Qui est Joseph Aoun, le nouveau président libanais ?

Enfin le Liban a élu un Président me transmettent mes amis libanais chrétiens maronites universitaires ! Comme je le leur dis,  Israël a fait le boulot en éradiquant en partie le potentiel de nuisance du Hezbollah rendant cette élection possible. Faisons connaissance avec cette personnalité militaire qui a toujours été en retrait de la scène politique…

Juvénal

Malgré une réelle popularité auprès des Libanais, Joseph Aoun demeure un mystère. De ses orientations politiques et géopolitiques, on ne sait pas grand-chose. 

On dit de lui qu’il « sent le baroud ». Le chef de l’armée, Joseph Aoun, connaît le terrain comme la paume de ses mains, pour avoir servi aux quatre coins du pays avant de prendre la direction de l’institution militaire. C’est l’une des rares à se maintenir en dépit de toutes les adversités et qui a pu rester à l’écart des dissensions confessionnelles et politiques qui déchirent le pays. Il a été élu aujourd’hui président de la République après avoir rallié une majorité de 99 voix.

Ce haut gradé au verbe laconique, chauve et à la carrure solide a su manœuvrer pour surmonter crise après crise ces dernières années. Il a « mérité tous ses galons », disent ses pairs, après avoir accumulé des victoires parfois obtenues à l’arraché. À 60 ans, il peut se targuer d’un parcours presque sans faute au sein de la troupe qu’il dirige depuis 2017. S’il a fini par se faire quelques adversaires chez ses concurrents directs depuis que son nom a circulé parmi les présidentiables, il reste l’une des personnalités chrétiennes les plus appréciées, non seulement dans les milieux militaires mais aussi dans les cercles diplomatiques.

Joseph Aoun est le quatrième chef de l’armée à être élu à la magistrature suprême. Mais son chemin pour Baabda était semé d’embûches, nombre de figures, notamment chrétiennes, craignant qu’il leur fasse de l’ombre. C’est surtout Gebran Bassil qui aspirait à écarter le général de son poste pour couper court à un futur rôle politique dont il pourrait être investi.

Le chef du Courant patriotique libre s’opposait d’ailleurs ouvertement à la candidature de Joseph Aoun, arguant du fait que son élection serait contre la Constitution. Nommé par l’ancien président Michel Aoun, dont il avait toute la confiance, le chef de l’armée a essayé de préserver autant que possible sa relation avec le chef de l’État en dépit du parasitage effectué par son gendre. Convoitant depuis des années la magistrature suprême, Gebran Bassil ne ratait pas une occasion de critiquer Joseph Aoun et son action. Ce fut notamment le cas durant le mouvement de contestation en 2019. Par la suite, et dans le prolongement des législatives de mai 2022, le chef de l’armée a été une nouvelle fois la cible des critiques du gendre du président qui a fait assumer à la troupe la responsabilité du naufrage d’un navire de migrants à Tripoli, qui a fait aussi une trentaine de morts. « On ne permettra pas que l’institution militaire soit attaquée de manière injustifiée », avait alors rétorqué l’officier en réagissant, arguments à l’appui, à chacun des incidents imputés à l’armée. Le ton est encore monté d’un cran le 23 septembre 2022. Sortant de sa réserve, Joseph Aoun s’en prend à ses détracteurs en les qualifiant de « tarés qui mènent des campagnes ciblant l’armée ».

Un leader militaire qui a réussi sa carrière peut-il prétendre à un succès similaire en politique ? « Joseph Aoun est bien plus qu’un militaire. C’est aussi un fin stratège politique. Pour réussir de la sorte à la tête d’une armée aussi bigarrée que celle du Liban, cela relève d’une expertise politique assez poussée. Il pourra certainement faire ses preuves en tant que président », assurait déjà en 2022 un diplomate occidental. Toute personne qui a réussi à préserver l’unité et la cohésion de l’institution militaire dans des circonstances comme la crise socio-économique par laquelle passe le Liban depuis plusieurs années « est un héros », selon Riyad Kahwaji, un expert des questions militaires au Proche-Orient. 

Malgré un poste aussi stratégique et une réelle popularité auprès des Libanais, Joseph Aoun demeure toutefois un mystère. On ne sait pas grand-chose de ses orientations politiques et géopolitiques ou encore de sa vision économique et sociale. L’on sait néanmoins que l’homme n’est pas du genre à faire des petits compromis, mais comprend toutefois les subtilités de la politique libanaise. Proche des États-Unis sans être ouvertement hostile au Hezbollah, il symbolise une forme d’équilibre et de stabilité qui doit marquer le début d’une nouvelle ère pour le Liban. 

