Al-Andalus : malgré de nombreuses hypothèses, l’étymologie de ce nom reste encore énigmatique. Le terme désigne historiquement la majeure partie du territoire de l’Espagne occupé par les musulmans du VIIIe au XVe siècle. Al-Andalus n’est pas à confondre avec les contours actuels de l’Andalousie.
Des prémices quasi-indolores
Des alliés qui s’incrustent
Après la chute de Rome (476), pendant pratiquement 250 ans, les Wisigoths avaient maintenu une certaine unité en Hispanie.[1] A l’occasion d’une guerre de succession au trône, les Wisigoths du parti évincé firent appel aux Berbères musulmans par l’entremise de Julien, comte de Ceuta. Une fois le roi wisigoth Agila vainqueur grâce à leur renfort, les musulmans refusèrent de repartir et prirent la capitale du royaume, Tolède, en 714.
Ralliements et conversions
Les nouveaux maîtres -quelque 30 000 guerriers pour une population de 40 millions d’Hispaniques– n’étaient pas en mesure de gérer le territoire conquis. Aussi ménagèrent-ils d’abord les pouvoirs locaux. Les nouveaux convertis à l’islam (une « chahada » suffit[2]) conservaient leurs biens, leur position et ne payaient pas l’impôt spécial (« jizya »). Les juifs, persécutés sous les Wisigoths, virent, dans un premier temps, les envahisseurs comme des libérateurs. Tous les serfs qui embrassaient l’islam devenaient libres. L’islam pratiqué par les Berbères, dont les ancêtres avaient suivi récemment le même chemin vers la conversion (647-709) n’était pas au départ très rigoureux. On peut douter que ces guerriers berbères aient été seulement en possession d’un Coran, encore moins des « hadiths », ni de la loi coranique (« charia ») alors à peine en voie d’élaboration.
Un bastion d’irréductibles
En 718, c’est au Nord, dans le petit royaume des Asturies que fonda Pélage, un noble wisigoth, que se sont réfugiés les chrétiens qui ne s’accommodaient pas de la situation. Cette région plutôt pauvre n’était pas alors l’objet d’une grande attention de la part des musulmans, occupé à tirer parti des richesses des territoires conquis et à régler leurs rivalités internes.
L’affrontement se dessine
Les musulmans d’Al-Andalus se heurtent aux Francs
Les musulmans lancèrent des expéditions vers le Nord et soumirent l’ensemble de ce qui avait été le royaume wisigoth. En 719, la Septimanie, qui en faisait partie, fut conquise : Toulouse, Narbonne, Carcassonne, Nîmes, Avignon, Arles ; puis ils frôlèrent Lyon, firent le siège d’Autun, pillèrent Luxeuil (Haute-Saône) !
Les Françs commencèrent à redouter les musulmans, sous le nom de « sarrazins ». Eudes d’Aquitaine (Toulouse 721), Charlemagne, son fils Louis, Charles Martel (Poitiers 732, Avignon 737), son fils, Pépin le Bref (Narbonne 759) contrattaquèrent.
Faits et Légende : En 777, Ibn Arabi, gouverneur de Saragosse, désireux de prendre son indépendance vis-à-vis de Cordoue, demanda l’aide du roi franc Charlemagne. En 778, l’armée des Francs se mit en route vers la Catalogne mais une révolte des Saxons qui menaçaient Cologne obligea Charlemagne à retirer son armée. C’est durant le voyage du retour que Charlemagne et ses hommes furent attaqués à Roncevaux par les Vascons et non par les « sarrazins ». Roland y trouva une gloire posthume qui inspira la plus célèbre chanson de geste (début du XIIe siècle).
« En 801, Charlemagne crée la « Marche franque de Barcelone » qui défend son empire et commence réellement la Reconquista »[3] Les royaumes chrétiens d’Hispanie s’agrandissaient aussi.
Faits et Légende : En 813, en Galice, des lumières étranges apparaissaient durant la nuit au-dessus du bois où vivait l’ermite Pélage. Averti du prodige, l’évêque de la ville proche se rendit sur les lieux et découvrit un tombeau qu’il identifia comme étant celui de Saint-Jacques le Majeur, évangélisateur de l’Espagne. La nouvelle eut un immense retentissement dans la chrétienté européenne, notamment à la cour de Charlemagne. Le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle était né. Au XIIe siècle, la Chronique de Turpin relatera comment Charlemagne, sollicité par saint Jacques en personne, est parti délivrer son tombeau.
