Ne sommes-nous pas tous les otages de la vie ?
Celle que nous devons vivre et celle du soldat perpétuellement aux aguets qui se demande lequel d’entre-nous est plus chanceux : le soldat mort à la fin de son périple sur notre terre tourmentée et qui trouve finalement le repos dans l’au-delà, ou le combattant, perpétuellement aux aguets, défiant les éléments déchaînés afin de préserver la vie, la sienne et celle des autres ?
Aimer la vie c’est aimer Dieu, disait Tosltoï.
Cette vie que nul d’entre-nous n’a demandée ! Ce merveilleux cadeau du Seigneur à jamais menacé… par notre faute et par celle des autres.
Et pourtant, elle peut être très belle… la vie, quand l’homme se décide enfin de la vivre en harmonie avec toute la création. Mais l’aventure, l’opportunité, le miroitement de la gloire, de la vanité, de la puissance, de l’or… Ces éléments, ces défis, qui rendent quelques-uns d’entre nous aveugles au point d’éviter le regard de l’autre ou simplement de l’écraser sous son pas, comme on écrase un cafard. Tout est à moi, tout m’appartient… Tout est pour moi.
Pour moi, l’otage qui me déchire le cœur depuis sa captivité, c’est cet enfant aux cheveux roux, aux doigts potelés, au regard rieur qui ne pouvait déceler dans le regard de l’autre, de l’intrus, cette froideur immense, cette haine inexplicable qui l’habite, au point de l’arracher des bras de sa mère, pour le démembrer devant son autre frère… qui ne comprenait rien, et dont les yeux sont encore habités par l’innocence.
J’ai vécu ces instants d’enfer lorsque le speaker de la télévision nous avait annoncé la mort brutale des deux bébés Bibas aux cheveux flamboyants.
Mon monde s’était brusquement limité, s’était éteint en ces quelques minutes, pour ne plus se ranimer… Mes larmes ne tarissaient plus et la colère qui s’était engouffrée à travers tous les pores de mon corps se heurta à mon impuissance, à ma faiblesse, à mon manque abyssal de solution… Ce monstre qui a été capable de commettre un outrage aussi infâme, qui était-il au juste ? Le diable, le Satan ? Rien qui puisse évoquer un être humain… Il est une insulte même à toute créature bestiale… La louve qui a recueilli et nourri les jumeaux humains abandonnés, Romulus et Rémus a été plus sensible…
Je me souvins alors de la légende de Hanna et ses sept fils… je compris pourquoi elle avait décidé de les suivre dans leur mort. Mais même ce courage me fait défaut à présent.
La mort, dit-on, entraîne toujours celle de celui qui la sanctifie… et contraint celui qui veut vivre, aimer, croire à l’autre, croire à la fleur, à l’épi de blé qui pousse sur son lopin de terre, admirer le radieux lever du soleil et le couchant flamboyant comme les cheveux des enfants Bibas, à imposer la mort du criminel, dans le vain espoir de rompre le fil, d’endiguer le flot du sang qui coule ininterrompu de l’innocent comme du coupable.
Le mal ne s’épuise jamais. Ceux qui sont morts connaîtront enfin la paix éternelle, et les vivants vivront jusqu’à la fin de leurs jours le calvaire imposé par cet autre, par ce bourreau à l’effigie d’un humain.
Je me souviens de ce jeune terroriste du Nukhba qui décrivait avec force détails, aux enquêteurs israéliens, le viol d’une jeune femme capturée dans l’un des kibboutzim autour de Gaza. Il accorda à son père le privilège d’être le premier à la violer, puis ce fut son tour, et pour une seconde virée, le père, après s’être repu, tira une balle à la tête de la victime, avant de larguer son corps inerte et souillé sur le grand tas de débris fumants qui restaient de ce nid où elle vivait et qu’elle croyait sécurisé.
Une mère avait bien donné le jour à ces deux monstres, me dis-je – Une mère comme toutes les mères… comme les autres… comme celle qu’ils venaient de profaner…
Avaient-ils ne fut-ce qu’une fois tenter une comparaison, une similitude ? Ils devaient bien avoir des sœurs, des frères, des petits et des grands ! Ne voyaient–ils en ces otages féminins et masculins, leurs sœurs, leurs filles, leurs frères ?
Ces otages qui ont survécu à l’enfer et ont été libérés, revivent dans le cachot de leurs nuits noires le cauchemar qui ne prendra fin qu’à leur mort. Ils ne sont qu’un spectre qui refuse de se dissoudre… de laisser place à la vie, là où il était une fois, ils se sentaient si heureux, si beaux, si confiants en leur destin…
Feu a mère disait : à la fin du jour, nous réalisons qu’il n’est nul besoin de croire au paradis et à l’enfer dans l’au-delà… Nous les vivons ici sur terre, tour à tour, chaque heure, chaque tournant.
Thérèse Zrihen-Dvir
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