Un officier studieux

Originaire du village de Aïchiyé (Jezzine), au Liban-Sud, l’officier a vite gravi les échelons au sein de la grande muette dont il a intégré les forces spéciales en 1985. Titulaire d’un diplôme de sciences politiques, avec une spécialisation en affaires internationales, et d’un diplôme en sciences militaires, il a impressionné aussi bien ses compagnons d’armes que ses formateurs. « Il a servi sous mon commandement. Il était brillant, très enthousiaste, discipliné et courageux. C’était un patriote et quelqu’un de non confessionnel », dit de lui l’ancien général Amine Hoteit qui fut son supérieur et chef de brigade il y a quelques années. Le jeune officier qu’il était répondait parfaitement, dit-on, aux trois critères militaires identifiés pour évaluer ses prouesses, à savoir la capacité à exécuter les missions, à préserver l’unité du bataillon et à respecter la loi.

Le général Joseph Aoun à Ras Baalbeck, en octobre 2022. Photo Wissam IsmaïlLe général Joseph Aoun à Ras Baalbeck, en octobre 2022. Photo Wissam Ismaïl

Mais ce n’est pas uniquement ses compétences militaires qui sont le plus souvent mises en avant. On évoque son intégrité et son aptitude à protéger l’institution de toute ingérence politique. « L’armée ne permettra à personne d’intervenir dans ses affaires. Nous avons réussi à empêcher toute intervention », avait confié Joseph Aoun un jour à son état-major.

« Nourrir les soldats avant tout »

À l’aise en français et en anglais, le général est père de deux enfants. Il ne communique qu’exceptionnellement et ne le fait généralement que pour motiver ses troupes. Ou lorsque son institution est menacée, généralement de l’intérieur plus que de l’extérieur. Ce fut notamment le cas lorsqu’il avait lancé, dans un discours virulent en mars 2021, un ultimatum aux responsables politiques qu’il a voulu placer devant leurs responsabilités. « Où allons-nous ? Qu’attendez-vous ? Que comptez-vous faire ? » avait-il lancé à l’intention des gens du pouvoir, alors que la crise économique battait son plein. « Nous n’accepterons pas que l’armée soit un défouloir pour qui que ce soit », avait ajouté celui qui considère le moral de la troupe comme « une ligne rouge à ne pas franchir ».

Depuis 2019 et le début de la crise économique qui a frappé de plein fouet la solde de ses 80 000 soldats, et alors que les désertions se multipliaient, Joseph Aoun effectuait des déplacements à l’étranger pour plaider la cause de l’institution et solliciter des aides qui lui seront accordées sans trop de peine du fait du respect qu’il inspire aux capitales occidentales. « Le plus important est que je parvienne à nourrir mes soldats », répétait à l’envi le haut gradé à tous ceux qui voient d’un mauvais œil l’armée ravitaillée et payée par l’étranger. « Il a entretenu des relations avec tout le monde, mais il a souvent été critiqué par les médias affiliés au Hezbollah », notamment pour sa connexion américaine, soulignait récemment Mohanad Hage Ali, du think tank Carnegie pour le Moyen-Orient, à l’AFP. Outre l’allié américain, l’institution a reçu des aides du Qatar ou de la France. Une conférence internationale organisée à Paris en octobre 2024 a permis de lever 200 millions de dollars pour l’armée.

Derrière une carrure imposante et un gabarit de combattant aguerri, Joseph Aoun est décrit comme un général proche des gens et très protecteur de ses soldats. « Il ne sort jamais de chez lui et ne fréquente pas les restaurants, par décence et par égard pour ses soldats qui ne peuvent pas se permettre ce luxe », raconte une de ses proches connaissances. On raconte que les larmes du commandant en chef ont coulé lors de la cérémonie d’hommage aux martyrs de l’opération « Aube des jurds (arrière-pays) », lancée durant l’été 2017 contre les jihadistes qui étaient installés dans une zone libanaise frontalière avec la Syrie. Une bataille qu’il a menée avec « brio » de l’avis de nombreux stratèges. « Il a su rallier à sa cause les habitants de Ersal (bourgade limitrophe du champ de bataille), qui lui ont servi de bouclier moral et surtout de source de renseignements sur les combattants jihadistes que l’armée a boutés hors du territoire », raconte un habitant de la localité, qui a étroitement collaboré avec la troupe. Joseph Aoun n’est toutefois pas sorti indemne de la bataille. L’acheminement des survivants du groupe État islamique vers la Syrie, après un accord concocté avec l’aval de Damas et du Hezbollah dans l’espoir de récupérer les corps des militaires morts notamment dans ces combats, lui a valu quelques critiques.

