A l’extrême fin du XIXème siècle, les mathématiques traversent une très grave crise relative à leurs fondations.
Un nom résume cette période, Georg Cantor.
Cantor apportera des solutions géniales à ces problèmes de fondation créant ainsi la théorie moderne des ensembles.
La balle fut reprise au bond par un trio de mathématiciens appartiennent à la – soyons chauvins trente secondes- prestigieuse école mathématique française.
Leurs noms ? Emile Borel, Henri Lebesgue, René Baire qui posèrent à la suite de Cantor, les bases de l’analyse et des probabilités modernes.
Les mathématiques sont, depuis longtemps, internationales, et leurs travaux furent, à leur tour, repris par l’autre grande école mathématique mondiale : l’école mathématique russe.
Des mathématiciens russes, donc, en liaison étroite avec les mathématiciens français précédents..
Il est donc temps d’évoquer un autre trio, russe, cette fois :
Deux mathématiciens formés au prestigieux département « Mekh-math », (« Mécanique et mathématiques ») de la non moins prestigieuse université Lomonossov de Moscou : Dimitri Egorov et Nicolas Luzin.
Et un prêtre : Pavel Florensky …
Vous me direz : oui, il y a des mathématiciens dans ton histoire mais où sont les mystiques?
J’y arrive …
En 1907, au mont Athos, haut lieu de l’Orthodoxie, repris à l’horrible domination ottomane depuis peu, un moine, Ilarion, fonde les « Adorateurs du Nom » : il s’ agit d’invoquer, continuellement, par une brève invocation, le nom de Dieu.
Ils prient une prière spécifique, « La prière de Jésus ».
Nos deux mathématiciens russes Egorov et Luzin vont adhérer aux « Adorateurs du Nom ».
Ce qui ne sera pas sans de très grandes persécutions sous Staline, 40 croyants des « Adorateurs du Nom » sont arrêtés par le NKVD en 1930.
Persécutions qui entraîneront la mort, lors d’une grève de la faim, en prison, d’ Egorov qui mourra en récitant sans fin « la prière de Jésus » (1931) …
Luzin sera, lui, protégé par le très grand physicien Kapitsa…
Reste qu’Egorov et Luzin sont à l’origine de l’efflorescence de la prodigieuse école russe d’analyse mathématique, même si des fils « intellectuels » se révolteront contre leurs pères
Une bonne centaine de mathématiciens de toute première importance comme Khintchine, Alexandrov et le géant des mathématiques : Kolmogorov .
Revenons en France.
Dans les années 1930, un groupe de jeunes Normaliens français entend, lui aussi, refonder les mathématiques mais en rejetant l’héritage de Borel, Lebesgue, Baire.
C’est le fameux groupe Bourbaki : pour lui la logique et, beaucoup plus encore, les probabilités, sont l’horreur absolue.
Ces mathématiciens mettent, eux, l’accent sur l’algèbre et les structures algébriques.
Il n’y a, d’ailleurs, pas de fascicule consacré aux probabilités dans le célèbre traité de Bourbaki, car cette branche des mathématiques est, sans doute, jugée impure, car trop issue du monde physique.
La pensée Bourbaki a régné, sans partage, dans l’après-guerre jusqu’aux années 80 : elle était connue sous la désignation « Maths modernes » des lycéens.
Le « structuralisme » envahissait, alors, tout : les maths, mais aussi la sociologie, l’anthropologie, la linguistique etc.
Depuis les années 90, les probabilités (re)jouent un rôle central en mathématiques ; mathématiques financières, calcul stochastique, réseaux de neurones, « machine learning », « big data » etc.
Et puis on assiste, aussi, à un retour à la logique lié à l’expansion inouïe de l’informatique.
Bref la « dictature » rigide, axiomatique à la Bourbaki semble, maintenant, bien loin : les mathématiques deviennent, presque, avec l’informatique, une science expérimentale.
Et c’est le retour à la case départ, celle du début de cet article : le règne des probabilistes, des logiciens, des analystes.
Les mathématiques ont joué et jouent dans la pensée russe, comme française, un rôle très important : aujourd’hui encore Moscou et Paris sont, du fait de la concentration de mathématiciens qui s’y trouvent, les deux capitales mondiales des mathématiques …
Sources : Toutes les informations de cet article sont issues du livre merveilleux de Jean-Michel Kantor et Loren Graham.
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