négligée. Rol sait qu’il doit lutter contre cette tentation factieuse de certains dirigeants du Parti communiste. De plus, tel mouvement populaire est aussi improbable qu’il serait inefficace :
« La sympathie pour la Résistance et la résistance passive sont une chose. Passer à l’action armée, prendre un fusil, se battre c’en est une autre, et le pas n’est pas franchi comme ça. Certains au Parti se sont monté la tête, avec les victoires de l’Armée rouge, les partisans yougoslaves, mais la réalité française était sensiblement différente, avec sa résistance active, très active, mais toujours minoritaire quoique disposant du soutien toujours plus grand de la population. »
Rol doit aussi composer avec certains délégués militaires du Gouvernement provisoire qui, selon la doctrine de leur chef, le général Kœnig, entendent faire des FFI les exécutants des seules consignes du commandement français à Londres, ce qui est tout à fait irréaliste au vu des spécificités de la guerre clandestine. Avoir l’initiative tout en tenant compte des réalités du terrain et sans désobéir frontalement est un grand art auquel Rol se donne avec une maîtrise peu commune.
Il doit aussi manifester son autorité pour obtenir des résultats, ce qui fait dire à certains qu’il se comporte en dictateur, ce dont il doit s’expliquer devant ses supérieurs. Des différences de conceptions l’opposent à Jacques Delmas (Chaban) délégué militaire national.
Pour ceux prétendant à être chef, il y a là de quoi méditer…
« Veiller au maintien de la cohésion d’organisation et de commandement, c’était aussi prévenir les risques d’anarchie. »
Plus tard, Jacques Delmas intégrera aussi son nom de Résistance dans son patronyme.
Le 17 Août, une affiche portant le timbre de Rol est placardée dans quelques endroits de la capitale. Sur cette affiche ne figure pas un texte écrit par Rol, ou auquel il aurait participé. Il sera supposé qu’il aurait été rédigé au Parti communiste ou à la direction des FTP. Devant le fait accompli, Rol, pragmatique, assume l’affichage en disant qu’il va cependant dans le bon sens : bien que d’un style emphatique ponctué de redondances, il appelle la population parisienne à l’insurrection. D’autres affiches émanant de syndicats et du Parti communiste couvrent de plus en plus les murs de Paris, appelant à la grève générale et à la lutte armée. Aussi Rol ne tarde-t-il pas, dès le 18 août, à faire diffuser une affiche appelant -de manière concise et brève se référant au commandement de la Résistance- la population parisienne à se mobiliser pour des actions précisément définies : l’attaque des ennemis nazis, la sauvegarde du patrimoine et des réserves.
Dans la nuit du 19 août, Rol rédige un ordre général d’activation des FFI applicable dès midi.
« Il résumait dans une phrase lapidaire mais forte la ligne directrice qui guida l’exercice de ses responsabilités : « Voir loin et commander court. »
Le 19 août, Rol se rend à vélo à son quartier général, encore situé rue de Meaux. Passant devant la préfecture de police il s’arrête, intrigué par ce qui s’y passe. Il doit revêtir sa vareuse galonnée pour entrer. Une certaine confusion règne, les policiers sont en grève depuis le 15 août et occupent la préfecture depuis le matin. Ils ont arrêté le préfet Bussière. Se trouve aussi là le consul de Suède, Raoul Nordling, dont Rol ignore encore le rôle de négociateur. Des policiers semblent devoir prendre leur service en uniforme, peut-être dans un impensable rôle de neutralité, ce qui pourrait avoir de graves conséquences. Rol rencontre les dirigeants du Comité de Libération de la police. Il convient avec eux que les policiers doivent intégrer la Résistance en restant en civil et en portant le brassard FFI. Il évite ainsi que des policiers ne sortent en uniforme, devenant potentiellement par confusion des cibles de la Résistance. L’intervention de Rol fait assurément basculer les forces de police du côté de l’insurrection. Rol repart en voiture avec escorte. De toute façon, on lui a volé son vélo (à la préfecture de police!). Sa voiture porte le pavillon tricolore mais utilise un laisser-passer allemand. Un Feldgendarme fait arrêter des véhicules militaires allemands pour laisser passer les « voitures officielles ». L’ennemi est encore là, mais déjà en déroute…
Diverses confusions ne pouvant donner lieu à résumé compliquent la tâche de Rol, certains chefs -dont Chaban– outrepassant leurs rôles, tentant notamment de convenir d’une trêve avec l’ennemi et donnant donc des ordres contredisant ceux du chef régional FFI. Une situation que seule la discipline militaire permet de maîtriser. L’insurrection a bien lieu et n’est que peu ralentie par la proclamation d’une trêve en fait inexistante, n’apportant que confusion profitable à l’ennemi.