L’apogée d’Al-Andalus
A Damas, les Abbassides assassinèrent les Ommeyades, un seul en réchappa : Abd al- Rahman. Rentré en Espagne, il fit d’Al-Andalus un émirat, dont la capitale fut désormais Cordoue (756). Lui et sa descendance régnèrent sur Al-Andalus pour trois siècles.
Faits et Légende : Après une révolte de partisans à la solde des Abbassides, Abd Al-Rahman parvint à les vaincre et fit couper, saler et tremper dans la naphtaline la tête des meneurs, avant de les envoyer au calife de Bagdad qui s’écria « Dieu soit loué qui a mis la mer entre moi et pareil démon ! ».
Plus tard, en 929, son descendant, Abd Al-Rahman III, s’autoproclama calife de Cordoue, Amir al-Mu’minin (« Commandeur des croyants ») et al-Nasir li-din Allah (« le partisan de la religion d’Allah»). Fils d’une captive chrétienne, il neutralisa les conflits entre Arabes et Berbères en introduisant une troisième composante ethnique : les « slaves », c’est-à-dire des chrétiens européens arrivés en Espagne comme esclaves.
Faits et Légende : Il avait les yeux bleus, la peau claire et des cheveux roux (« ashqar » en arabe), qu’il prit l’habitude de teindre en noir, pour se donner un air plus arabe ! [4] . .
Il prit pour conseiller et ami Recemundo, évêque de Cordoue. Son médecin était le Juif sépharade Hasdaï ibn Shaprut, à la fois philosophe et poète, puis diplomate du Calife. Abd Al-Rahman III a su donner une puissance jusque-là inégalée à Al-Andalus.
Al-Hakam II, son fils, permit à Al-Andalus d’atteindre encore un haut niveau de de rayonnement. Tout en menant des campagnes contre la chrétienté (963) au Maghreb (974), contre les Vikings (966-971), le calife s’entoura de nombreux chrétiens, notamment slaves, regroupés sous le nom d‘Esclavons, dont il fit sa garde personnelle. Son règne correspondit aussi à une prospérité économique accrue car, en ayant soumis le Maghreb, il s’était ouvert la voie jusqu’aux richesses en or du Soudan.
A la mort d’Al-Hakam II (976), survint une éclipse : son successeur, Ibn Amir « Al-Mansûr » (Le Victorieux), brutal, intolérant, gouverna en dictateur. Le calife organisa la répression interne contre les chrétiens Ses troupes multiplièrent les « razzias » en territoires chrétiens. Il détruisit Compostelle et massacra la plupart des habitants.
Faits et Légende : Cependant Al Mansûr, « en bon musulman », respecta le tombeau de saint Jacques, disciple du prophète Aïssa (Jésus). Un chroniqueur musulman raconte qu’un moine, seul de toute la population en fuite, était resté près du sépulcre. Le dictateur lui demanda pourquoi il se tenait là : « Pour honorer saint Jacques ! » répondit-il et le vieux moine eut la vie sauve.[5]
Le Royaume des « taïfas »
Suite à l’éclatement de nombreuses révoltes, le califat de Cordoue (1031), morcelé, devint le Royaume des « taïfas » («factions»), composé de royaumes indépendants. Il faudra attendre un demi-siècle pour qu’Al Andalus retrouve sa puissance.
L’affrontement devient croisade
Union progressive des royaumes chrétiens autour de l’idée de Reconquista
Dans le royaume des Asturies, La Chronique d’Alphonse III fut un manifeste qui déclara l’Espagne héritière du royaume wisigoth de Tolède et revendiqua la Reconquista de toute la péninsule. Les royaumes chrétiens ibériques vont peu à peu s’allier malgré leurs rivalités : Asturies (718), Navarre (824), Léon (910), Aragon (1035), Castille (1065) Portugal (1139).
Faits et Légende : Rodrigue Diaz de Vivar, qui se nommera plus tard lui-même Cid Campeador (« Champion »), fut d’abord au service du roi de Castille, puis du roi de Léon. Il n’a jamais tué son beau-père : le roi de Léon lui donna pour épouse une parente, Chimène. Rodrigue ne fut pas toujours LE héros défenseur de la chrétienté : en 1082, banni de Castille par le roi, il passa au service de Yusuf al-Mutaman, l’émir de Saragosse. Les musulmans, ses compagnons d’armes, lui donnèrent le titre de Sid (« Seigneur »). En 1094, il conquit pour son propre compte le royaume de Valence. Après sa mort, Chimène conserva Valence 3 ans jusqu’en 1102, date à laquelle Valence revint sous domination musulmane. Le Cid et Chimène sont les ascendants, par les femmes, de rois de France et de Navarre, dont Henri IV.
