Théâtre : « Les races » de Ferdinand Bruckner ( 16 )

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Tessow : A l’idée de demain, je frémis d’horreur.

Karlanner : Demain. Le grand jour. La guerre contre notre ennemi le juif. Nous aurons à nous poster devant les boutiques juives pour empêcher avec héroïsme que des acheteurs y entrent. Gare à nous si nous cherchons à comprendre. Toi qui ne pouvais plus attendre de donner ta vie, tu dois te dire :  » je vais enfin être un héros,  mon grand jour est là. « 

Tessow : Tu ne crains pas le ridicule ?

Karlanner : Je ne crains plus rien au monde. Donc j’avais cru que Rossloh me gardait rancune de l’observation que je lui avais faite ce jour là à propos de ses crachats . Ce n’est pas cela, il y a autre chose : il y a qu’il voudrait se débarrasser de moi. C’est pourquoi il me tend des pièges tout le temps. Quand il me parle,  je remarque qu’il guette ma reponse, il tâche de provoquer des paroles qu’il pourrait qualifier de haute trahison envers la nation.  J’ai été voir Lewandowski aujourd’hui avant de prendre mon service. Tu as déjà été chez lui ?

Tessow ( avec un signe de tête affirmatif.) : Je passe mon doctorat cet automne.

Karlanner : Rossloh aussi.

Tessow ( surpris.) : Rossloh ? Cet automne ?

Karlanner : Rossloh est autorisé à passer les deux examens en même temps,  et dans le courant de ce mois. En récompense de  » son attitude devant l’ennemi. » Le recteur et le conseiller auraient déjà donné leur consentement.

Tessow : Et toi?

Karlanner : Comme j’ai vécu deux ans avec une juive, il est, bien entendu, peu probable que je possède la maturité spirituelle nécessaire à tout médecin. On lui aurait aussi rapporté qu’au dernier cours du professeur Marcus j’aurais crié très haut, mais sans donner à mes cris un sens profond.

Tessow : Ça est vrai. Tu criais tout le temps :  » Finissez « , mais tu n’as pas pris part au concours oratoire.

Karlanner : Je n’étais alors qu’un débutant…

Tessow : Mais comme tu appartiens au parti…

Karlanner : Ce qui prouve précisément le grand coeur de Rossloh : mais dans l’intervalle, on a pu constater qu’il n’existe plus d’opposition, qu’il a donc été superflu de me faire entrer au parti. On n’a plus besoin de moi.

Tessow : Ce fut ma première déception qu’il n’y ait plus d’opposition, que nous triomphions partout sans combattre.

Karlanner : Mais rien à faire. Je suis maintenant là dedans, je reste là dedans.

Tessow : Et ton doctorat ?

Karlanner : Je dois faire d’abord une étude scientifique sur la nature particulière de la juive. Mon expérience des deux années devra m’en fournir la matière. Comme je le regardais stupéfait, il me conseilla de suivre ses cours sur  » la morale des races. » (Tessow s’étend.) Pour l’importance qu’a le doctorat à présent ! Aucune pour moi et depuis longtemps déjà.

Tessow : Tu l’as revue depuis ?

Karlanner : Pas même en souvenir. C’est tellement loin.

Tessow ( avec un signe de tête affirmatif.) Avec l’existence bourrée d’action que nous menons.

Karlanner : C’est aussi loin que ton Reich.

Tessow : Là,  tu te trompes.

Karlanner : Prions Dieu que cette activité ne cesse jamais . Nous ne pouvons plus craindre que cela, Tessow.  Que cela.

( Entre Rossloh. Tout le monde au garde à vous.)

Rossloh : Les listes des magasins juifs de notre secteur. La rue Beethoven. ( Le premier des étudiants s’avance. Rossloh lui remet une liste.) Tu auras quatre étudiants en droit sous tes ordres. La place Hohenzollern. ( Le deuxième des étudiants s’avance . Rossloh lui remet une liste.) Tu auras six étudiants en philosophie. Des jeunes qui n’ont fait que quelques semestres . Donc attention. Rue de la grande duchesse Augusta. ( Le troisième des étudiants s’avance.  Rossloh lui remet une liste.) Tu auras neuf étudiants des différentes facultés. L’allée de ka Paix. ( le quatrième étudiant s’avance. Rossloh lui remet une liste.) Tu en auras dix, tous des semestres avancés. On peut compter sur eux. La rue Gneisenau. ( Tessow s’avance.  Rossloh lui remet une liste.) Toi je te confie le noyau le plus sûr de ma troupe. Tous ont fait leurs preuves.  Se poster à 7 heures juste sur la place des Chérusques. Y attendre mon dernier signal. Sitôt donné  l’attaque se déclenche . Vous occuperez les positions désignées sur vos listes,  vous avancez d’abord en tirailleurs,  puis d’un coup, tous ensemble.  Compris ?

Les cinq étudiants ( au garde à  vous.) : A tes ordres.

Rossloh : Le juif, qui vous le savez, nous a déclaré la guerre, a l’esprit fertile en invention. Pendant qu’il nous met sous les feux de l’étranger,  dont les canons tirent sur nous de Paris, de Prague,  de Londres et même dd New York, par dessus l’océan, il expose aux vitrines de ses boutiques des Croix de fer, des arbres généalogiques qu’il fabrique lui-même   dss lettres de louange de nos anciens chefs militaires,  c’est ce qu’il montre le plus volontiers,  et aussi des écriteaux sur lesquels vous lirez :  » je suis allemand depuis cent ans.  » Tout cela, de la poudre aux yeux pendant qu’il prépare sa nouvelle attaque.  ( avec rage.) Allez y sans pitié ! Avec une fureur et une véhémence telles que le monde n’en a jamais vu de pareilles. Mais en même temps, sans la moindre infraction aux lois et avec une discipline de fer. Nous ne les attaquons pas, nous ne faisons que nous défendre.  Ces sont les éclaircissements qu’il y a lieu de donner aux correspondants étrangers. ( Très haut.)  Le monde fait encore celui qui ne comprend pas. Mais cette guerre sacrée nous la continuerons jusqu’à la grande victoire !

Les cinq étudiants : A tes ordres.

Rossloh : Le suivant. ( Karlanner s’avance.) Les dénonciations s’accumulent contre une certaine Hélène Marx. L’adresse connue,  par hasard ?

Karlanner ( bas.) : A tes ordres.

Rossloh : Je n’entends rien.

Karlanner (plus haut.) : A tes ordres.

Rossloh : Il faudra que nous l’arrêtions.  Je n’entends rien.

Karlanner ( criant.) : A tes ordres.

Rossloh : j’aurais l’intention de te charger de cette mission nationale.

Karlanner : Moi?

A SUIVRE. 

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