Le 20 août, le PC des FFI est installé dans un lieu fortifié sous la place Denfert-Rochereau. L’insurrection prend de l’ampleur. Les Résistants attaquent même les redoutables chars allemands. L’ennemi n’est plus en sécurité, nulle part, même dans ses cantonnements ; des barricades empêchent ses déplacements, des pièges à chars sont installés, les ponts sur la Seine sont sévèrement défendus pour en interdire accès et destruction ; patrouiller en ville même avec un véhicule est une mission quasi-suicidaire pour les Allemands. Le peuple de Paris retrouve les élans de la Commune. Le 24 août, un avion allié largue un message dans l’île de la Cité : Le général Leclerc vous fait dire : Tenez bon, nous arrivons. » Dans la soirée, un détachement blindé des Forces Françaises Libres commandé par le capitaine Dronne prend position devant l’Hôtel de Ville :
« La radio annonce la nouvelle. Les cloches des églises sonnent, la liesse éclate, au milieu des coups de feu et des combats. »
Le 25 août, la 2e Division Blindée du général Leclerc entre dans Paris avec la 4e Division d’Infanterie américaine du général Barton. Les FFI joignent leurs efforts aux arrivants, les guident dans les rues et combattent avec eux. La situation devenant intenable, le général allemand von Choltitz signe la capitulation. Plus tard, Rol exposera avec beaucoup d’élégance, de modestie et de compréhension son point de vue quant à la polémique concernant l’apposition de sa signature sur un exemplaire de l’acte de capitulation. Hommage a ainsi été rendu à la Résistance intérieure.
Le 29 août, un ordre du général de Gaulle dissout les états-majors FFI des régions libérées. Les FFI doivent être intégrés à l’armée régulière et Rol est chargé des applications pratiques de cette transition. Malgré cette décision tombant comme un couperet dans l’effervescence de la Libération, Rol parvient à ce que la fusion se fasse en souplesse, limitant autant que possible les pertes dues à la déception de combattants de valeur. Pour lui, cette intégration dans l’armée régulière est logique et il ne peut en être autrement.
« Il faut dire aussi que, chef régional, Rol a rencontré des hommes, des dirigeants qui, dans les circonstances extraordinaires dont ils étaient les acteurs, ont su dépasser les réactions instinctives liées à leurs convictions -comme Lizé, anticommuniste farouche, qui sera le chef départemental le plus résolument aux côtés de Rol pendant l’insurrection… »
Alors que Rol est en stage de formation militaire pour confirmer son grade (ce qui sera le cas de tous les officiers FFI et Rol ne sera retenu qu’au grade de lieutenant-colonel) une rumeur persistante court dans Paris et fait l’objet d’articles de presse : il serait en prison pour détournement de fonds. Même Henri Frenay, Résistant mais anticommuniste notoire, laisse traîner la rumeur. Il faut l’intervention du général Kœnig pour la faire cesser, bien que des policiers, on ne sait sur quel ordre, continuent un temps d’enquêter sur lui. Cette accusation infondée a aussi été utilisée contre le colonel Guingouin, comme vu dans l’article précédent. Est-ce que Rol aurait gêné quelqu’un ? Un jaloux ? Un parti ?