En 1064, le pape Alexandre II avait proclamé la croisade de Barbastro : une coalition internationale (surtout des Espagnols et des Français) chassa les musulmans de cette ville d’Aragon. En 1066, Alphonse VI, roi de Léon et de Castille avait reconquis Tolède, l’ancienne capitale des Wisigoths.
Le pouvoir des Almohades
Après la dynastie des Almoravides (1040-1147), c’est une autre dynastie berbère, les Almohades (1147-1212), venue, elle aussi, du Maghreb, qui s’empara d’Al-Andalus. Ils transférèrent leur capitale à Séville.
Sous AbuYusuf Yaqub, (1184-1199), le califat almohade parvint au faîte de sa puissance, qui s’étendait sur l’Hispanie et l’Afrique du Nord. Allié avec l’Egypte de Saladin, le califat almohade envoya une flotte contre les croisés (1182), mettant en échec leur tentative de prendre La Mecque. L’intolérance du califat se durcit : AbuYusuf Yaqub fit interdire la philosophie, les études et les livres, tout comme il proscrivit la vente du vin ainsi que les métiers de chanteur et de musicien. Il interdit toute religion autre que l’islam. Des signes distinctifs furent imposés aux « dhimmis », on expulsa les Juifs, on pratiqua des conversions forcées. Après avoir infligé une défaite au roi de Castille à Alarcos (1195), AbuYusuf Yaqub se lança dans des expéditions contre Tolède et Madrid, soutenu traîtreusement par le royaume de Léon et le royaume de Castille !
Faits et Légende : Depuis 1182, le philosophe Averroès était le médecin et le conseiller du calife, puis son grand « cadi » appliquant la « charia ». En 1195, Averroès, objet d’une cabale et lâché par son protecteur, fut humilié dans la mosquée de Cordoue, puis contraint à l’exil. Ses livres furent brûlés et lui-même fut accusé d’hérésie. A la fin de sa vie, à Marrakech, le calife lui pardonna sans lui rendre sa position. La légende a commencé quand on a voulu faire d’Averroès un martyr de la tolérance ou un défenseur du mélange des cultures. Or il s’agit d’un anachronisme, doublé d’une imposture, à propos d’un homme qui prêcha le « djihad » ! Une citation d’Averroès suffit : « La négation et mise en discussion des principes religieux met en danger l’existence même de l’homme ; c’est pourquoi il faut tuer les hérétiques. » (Incohérence de l’incohérence, XVII, 17). [6]
Vers la Reconquista finale
En 1212, la bataille de Las Navas de Tolosa fut un tournant : une coalition de royaumes chrétiens défit l’armée des Almohades. L’empire almohade entra en déclin et ce fut le retour du Royaume des « taïfas ».
En 1238, fut créé le « taïfa« du royaume ou sultanat de Grenade qui accepta, en 1246, de devenir vassal du royaume de Castille. A partir de 1266, les musulmans émigrèrent vers le royaume de Grenade qui connaîtra deux siècles de paix relative.
Les chrétiens reprirent, pendant ces deux siècles, par étapes, le reste du territoire ibérique : Cordoue, l’Algrave, Valence, Jaën, Murcie (XIIIe siècle), Ceuta, les îles Canaries, (XVe siècle).
En 1491, les « Rois catholiques », Isabelle de Castille et Ferdinand II d’Aragon, mariés en 1469, conquirent Grenade et signèrent un traité avec l’émir Boadbil. Il quitta définitivement Al-Andalus.
Faits et Légende : alors que Boadbil pleurait en quittant Grenade, sa mère lui aurait dit « Pleure comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme ». Une autre version dit qu’une fois embarqué, Boabdil regarda dans la direction de la côte, lança son épée dans les flots et promit de revenir un jour la chercher.
La reddition de Grenade par F. Pradilla y Ortiz,(1882).
1492, Isabelle de Castille ordonna l’expulsion définitive des Juifs refusant le baptême, beaucoup devinrent des marranes (juifs convertis), d’autres s’exilèrent.