Le test de Tayouné

Sur la scène interne, il entretient de bonnes relations avec l’ensemble du spectre politique à quelques exceptions près et a réussi, à ce jour, à préserver de bonnes relations avec le Hezbollah. « Durant son mandat, Joseph Aoun a été assez sage pour ne pas provoquer un conflit avec le parti », souligne Georges Saghir, officier à la retraite. Le général Amine Hoteit, lui-même réputé proche des vues du Hezbollah, résume ainsi la relation de Joseph Aoun avec le parti chiite : « Il n’a pris aucune décision qui puisse effrayer le Hezb, et vice versa. »

Mais entre l’armée officielle et le parti de Dieu, ce n’était pas toujours la lune de miel. S’il évite de l’attaquer frontalement – par peur de voiler le halo qui entoure le triptyque armée-peuple-résistance, un slogan cher à la formation pro-iranienne –, le Hezbollah ne se privait pas de temps à autre de lancer des piques mesurées à la troupe et son chef. Les relations solides qu’entretient ce dernier avec l’Occident, plus particulièrement les États-Unis, inquiètent le parti chiite. D’autant que Washington représente le principal bailleur de fonds de l’institution militaire. « Le Hezbollah tient à préserver une bonne relation avec Joseph Aoun, même si, dans le fond, il le craint », nuance un stratège militaire qui a requis l’anonymat.

L’une des épreuves les plus difficiles a été sans aucun doute les affrontements de Tayouné, le 14 octobre 2021. Opposant des habitants proches des Forces libanaises et des miliciens du Hezbollah et du mouvement Amal sur fond d’une tentative du tandem chiite de saper l’enquête du juge Tarek Bitar sur la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, les incidents de Tayouné ont failli mener le pays au pire, n’était l’intervention musclée de la troupe qui avait reçu l’ordre de neutraliser toute source de feu. C’est grâce à son « habileté à concilier fermeté et une certaine flexibilité, grâce à une écoute attentive des parties tierces et surtout des commandants et de son état-major, qu’il a réussi à épargner au pays une nouvelle guerre civile », assurent à l’unisson deux anciens officiers qui ont suivi le déroulé de l’opération de près et qui ont requis l’anonymat.

L’exercice était rendu encore plus difficile à chaque fois que le chef de la troupe se trouvait pris en tenailles entre son obligation de respecter les directives politiques, l’intérêt de ses soldats et ceux des Libanais. Ce fut le cas lorsque le mouvement de contestation populaire a éclaté en octobre 2019 pour dénoncer une classe politique rongée par la corruption. « L’homme a su habilement manœuvrer, occasionnant au final un minimum de dégâts », témoigne un ancien militaire qui le suit de très près. Tout en démontrant subtilement qu’elle était plutôt du côté du peuple et non de la classe politique décriée, la troupe a réussi à faire régner la loi et à rouvrir les axes routiers – une requête soutenue par l’exécutif, le palais présidentiel et le Hezbollah – en jonglant entre l’exécution des ordres politiques et le respect de la liberté d’expression. À l’exception de quelques zones chaudes et sensibles – le Ring et Zalka notamment –, où la troupe a dû recourir à une dose calculée de coercition. « Il a agi en vrai chef en conciliant liberté de manifester et maintien de l’ordre. Il a manœuvré en véritable équilibriste », commente Amine Hoteit.

Le plus grand défi

Le commandant en chef de l’armée, dont le mandat a été récemment prolongé d’un an, est depuis fin novembre confronté à un défi de taille : après la trêve entre Israël et le Hezbollah, il doit piloter le déploiement des militaires dans le Sud. Une tâche titanesque que son successeur devrait désormais mener. Au côté des Casques bleus de l’ONU, seuls les militaires pourront être déployés à la frontière avec Israël. Les combattants du Hezbollah devront, eux, se retirer vers des régions plus au nord et abandonner leurs armes lourdes. La trêve accorde un délai de 60 jours (qui arrive à terme fin janvier) à l’armée pour mener à bien sa mission, en parallèle au retrait des soldats israéliens, dans l’espoir d’un cessez-le-feu durable. Intervenant dans le fief du Hezbollah, qui a promis une « coopération totale », le chef de l’armée devra veiller à préserver le précaire équilibre social et confessionnel du jeu politique libanais : ne pas fâcher le mouvement pro-iranien sans s’attirer les foudres de ses détracteurs.

Et si Joseph Aoun a été soutenu à bras-le-corps par le Quintette impliqué dans le dossier libanais pour parvenir à Baabda, c’est justement pour incarner, non plus en tant que patron de la troupe, mais en sa qualité de président de la République, la stabilité et la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu. Un terrain miné, sur lequel il sera appelé à manœuvrer. Car si Joseph Aoun estimait jusqu’ici que le désarmement du Hezbollah (prévu dans l’accord et dans la résolution onusienne 1701) est une question éminemment politique qui ne le concernait jusqu’ici pas directement, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

« Tout le monde reconnaît son bilan sans faute à la tête de l’armée, indique à l’AFP un diplomate occidental. Mais peut-il se muer en politicien ? C’est la question. » Source : L’ ORIENT-LE JOUR BEYROUTH : https://www.lorientlejour.com/article/1442597/joseph-aoun-lhomme-du-moment.html 

Pcc : Juvénal de Lyon

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