Le 18 juin 1945, le général de Gaulle décore Rol de la Croix des Compagnons de la Libération (1061 récipiendaires dont cinq villes et dix-huit unités combattantes). Jean Marin écrira de lui peu après, alors qu’il vient de lui accorder un entretien :
« On parlera encore du colonel Rol-Tanguy, qu’il le veuille ou non. Mais lui, héros modeste, il ne tient pas à ce qu’on le cite désormais… « Croyez-vous qu’il faille parler de moi ? On en a déjà beaucoup trop parlé. » Et il faut le pousser pour qu’il sorte de son bureau le volumineux dossier de tous les ordres de la Résistance… »
En 1947, le monde entre dans la Guerre froide. Les ministres communistes sont exclus du gouvernement. Le 1er novembre, le lieutenant-colonel Rol-Tanguy est placé en attente d’affectation au Dépôt Central des Isolés de Versailles. Il y reste plusieurs mois avant d’être affecté au 3e Bureau de la subdivision militaire du Mans. En temps de paix, ce Bureau s’occupe de l’instruction, le perfectionnement et l’entraînement. Le lieutenant-colonel Rol-Tanguy y fait appliquer les conceptions issues de ses expériences espagnole et FFI. Il y développe des concepts proches de ceux exprimés par Honoré d’Estienne d’Orves, ayant en commun de placer l’homme, le soldat, en position de responsable reconnu avec ses qualités et compétences, quel que soit son rang :
« Ce rôle du chef comme élément actif et non comme simple exécutant des ordres supérieurs, et l’importance capitale de la décision à toutes ses étapes -« prévoir, organiser, exécuter » et à tous les échelons de la hiérarchie constituent également l’un des thèmes majeurs d’une conférence destinée aux cadres… une constante préoccupation à l’égard des hommes, vus comme des intervenants conscients et non comme des pions, d’où cette conception du chef qui met en avant beaucoup plus l’initiative personnelle que l’obéissance passive. »
Le 10 janvier 1952, le lieutenant-colonel Rol-Tanguy est à nouveau affecté, durablement cette fois, au Dépôt Central des Isolés de Versailles. Cet établissement regroupe les militaires en attente d’affectation, ceux en congés divers ainsi que les détenus. Depuis 1951, alors que les guerres de Corée et d’Indochine font rage, les officiers connus pour être sympathisants du Parti communiste font l’objet d’une enquête de confiance. Une véritable chasse aux sorcières est instaurée, visant des officiers n’ayant jamais montré le moindre signe de déloyauté et même certains ayant été décorés pour leur bravoure en Indochine. Plus tard, on apprendra que c’est l’OTAN, précisément le commandement américain qui en a décidé ainsi, éloignant de toute fonction opérationnelle des officiers de grande valeur. Pour les Français, c’est la mise au placard à Versailles.
« Certains pouvaient être tentés d’entretenir avec Moscou des rapports privilégiés… en clair, faire du renseignement… Rol, en tout cas, déclare n’avoir jamais été l’objet de la moindre sollicitation de ce genre, pas même sous la forme d’une allusion voilée -il est évident que sa réponse était connue d’avance. »
Le lieutenant-colonel Rol-Tanguy passe presque dix années sans affectation, il ne lui est demandé que de pointer le matin au Dépôt Central des Isolés de Versailles. Avec plusieurs autres officiers il élabore des stratégies, des tactiques, rédige des documents, s’informe sur les nouveautés militaires, s’entraîne, travaille de diverses façons afin de ne pas rester inactif, maintenir son grade et justifier son salaire. Mais tout cela n’intéresse pas la hiérarchie militaire française subordonnée à l’OTAN.
Le lieutenant-colonel Rol-Tanguy est arbitrairement mis à la retraite en juin 1962. Peu après il est nommé Officier, puis Commandeur dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.
Pour sa retraite, Henri Rol-Tanguy emmène sa famille habiter la banlieue ouvrière, à Montreuil. Il transmet à ses enfants l’importance du travail, des connaissances, de la culture, liant la réussite aux compétences et à l’engagement civique. Il leur enseigne que pour être un représentant syndical efficace, un décisionnaire politique crédible, il faut d’abord être passé par les apprentissages du monde du travail et y avoir acquis des capacités autant que des expériences.
En 1996, pour le soixantième anniversaire des Brigades internationales, l’Assemblée nationale reconnaît enfin le titre d’Anciens combattants aux Brigadistes.
Henri Rol-Tanguy décède en 2002, à l’âge de 94 ans.
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Jean-Paul Saint-Marc, ce n’est pas la peine que je passe des heures à préparer des articles si vous ne lisez qu’une ligne sur deux !
Henri Rol-Tanguy était communiste, mais pas un traître, c’est suffisamment bien expliqué dans cet article. J’ai parlé de Georges Guingouin dans l’article précédent. Il a été attaqué parce qu’il ne se rangeait pas aux ordres de Moscou, comme l’a été aussi Charles Tillon. On peut considérer que Tillon a mis du temps à se rendre compte de ses erreurs, mais il y en a beaucoup, aujourd’hui, des gens qui ne veulent pas voir ce qu’ils voient !
Rol Tangy prêt à soumettre la France au communisme !
Par contre Georges Guingoin qui a refusé de se soumettre au PCF, qui a tenté de le faire assassiné, mais les tueurs le ratèrent…
Par la suite des ex-pétainistes (magistrats et autres) ont tenté de le faire condamner en l’accusant de détournements et autres vilénies durant la guerre ! A cette occasion, le PCF qui n’aime pas les insoumis l’exclut !
Rappelons aussi Charles Tillon exclus du PCF par la suite, Tillon cependant a été pourtant bien plus complaisant avec les ordres du parti durant la guerre !