Faits et Légende : Au premier rang de ceux qui faisaient pression pour expulser les juifs pratiquants, craignant leur prosélytisme, se trouvait Tomas de Torquemada, juif converti, dominicain, confesseur d’Isabelle de Castille, premier inquisiteur général de Castille et d’Aragon. Les juifs convertis qui avaient acquis de hautes positions, financiers et conseillers des Rois catholiques, étaient pour l’expulsion. Les rois et le haut clergé étaient plutôt réservés.
Entre 1609 et 1614 , Philippe III expulsa les Morisques (musulmans faux convertis)[7] d’Espagne.
Faits et légende : environ 275 000 Morisques ont été expulsés et transférés, pour la plupart, dans les possessions espagnoles d’Afrique du Nord. C’était pour une bonne part la conséquence des révoltes répétées de ces musulmans et surtout de leur complicité active avec les Turcs et les barbaresques qui multipliaient les « razzias » sur les côtes espagnoles. (Alger extorquait à l’Espagne plus de 100 000 pesos annuels pour le rachat des captifs chrétiens). Enfin, ils avaient adressé une lettre au roi de France , Henri IV, lui proposant le renfort de 60 000 hommes s’il consentait à les libérer de l’oppression des Rois d’Espagne. Intelligence avec l’ennemi.[8]
Le mythe d’Al-Andalus : un bilan
Sous la plume de certains musulmans, le mythe se résume ainsi : « Avec l’arrivée des musulmans, en Espagne, cette contrée autrefois aride et illettrée devint la capitale européenne de l’érudition et de l’agriculture, où vivaient en sécurité des personnes de toutes religions confondues, sous la loi islamique. » [9]
Cette « convivencia « est une vue de l’esprit
Il n’y eut pas de mélange de toutes origines, de toutes religions, surtout à partir du XIe siècle, quand les musulmans furent majoritaires en Al-Andalus. Une mosaïque de catégories se côtoyaient, interagissaient par nécessité mais ne s’interpénétraient pas.
Berbères, Arabes du Nord, Arabes du Sud, Muladis ( chrétiens islamisés), Mozarabes (chrétiens « dhimmis »), Juifs« dhimmis », Slaves (esclaves européens), Esclavons (esclaves européens qui forment la garde rapprochée des califes), « Muets » (soldats noirs ne parlant pas l’arabe), artistes et savants Persans, traducteurs syriaques, artisans byzantins, commerçants gênois, Mudejares (musulmans vivant dans les royaumes chrétiens), Marranes (juifs convertis au catholicisme), Morisques (musulmans convertis au catholicisme)…
En 8 siècles, le métissage a été extrêmement faible : seuls 8% des Espagnols actuels peuvent faire état de gènes d’Afrique du Nord (Et encore cela inclut-il le métissage avec les Carthaginois du royaume barcide, plus de 1000 ans avant la colonisation musulmane…).[10]
La réputation flatteuse d’Al-Andalus occulte les emprunts dont elle a bénéficié
Elle repose sur des facettes brillantes, correspondant à des moments de réussite privilégiés.
La richesse : Il n’est pas douteux qu’à son apogée, le califat d’Al-Andalus a disposé d’immenses ressources. En 951, sous Abd Al-Rahman III, le trésor national comptait plus de 20 millions de pièces d’or, ce qui donna à ce calife la réputation d’être le monarque le plus riche du monde.
La culture : Dès 822, Abd Al-Rahman II voulut favoriser les arts et les sciences. Des chrétiens, des juifs se hissèrent à des rangs importants dans la société ; ils fournissaient souvent au califat des traducteurs, des médecins, des conseillers, des fonctionnaires très compétents. Al Rhaman II se donna aussi pour objectif de faire venir des artistes de la cour abbasside pour rivaliser avec le calife de Bagdad. En 822, Zyriab, un jeune esclave persan affranchi, fuyant Bagdad en raison de la jalousie que son génie musical suscitait, se rendit à la cour de Cordoue où il fit école. Il aurait fixé les 5 mouvements de la suite musicale qu’on appelle « nouba»[10], forme originelle de la musique « arabo-andalouse ».[11] Après la Reconquista, le reflux des musulmans et surtout des juifs d’Al-Andalus vers l’Afrique du Nord emportera cette musique et entraînera sa diffusion dans le monde musulman.
