Djihadistes crétins, chef hypocrite et dont l’épouse passe sa vie sur les réseaux sociaux : cette série, réalisée par des militants anonymes, combat Daech en le tournant en dérision.
Des djihadistes qui n’arrivent pas à manier les armes, un calife qui joue à « Pokémon Go » ou encore un âne qui demande l’asile politique en Turquie… tout est fait pour amuser le spectateur. Débutée il y a quelques mois, la web-série « The Bigh Daddy Show » – prononcer comme Bagdadi – se dresse avec humour contre la propagande de l’Etat islamique.
Réalisation clandestine
Le mot d’ordre, affiché sur la page YouTube, est simple : « Nous nous moquons de Daech pour ce qu’ils sont, des idiots. » Chaque épisode diffusé sur la page Facebook enregistre entre 400 000 et un million et demi de vues.
Pourtant, les architectes de ce succès veulent rester discrets. Il s’agit d’un groupe d’activistes formé durant les printemps arabes et qui compte parmi ses rangs des journalistes, des écrivains, des avocats, des artistes et un expert en animation. Certains membres vivent dans les territoires contrôlés par l’Etat islamique en Syrie, en Irak et en Libye.
Ils se disent libéraux et contre toute forme de radicalité. L’un d’entre eux a accepté de nous parler sur Skype. Dès que la connexion est établie, l’homme s’excuse de ne pas pouvoir montrer son visage ni dévoiler son nom : « Vous devez comprendre, nous recevons des menaces de mort » dit-il.
Sous couvert d’anonymat, l’homme nous explique la démarche de son groupe. « L’Etat islamique a mis la main sur les réseaux sociaux. Ils mènent une guerre psychologique qui vise à terroriser les gens à travers le monde ». L’Etat islamique autoproclamé et ses organisations affiliées disposent de nombreux canaux de communication sur Internet où ils diffusent images et textes de propagande. « Nous voulons contrer leur discours en occupant la Toile avec de l’humour », dit-il.
Le ton est donné dès le premier épisode. En reprenant les codes bien connus des studios Disney – sauf que le château de princesse est remplacé par un bunker et l’étoile filante par une bombe –, la série débute par les présentations.
Le personnage principal est le calife Abu Bakr el BighDaddy, un petit homme bedonnant à la voix chevrotante. Comme son homologue dans la vraie vie, il porte le turban noir, la barbe longue et… une grosse Rolex.
« Fleur d’Instagram »
A certaines occasions, il est désigné sous le nom de « Barhoum ». « Abu Bakr el Baghdadi n’est pas le vrai nom du chef de l’Etat islamique. En réalité, il s’appelle Ibrahim Awad el Badri. Barhoum c’est un diminutif de Ibrahim, c’est une façon pour nous de le taquiner, de dire que nous ne reconnaissons pas son autorité de calife », explique l’activiste sur Skype.
Aux côtés du chef se tient Chaïmaa, son épouse. Mince et élancée, elle est entièrement voilée à l’exception de deux grands yeux maquillés de noir. Décrite comme la « Fleur d’Instagram », ou encore le « Jasmin de Whatsapp », elle passe le plus clair de son temps à se pavaner sur les réseaux sociaux et à critiquer son mari.
« Nous voulons montrer que les épouses de djihadistes ne soutiennent pas forcément l’Etat islamique, mais elles n’ont pas le choix. Dans la sphère privée, l’homme doit faire face aux reproches de sa femme. Peut-être est elle violente avec lui, peut-être lui fait elle des menaces… C’est ce trait de caractère que nous avons voulu accentuer dans le personnage de Chaïmaa, pour ridiculiser Bagdadi », poursuit l’activiste.
Une satire du califat autoproclamé
Autour du couple s’affairent quelques djihadistes dont Abu Kotada, un chauve drogué accro au captagon, Souhaib, un playboy australien converti à l’islam, ou encore Abu Jandal, un petit roux, le cerveau des opérations. Tous vivent sur le territoire de l’Etat islamique, qui pour les besoins de la série se résume à une petite forteresse au milieu du désert.
Chaque épisode raconte avec humour le quotidien du califat vu de l’intérieur. On y voit par exemple Baghdadi s’attabler à un festin pendant le ramadan, des soldats oublier de combattre car ils sont trop occupés avec leurs esclaves sexuelles, ou encore des djihadistes surveiller les actualités internationales pour pouvoir revendiquer des attentats qu’ils n’ont pas commis.
« Franchement c’est très drôle, ça montre parfaitement l’hypocrisie de ces gens », dit Georges Chahine, un vrai fan rencontré au Liban. Avec ses amis, ils ne ratent pas un épisode et reprennent souvent les blagues ou les expressions de la série. « Dans la version arabe, le langage utilisé est très travaillé et très sarcastique », dit-il.
Parler aux aspirants djihadistes
Selon ses concepteurs, « Le Bigh Daddy Show » est un projet autofinancé. Au-delà de l’humour, les activistes, qui ont pris le soin de sous-titrer toutes les vidéos en anglais – et certaines en français – souhaitent surtout engager la conversation avec les candidats au djihad à travers le monde.
« Nous avons parmi nous un spécialiste qui répond aux commentaires violents et tente d’engager une conversation avec le public le plus radical », explique notre interlocuteur. « Nous voulons parler aux Occidentaux qui veulent rejoindre l’Etat islamique. Souvent, quand ils se convertissent à l’islam, la première chose qu’ils veulent faire c’est rejoindre la Syrie et aller tuer des gens. Nous leur disons que c’est une erreur. »
Pour le moment, « Le Bigh Daddy Show » n’a pas suscité de réaction officielle de l’Etat islamique. Les activistes ne veulent pas en rester là et promettent de lancer bientôt un nouveau projet humoristique.
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