Le vagabond a repris son balluchon… Il semble encore plus vieux qu’avant, et sa canne tremble dans sa main.
Son pas est hésitant, mais ses yeux refusent de lancer une prière. « Inutile de tourner la tête et observer le mal en pleine action. Je dois m’en aller car on ne me veut plus… j’ai cessé de charmer le monde et ses occupants. Ma musique n’est plus reprise par les oiseaux sur la branche », se dit-il en jetant un regard désolé aux cailloux à ses pieds…
Mes rossignoles, l’oeil triste, ne me reconnaissent plus, et avant de fondre dans la pénombre des branches de l’arbre, ils lancent un cri aux cieux devenus gris nous étouffant avec leur manteau de nuages sombres et épais.
J’ai perdu ma joie de vivre… me souffle la colombe dont la blancheur est soudain devenue terne. Mes fleurs ne s’épanouissent plus, elles naissent et ont hâte de mourir…
Ma terre est ravagée par le feu et par les hommes qui, il était une fois, savaient comment transformer un champ en gerbes de blé doré, après s’être laissé caresser par la brise du soir…
Mes mers, mes océans ne sont qu’un lit de déchets, là où mes poissons se laissent mourir.
Mes poètes ont perdu leur muse. Ils ne savent plus comment trouver les mots pour décrire ce nouveau monde désolant. Alors, ils se taisent. D’autres s’enfoncent dans les profondeurs des œuvres glorieuses du passé, lorsque le troubadour venait avec sa guitare charmer les belles du coin.
Où irai-je, se dit le vagabond. Je n’ai plus ce pied ferme d’antan pour grimper les collines… le beurre et le lait que ma vache me donne tous les matins, n’ont plus le goût d’avant… Ils ne fondent plus dans mon palais.
Peut-être devrais-je aller réveiller le petit prince qui s’est endormi auprès de sa fleur, sur son étoile et lui demander de me conseiller, de m’ouvrir la voie vers un autre horizon… car le mien n’est guère invitant.
La haine, l’horreur, qu’un sabre s’évertue à trancher.
Que de sang… que de cadavres… que de ruines…
Nous avons été abandonnés là, devant nous-mêmes…
Là où l’homme est si diligent, si convainquant, de la nécessité de créer le chaos… simplement pour tuer et jouir de la vue du sang qui gicle de la plaie qu’il vient d’ouvrir.
Je suis las… et même mes paroles restent coincées dans ma gorge.
Je ne sais plus comment chanter… et le chant des autres me fatigue. Le poète a quitté le monde et est devenu un pauvre vagabond à la recherche d’un brin de lumière.
Le trouvera-t-il ? Comment et où ? Même les montagnes se laissent envahir par les bulldozers…
Ô homme, qu’as-tu fait de leur beauté, de leur solitude, de leur havre de paix ?
Plus de refuge, plus de joie naturelle et spontanée… Seul le noir des femmes domine et prédominera tant que la haine de l’autre sévira.
Thérèse Zrihen-Dvir
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Bel article, Thérèse. Qui dépeint exactement l’ère de noirceur actuelle. La lumière reviendra. Espérons qu’elle ne sera pas nucléaire.
Bonjour,
Merci Thérèse.