Faits et Légende : Le « flamenco » n’est ni un chant ni une danse d’origine « arabo-andalouse ». Il apparut au XVIIIe siècle, se popularisa au XIXe siècle et devint une attraction touristique au XXe siècle. C’est une danse de couple (ce qui est totalement proscrit par l’islam). Quant aux gitans, adeptes de cette danse, ils n’arrivèrent en Espagne qu’au XVe siècle.[12]
L’attrait de Cordoue fut indéniable aux Xe et XIe siècles : un Français nommé Gerbert d’Aurillac vint y parfaire ses études. Il y découvrit le zéro, que le Traité du système de numération des Indiens qu’Al-Khawarizmi avait diffusé dans l’empire musulman. Devenu plus tard le pape de l’an Mil sous le nom de Sylvestre II, il imposa ce système numérique dans toute la chrétienté, les chiffres nouveaux prirent le nom de chiffres arabes, qui leur est resté jusqu’à nos jours.
Al-Hakam II, fils d’Abd Al-Rahman III, (calife de 961 à 976) a doté Cordoue d’écoles, et d’une bibliothèque. Le calife aurait fait travailler des dizaines de femmes copistes. On en tiré l’idée que «la» femme andalouse avait acquis un savoir exceptionnel. Ces femmes étaient-elles des musulmanes ?… Ou, plus vraisemblablement, des esclaves chrétiennes, enlevées à leur village, comme Lubna, la seule femme savante dont on ait retenu le nom, qui fut secrétaire particulière du calife. A l’université de Cordoue, le calife Al-Hakam II subventionna des étudiants, il paya aussi des auteurs. Il envoyait des agents pour chercher et acheter des livres au Caire, à Bagdad, à Damas et à Alexandrie. Les livres étaient aussi des objets de prix, ravis lors des « razzias« .
L’agriculture : Le calife Al-Hakam II, développa l’agriculture en lançant de grands travaux pour des systèmes d’irrigation, reprenant les techniques des Romains, des Babyloniens et des Egyptiens (norias) qui permirent l’exploitation de nouvelles terres. On cultiva des plantes jusque-là inconnues, venues de l’Inde ou de la Chine : riz, mûrier, artichaut, asperge, abricotier, cotonnier, oranger, canne à sucre, palmier-dattier, fleurs comme le jasmin et le camélia.[13]
L’artisanat : Les périodes de prospérité ont attiré à Al-Andalus les talents et les savoir-faire d’artisans spécialisés, en particulier dans la manufacture des objets de luxe. Travail du cuir (« cordonnerie »), étoffes damassées ( technique venue de Damas), travail de la mousseline (technique venue de Mossul), damasquinerie sur métal (technique venue de Damas).
Fil d’or damasquiné sur acier de Tolède.
L’architecture et l’urbanisme : ce sont les réalisations qui valorisent le plus Al-Andalus de nos jours
La grande mosquée de Cordoue[14], fut construite à partir de 786 sous Abd-Al-Rahman Ier. Elle fut agrandie sous ses successeurs, Abd Al-Rahman II en 833 et Al-Hakam II en 961. L’habile réemploi des matériaux provenant des églises voisines en ruines intégra à l’édifice des éléments wisigothiques que l’on croit typiquement « maures« , comme la forêt des colonnes intérieures, l’arc outrepassé, l’alternance de brique rouge et de pierre [15]. On sait moins qu’Al-Hakam II bénéficia de la participation de maîtres artisans byzantins, experts en coupoles et en mosaïques envoyés avec tout le matériel, depuis Constantinople, par l’empereur chrétien Nicéphore II.
Coupole de la Grande mosquée de Cordoue couvertes de mosaïques, à la mode byzantine.
La ville de Cordoue aurait été, sous les Almohades, avec un million d’habitants, la plus grande d’Europe. Depuis l’époque romaine, ses rues étaient pavées, elles bénéficiaient depuis ce temps d’un système d’égouts et d’une alimentation en eau. Les voies étaient éclairées la nuit. Le calife Al-Hakam II prit soin d’améliorer l’urbanisme de Cordoue et créa aussi, en 936, le palais de Madinat Al-Zahra dans une ville nouvelle en l’honneur de sa favorite, Zahra. Durant vingt-cinq ans, dix mille ouvriers s’attelèrent à sa construction pour un tiers du budget de l’état. Le calife avait promis à toute personne venant s’y installer, une prime de quatre cents dinars, ce qui attira une foule d’habitants. Al-Hakam fit aussi élargir les routes et construire des marchés.
