« On se sent abandonné par l’État »… face aux trafics, un buraliste de Villeurbanne raconte l’effondrement de son commerce
Cela fait treize ans que Didier tient boutique dans la banlieue lyonnaise. En treize ans, pour tenter de pallier la baisse des ventes de tabac, le commerçant s’est vu contraint de multiplier ses services pour compenser « la perte de Chiffre d’ Affaires du monopole de distribution de tabac ».
En vain. « J’ai subi une perte sèche de 50% de chiffre d’affaires sur le tabac, déplore-t-il. À l’époque, j’avais environ 800 clients par jour. Aujourd’hui, je n’en ai plus que 300 ». En quelques années, Didier a perdu « la moitié des revenus tabac et annexes de son fonds de commerce », passant de quatre salariés à deux. « Je les paie pour maintenir mon commerce à flot, mais moi, je ne vis plus de mon tabac », avoue-t-il amèrement.
Un fumeur sur trois n’achète pas son tabac chez son buraliste
Il faut dire qu’en vingt ans, le prix du paquet de cigarettes a presque triplé, passant de 5 euros en 2005 à 12 euros en 2025. Loin de dissuader les consommateurs, cette hausse fiscale n’a fait que changer les circuits d’approvisionnement au profit des pays transfrontaliers – où les taxes demeurent beaucoup moins élevées – ou des marchés parallèles.
« La politique étatique de réduction du tabagisme est un échec, confirme le dernier rapport du Sénat sur la fiscalité comportementale. Contrairement aux autres États couverts par l’OCDE, la France affiche une prévalence du tabagisme à peu près stable depuis 1960, malgré l’effet de la hausse de la fiscalité. » Comme le souligne Santé Publique France dans une étude publiée en 2023, celle-ci stagne autour des 30%.
« Sous prétexte de politique sanitaire, l’État a taxé nos produits, laissant le narcotrafic et « la contrebande » prendre notre fonds de commerce », dénonce Didier. « Ce n’est pas le marché noir qui va venir faire de la pédagogie auprès des consommateurs sur des alternatives à risques réduits », ironise-t-il.
Une étude EY-Parthenon publiée en novembre 2025 le confirme : « plus de 37 % des cigarettes consommées en France ne sont pas achetées dans le réseau officiel des buralistes français ».
Soit un manque à gagner estimé à plus de 11 milliards d’euros pour l’État.
Le commerçant se sent « abandonné » et « trahi ». Et de fustiger les promesses (une de plus) d’Emmanuel Macron, qui, à la veille de son élection, s’était engagé à lutter contre le trafic illicite.
Didier n’est pas un cas isolé.
Comme lui, ils sont plus de 22 000 buralistes répartis sur le territoire français, à tenter de survivre face à ce développement inédit du marché parallèle. « Vingt ans plus tôt, ils étaient 10 000 de plus ».
« Le business modèle de nos établissements est en train de vaciller, alerte le président de la Fédération des buralistes d’Île-de-France Philippe Alauze. Les fermetures de nos points de vente s’accélèrent, tout cela va péricliter. » Le professionnel tire la sonnette d’alarme.
Dans les gares, autour des stations du futur Grand Paris, « les vendeurs à la sauvette s’installent en plein jour », tandis que les buralistes, soumis à des contraintes éthiques et administratives, ne peuvent même pas s’implanter à proximité des flux et de certaines zones protégées. « Nous sommes devenus les seuls commerçants du pays à respecter strictement le contrat de l’État, quand l’État, lui, ne le respecte plus », pointe-t-il du doigt.
« On est en train de céder aux mafieux notre marché légal »
Du côté des organisations criminelles, le trafic de tabac est devenu une activité stratégique importante. Moins risqué que la drogue, moins dangereux aussi, le marché rapporte gros aux trafiquants : « 2,3 milliards d’euros en 2023 d’après l’INSEE ». Un montant proche de celui du trafic de stupéfiants. « Il faut que l’État prenne conscience de cette situation, martèle Philippe Alauze. On est en train de céder aux mafieux notre marché légal ». Et de pointer du doigt la dangerosité de ce trafic illicite, devenu source d’insécurité pour les habitants comme pour les commerçants : « En Seine-Saint-Denis, il n’y a pas un seul maire qui ne soit pas confronté à la vente à la sauvette. Désormais, certains n’hésitent même plus à venir dans nos commerces pour vendre des cigarettes à nos clients ! ».
Didier le confirme. À Villeurbanne, il mesure les effets délétères de ce trafic sur la sécurité. Il y a quinze jours, sa collègue a été menacée par trois mineurs et un majeur armés d’une kalashnikov. Sept ans plus tôt, lui-même avait subi un braquage, arme automatique sur la tempe. Depuis, bien qu’il ait investi dans un système de caméras de surveillance, il reste sur ses gardes. « Vu le prix du tabac, on a un bijou liquide derrière le comptoir », lance-t-il. Pour autant, Didier ne compte pas se laisser faire. « Je suis tenace et guerrier, affirme-t-il, si besoin, je ferai une grève de la faim, mais je ne laisserai pas mourir nos bureaux de presse qui représentent le premier commerce de proximité en France ». Lundi 17 novembre, ses représentants départementaux se sont déplacés à Paris pour faire entendre leur colère devant les portes du Sénat (Aucun écho médiatique !).
La Confédération appelle désormais à un renforcement massif de la lutte contre les trafics et à un « moratoire » sur la hausse des prix.
source Pcc : Juvénal de Lyon
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