
Tessow : Le mien en est revenu. Il était ingénieur. Mais il dut se placer chez un photographe, et après ça, le voilà devant un étau dans une usine, et puis c’est le chômage : un démocrate peut avaler n’importe quelle honte : vive la liberté ! Et enfin,c’est le suicide. Ai-je eu un père ? ( bas ) Mais tout cela est fini.
Karlanner ( songeur) : Un démocrate avale n’importe quelle honte ?
Tessow : Les démocrates des pères? Qu’est-ce qu’ils nous ont donné à bouffer ? (Karlanner le regarde ) Des mots : individualisme, pacifisme, humanitarisme; mais ces mots étaient creux.
Karlanner (songeur): Ils ont cru peut-être que les mots suffiraient.
Tessow : Ils nous ont possédés, voilà.
Karlanner (avec un signe de tête affirmatif ) : Ils nous ont possédés.
Tessow : Moi, il y a longtemps qu’ils ont fini de m’avoir. Toi? Tu as voté pour eux aux dernières élections ?
Karlanner : Pour eux. Dire que j’ai toujours voté pour eux
Tessow : Inutile de te demander sous quelle influence.
Karlanner : Elle ne s’en est jamais mêlée
Tessow : Elle t’a fait croire qu’elle ne s’en mêle pas. Karlanner, il n’y a qu’un seul parti, un seul, tu dois y entrer, il n’est oas admissible que tu n’en sois pas.
Karlanner : Moi? ( songeur ) Moi?
( On sent qu’il commence à flancher. )
Tessow : Toi. Un vrai allemand.
Karlanner : Et… Tu as un père à present?
Tessow : Un père, oui. Et qui veut s’occuper de moi. ( il sourit. ) Qu’est-ce que je dis : de moi. Moi, je ne suis rien. De nous tous : de l’Allemagne.
Karlanner ( bas ) : De l’Allemagne.
Tessow : L’Allemagne d’aujourd’hui. La couveuse où nous trouvons la chaleur qui fait vivre.
Karlanner : Quand je dis : Allemagne, j’ai comme une sensation de musique. Non seulement nos poètes, mais aussi nos paysans, nos vieux monuments sont de la musique, et même nos philosophes, nos pessimistes.
Tessow : La musique seule ? Non. Musique et discipline : voilà l’âme allemande.
( Un silence, ils rêvent. )
Karlanner : Musique et discipline ?
Tessow : La musique seule te ferait pourrir. Mais la musique et la discipline ensemble font de toi le maître du monde.
Karlanner : L’Allemagne c »est le souvenir de mon enfance : la plus belle musique qui soit. Ce sont les chants que nous chantions à l’école ou en flânant sur les bords du Rhin et plus tard, ce sont surtout les hymnes que chantaient nos soldats quand nous les regardions passer. Nos soldats qui allaient se faire tuer. Encore aujourd’hui, où je ne leur trouve plus le même sens.
Tessow : Tu ne leur trouve plus le même sens ?
Karlanner : Quand j’entends chanter ces hymnes, l’Allemagne se réveille en moi. Mais cette Allemagne a disparu.
Tessow : C’est au temps de la démocratie que l’Allemagne avait disparu. Mais aujourd’hui elle est là, elle est debout : c’est le Reich. Un Reich nouveau, heureux, grand, solennel et tu ne pourras pus dire que nos chants Allemand ont perdu leur sens, ils ont un sens profond ; sans cela, seraient ils demeurés en toi? Ils sont musique et discipline, ils sont l’Allemagne. Ta juive t’a appris à hocher la tête. Mais aussi qu’est-ce qu’elle comprend à la discipline ?
Karlanner ( bas ) : Tais toi, ne parle plus d’elle.( Des étudiants se dirigent vers l’université. Quelques uns saluent. Karlanner après un temps : ) Je ne voterai plus jamais.
Tessow : Tu voteras. L’allemand que tu es votera : Allemagne ( il lui passe le bras autour des épaules. ) Tu sortiras de ton isolement. Cette solitude horrible n »as t’elle pas pesé sur toi? Nous tous séparés, dispersés, nous étions arrivés à nous ignorer les uns les autres, a nous laisser mourir de faim
Karlanner ( avec un signe de tête affirmatif ) : J’étais trop seul.
Tessow : Tu vois bien.
Karlanner : C’est pour cela que j’ai voulu me marier.
Tessow : Aurais-je pu travailler avec cette idée effrayante : il y a des milliers de médecins qui crèvent de faim, ce sera bientôt ton tour ! Mais ça vois-tu, c’est fini,: nous nous sommes retrouvés. Nous aurons tous du pain.
Karlanner : Je ne sortais plus. Je ne pouvais plus voir dans la rue ces visages anxieux, ces regards pleins d’attente.
Tessow : Tu préférais rester chez toi, dans les transes.
Karlanner : Je n’avais qu’à penser à elle, et je pouvais travailler.
Tessow : tu ne voulais plus que nous parlions d’elle.
Karlanner : Elle m’apaisait. Elle répandait autour de nous cette atmosphère de paix qui rend si belle la vie quotidienne. Par elle tout devenait plus réel, plus excitant. ( Douloureux ) Oh je ne sais plus ! En ce moment, par exemple, elle cherche un appartement pour nous. Sitôt que j’aurais passé mon doctorat, l’appartement sera là ( songeur ) il sera là. Et elle n’a que son dimanche pour chercher.
Tessow : Oui la petite place la vie quotidienne. Le joug.
Karlanner : Le joug?
Tessow : A une époque bourgeoise, la petite place pouvait être un but. ( fort ) Mais pas à une époque héroïque.
Karlanner : Une époque héroïque ?
Tessow : Il y aurait encore un allemand, un vrai, qui ne s’en serait pas aperçu ? Karlanner réveille toi.
Karlanner ( le regardant ) : Quelle folie !
Tessow : Laisse toi prendre à cette folie, comme nous tous, et tu la préféreras à toutes tes réalités juives. Elle a été pour toi un soutien fictif, elle t’as empêché de chercher le soutien véritable. Moi je l’ai trouvé en Luther. C’est pourquoi il m’a été plus facile qu’à toi de quitter la démocratie et de retourner à l’Allemagne.
Karlanner : Le Luther qui a traduit la bible ?
Tessow : Il a créé l’être allemand avec sa langue allemande pour toute l’éternité.
Karlanner : L’éternité commence avec les juifs. C’est l’histoire, et c’est la science.
Tessow : C’est juif, et rien d’autre.
Karlanner ( énervé ) : Tu recommences à battre le tambour. Si je me défends par la raison, c’est juif!
A SUIVRE
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