Derrière le décor d’Al-Andalus…
La « dhimmitude » : Juifs et chrétiens vécurent soumis à ses règles. Ils versaient l’impôt spécial (« jizya ») , « après s’être humiliés » . Cette volonté d’humilier se déclina sous de nombreuses formes de vexation. Ainsi, les musulmans pouvaient circuler à cheval, les chrétiens et les juifs sur des ânes ou des mulets. Dans la rue, leurs vêtements reconnaissables les exposaient aux avanies. (Le calife Abu Yusuf Yaqub, protecteur d’Averroès, serait l’inventeur de la rouelle[16] pour les juifs). Ils devaient marcher rapidement, les yeux baissés, passer à gauche des musulmans, c’est-à-dire du côté impur, et enterrer leurs morts en courant. Leur culte devait être silencieux et les processions étaient interdites. Ils ne pouvaient construire des habitations dépassant en hauteur celles des voisins musulmans ; ils ne pouvaient posséder un esclave musulman[2]. Les femmes musulmanes leur étaient interdites. Il leur était également interdit de réparer ou de construire de nouveaux lieux de culte[3]. Bien que cela n’ait pas été toujours appliqué, les Gens du Livre étaient exclus de l’armée et de l’administration[4]. Ils n’étaient pas autorisés à porter des armes, ce qui en faisait des proies faciles. Ils étaient assassinés sous le moindre prétexte et leur témoignage ne comptait pas. Ils vivaient dans des ghettos dont on fermait les portes le soir. Enfreindre ces règles pouvait valoir la mort.[17]
Les « Razzias » et la piraterie : Les «razzias» ne furent pas des activités marginales en islam, mais un pilier central de l’économie. La notion de travail n’existe pas dans le Coran, alors qu’une sourate entière est consacrée au Butin (sourate 8) ; jamais dans la « sunna », on ne voit Mahomet ou ses compagnons exercer un métier quelconque. «Razzias» par terre ou par mer ne cessèrent donc jamais car ni la «zakat» (contribution volontaire des musulmans), ni la « jizya » (impôt sur les « dhimmis ») ne suffisaient à financer les dépenses d’Al-Andalus. Même le brillant Al-Rahman Ier et ses riches successeurs eurent besoin des ressources que leur rapportaient leurs pirates. Ils allaient jusqu’en Islande piller les villes et enlever des captifs !
L’esclavage et les mutilations : Al-Andalus fut la plate-forme du commerce des esclaves. Ils étaient mutilés, les hommes castrés, les femmes excisées, avec la collaboration de juifs et de chrétiens, il faut le dire, car les musulmans ne pratiquaient pas ces opérations eux-mêmes. Un captif sur deux en mourait, ce qui ne faisait que donner du prix aux survivants. Un voyageur du Xe siècle, Ibn Hawqal, note avec admiration qu’en Espagne « un article d’exportation bien connu consiste dans les esclaves, garçons et filles, qui sont enlevés en France et en Galice, ainsi que les eunuques slaves. L’ensemble des eunuques slaves qui se trouvent sur la surface de la terre proviennent d’Espagne ». La libération des captifs contre rançon était aussi une ressource budgétaire non négligeable. Du côté chrétien, le rachat des captifs, contribua à affaiblir les finances des Rois catholiques et nécessita aussi, de la part des fidèles, une forte contribution à titre privé, encouragée par l’Eglise.
Les massacres : Il furent trop nombreux pour être tous cités. Par exemple, sous Al Rahman II, les martyrs de Cordoue, une cinquantaine de chrétiens mozarabes, furent décapités pour blasphème ou apostasie (859) . Sont attestés aussi les martyres de saint Euloge et sainte Lucrèce (859), le martyre de saint Pélage, âgé de 13 ans, torturé à mort et démembré par les musulmans (925). Ou bien encore, en 1066, une foule de musulmans prit d’assaut le palais royal de Grenade, crucifia le vizir juif, et massacra la plus grande partie de la population juive de la ville. « 1500 familles juives, représentant environ 4000 personnes disparaissent en un jour ».
