CONNAISSANCE DE L’ ISLAM
Qui sont les alaouites, adeptes de cet « autre islam » ?
Présente sur un continuum territorial traversant la Turquie, la Syrie et le Liban, cette communauté, longtemps persécutée, est aujourd’hui associée à l’ex-régime Assad.
OLJ / Nemtala EDDÉ, le 12 mars 2025
Depuis le 6 mars, ils sont plusieurs milliers (8000 env.) à traverser illégalement la frontière libano-syrienne pour se réfugier dans le Akkar au Liban-Nord, région de Tripoli, fuyant des massacres dans l’Ouest syrien perpétrés par des combattants proches des nouvelles autorités islamistes sunnites et qui ont fait plus de 1 000 victimes civiles, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Longtemps marginalisés, les alaouites, présents en Turquie, en Syrie et au Liban, ont été associés pendant un demi-siècle à la dictature de Hafez el-Assad, puis de son fils Bachar, qui a fui le pays le 8 décembre après 24 ans de règne.
Qui sont les alaouites ? L’Orient-Le Jour fait le point.
Schisme du chiisme au IXe siècle
Leur nom provient de l’imam Ali, cousin et gendre du prophète, qu’ils divinisent. Si la religion alaouite est assurément un syncrétisme, ayant notamment des influences néoplatoniciennes, chrétiennes et persanes, elle demeure fondamentalement musulmane et, plus précisément, « chiite », explique le chercheur Bruno Paoli, dans son ouvrage Minorités en Islam, islam en minorité (2021).
Les alaouites rejettent cependant l’idée d’unicité divine, pourtant chère à la communauté musulmane : ils croient en une trinité composée de l’imam Ali, du prophète Mahomet et de Salman al-Farsi, un compagnon du prophète censé révéler la vérité aux initiés.
« C’est une religion initiatique, transmise secrètement de maître à disciple et exclusivement réservée aux hommes (comme chez les druzes ou les Alévis en Turquie) ». Les membres de la communauté ne sont pas tenus d’appliquer la loi islamique, de respecter les restrictions alimentaires, les pratiques sanitaires, le jeûne du ramadan ou le port du voile pour les femmes.
La religion alaouite relève par ailleurs exclusivement de la sphère privée, au point de ne pas avoir de lieux de culte dédiés. Bruno Paoli parle ainsi d’« un autre islam » pour les qualifier.
Les fidèles de la communauté alaouite ont été nommés nusayrites jusqu’aux années 1920, du nom du fondateur de la religion, Mohammad ibn Nusayr al-Namiri, disciple des dixième et onzième imams, ayant vécu au IXe siècle. Des accointances existent avec les Alévis en Turquie, bien que non arabes, leur religion étant également issue du chiisme duodécimain (croyant en l’occultation vers le Xe siècle du douzième imam, le mahdi, devant revenir à la fin des temps).
La montagne des alaouites
L’écrasante majorité des alaouites se trouve aujourd’hui sur un continuum territorial s’étendant de la province de Hatay en Turquie jusqu’au Liban-Nord, en traversant le Nord-Ouest syrien. Leur nombre serait inférieur à quatre millions : ils sont près de 2,5 millions en Syrie (10 % de la population), un million en Turquie (1 % de la population) et 100 000 au Liban (3 % des Libanais), selon des estimations datant du début des années 2010.
La présence des alaouites dans cette zone s’explique par leur repli progressif à partir du XIIe siècle vers la « montagne refuge » qui domine la région, aujourd’hui connue comme la « montagne des alaouites » (Jabal an-Nusayria). Perçus comme hérétiques aussi bien par les sunnites que par les chiites, les alaouites ont été une minorité marginalisée et souvent persécutée par les puissances qui ont dominé la région, notamment les Mamelouks (1250-1517) et les Ottomans (1516-1918).
L’État alaouite sous mandat français
Si des droits sont octroyés aux alaouites à la fin du XIXe siècle par un Empire ottoman « malade » cherchant à se moderniser, l’émancipation de la communauté a lieu lors du mandat français de la S.D.N sur la Syrie (1920-1946), durant lequel un État alaouite voit le jour dans le Nord-Ouest syrien, sur une superficie de 6 500 km2 ayant pour capitale Lattaquié, de 1920 à 1936, avant que la France ne se résolve finalement à unifier la Syrie.
Dominés de nouveau après l’indépendance de la Syrie en 1946, au même titre que les druzes, par un État majoritairement sunnite, les alaouites ont été largement séduits par le projet social et laïque du parti Baas, créé en 1946 par le chrétien Michel Aflak, et ont profité du levier que constitue l’armée pour assurer leur ascension sociale. Jusqu’aux années 1960, les alaouites fournissaient une main-d’œuvre bon marché aux grands propriétaires terriens sunnites ou chrétiens, ou constituaient le gros des employés de maison en Syrie, mais aussi au Liban.
Le clan Assad
La situation socio-économique des alaouites s’améliore à la faveur de la réforme agraire de 1965, suite à un coup d’État militaire du parti Baas mené le 8 mars 1963. Deux autres coups d’État, menés par des alaouites au sein du parti, permettront l’arrivée au pouvoir de Hafez el-Assad, en novembre 1970.
Premier président alaouite de la République arabe syrienne, de 1971 à sa mort en 2000, avant que ne lui succède son fils Bachar, déchu le 8 décembre 2024, Hafez el-Assad a immédiatement cherché à faire reconnaître sa communauté comme étant musulmane. En 1973, en pleine rédaction de la nouvelle Constitution syrienne qui stipule que le président doit être musulman, Hafez el-Assad obtient la reconnaissance que les alaouites sont des chiites par une fatwa de l’imam libanais Moussa Sadr, pavant la voie à un rapprochement avec la République islamique d’Iran après 1979.
Avec le clan Assad, la communauté alaouite devient une confession politique, analysait le chercheur français Michel Seurat dans L’État de barbarie (publié à titre posthume en 1988). Cette dynastie argue de la nécessaire alliance des minorités, jouant de la marginalisation historique des alaouites, pour se protéger des oppositions sunnites, islamistes et des élites urbaines traditionnelles. Un argumentaire qui aura bon dos durant la guerre civile syrienne débutée en 2011 et qui a tué près de 500 000 personnes.
« Tandis qu’un groupe minoritaire d’alaouites règne sur le pays en maître absolu, la communauté alaouite dans son ensemble stagne dans sa pauvreté », tempère toutefois Aurélien Pialou en décembre 2012 dans un article publié sur un blog du Monde consacré à la Syrie.
Jabal Mohsen
Au Liban, le principal fief alaouite se trouve dans le quartier de Jabal Mohsen à Tripoli (au Nord) et s’est longtemps retrouvé en conflit avec le quartier voisin, majoritairement sunnite, de Bab el-Tebbané. Cette animosité est réanimée à chaque conflit dans la région prenant des couleurs confessionnelles. Le 21 décembre 1986, en pleine guerre civile libanaise, des centaines de civils ont été tués dans le « massacre de Bab el-Tebbané » par l’armée syrienne et son supplétif à Jabal Mohsen, le Parti arabe démocratique (PAD).
En pleine guerre civile syrienne, un double attentat a visé des mosquées sunnites à Tripoli en août 2013 et en mars 2014, et la rue de Syrie, qui sépare les deux quartiers, s’est transformée en ligne de front meurtrière pendant plusieurs semaines.
Si la chute du régime Assad le 8 décembre 2024 n’a pas provoqué de heurts entre les deux quartiers de Tripoli, les arrivées par milliers de réfugiés alaouites au Liban-Nord font craindre de nouveau le spectre d’affrontements sectaires sanglants. Source: https://www.lorientlejour.com/article/1451257/qui-sont-les-alaouites-adeptes-de-cet-autre-islam-.html
Juvénal de Lyon
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Bonjour, franchement, un grand merci pour ces précisions hélas d’actualité, qui éclaireront le lecteur.