La guerre sainte : Parmi les califes, le plus acharnés au « djihad » fut peut-être Ibn Âmir Al-Mansûr. Ce qu’on appelle « expéditions militaires » des califes étaient, la plupart du temps, des raids d’une barbarie sans nom contre des civils. Ibn Âmir Al-Mansûr en a une cinquantaine à son actif. Il s’agissait plus encore d’humilier que de vaincre : après la prise et la destruction de Saint-Jacques de Compostelle (997), « Cordoue vit défiler une foule de captifs chrétiens qui portaient sur leurs épaules les cloches de Saint-Jacques et les portes splendides de sa basilique. Ces portes furent utilisées dans la grande mosquée et les cloches servirent de lampadaires. » [18]
Qui a forgé le mythe d’Al-Andalus ?
Les écrivains français du XIXe siècle, en quête de pittoresque et d’exotisme, ont cru voir, en Espagne, du «mauresque» partout et s’en sont naïvement émerveillés, comme Théophile Gautier : « Les Maures vaincus sortirent d’Andalousie, emportant avec eux la prospérité et la civilisation de l’Espagne. » [19]
Les anti-catholiques ont systématiquement exalté la période d‘occupation musulmane et dénigré les conséquences de la Reconquista par les Rois catholiques.
La gauche espagnole assimile toute défense de l’identité espagnole au « franquisme » et au «fascisme».
Les historiens musulmans exaltent l’apport d’Al-Andalus à l’Europe et au Monde.
La propagande multiculturaliste, politique, médiatique, universitaire, utilise le mythe de la « civilisation des trois cultures » pour inciter les Européens à accepter l’invasion migratoire africaine à majorité musulmane.
Le mythe d’Al-Andalus a-t-il un avenir ?
Le fantasme musulman d’une reconquête à rebours d’Al-Andalus
Les musulmans sont incités à considérer l’Espagne comme une terre d’islam (« dar al-islam ») qui doit leur appartenir à nouveau. Le 17 juin 2017, le cheikh égyptien Ayman Khamia déclarait : « « L’Andalousie est exactement comme la Palestine(…) Nous disons à l’Occident, nous n’abandonnerons jamais nos terres (…) L’Andalousie est occupée par les Espagnols comme la Palestine est occupée par les juifs. Et nous la récupèrerons. »[20] .
Le projet de relier l’Europe à l’Afrique par le détroit Gibraltar
Depuis les dernières années du XXe siècle, le projet de relier les deux continents par le détroit de Gibraltar n’a jamais vu le jour mais il est loin d’être abandonné. Il n’y a que 14km à franchir dans la partie la plus étroite.
Les études réalisées, soutenues par l’Union européenne et l’Union africaine, ont envisagé un pont ou un tunnel. La solution de tunnel ferroviaire serait retenue et le résultat annoncé pour 2030.[21]
En conclusion, dans l’Espagne d’Al-Andalus, des civilisations se côtoyaient, alternant coexistence et affrontements. L’ensemble était animé de forces centrifuges, aussi bien parmi les musulmans (« taïfas ») que parmi les chrétiens (rivalités entre royaumes). Alliances, contre-alliances, retournements d’alliances furent fréquents. Il n’y eut pas véritablement de « mélange des cultures », mais des coopérations momentanées aux résultats parfois admirables, sans que la méfiance entre les catégories pût se dissiper. L’idée de Reconquista a surmonté bien des obstacles avant de s’imposer aux royaumes chrétiens. C’est cependant un exemple unique dans l’Histoire, que ces huit siècles de lutte pour refonder un grand pays européen. C’est bien pourquoi ceux qui ont en horreur l’idée de nation, d’identité ou de peuple autochtone quand il s’agit d’indigènes européens, tiennent tant à célébrer le mythe d’Al-Andalus, comme un paradis perdu du multiculturalisme.
[1] Arnaud IMATZ, « La cohabitation pacifique d’Al-Andalus, une mystification historique », introduction à Serafin FANJUL, AL-Andalus, l’invention d’un mythe, la réalité historique de l’Espagne des trois cultures, trad. de Nicolas KLEIN, L’Artilleur, Paris, 2017, p. 20.
[2] Profession de foi : « Je témoigne qu’il n’y a pas de dieu en dehors de Dieu et que Mahomet est Son prophète et Son envoyé. »
[3] « Histoire d’Al-Andalus», d’après « Historia de Al-Andalus » Wikipedia.
[4] Richard A. FLETCHER, Moorish Spain, University of California Press, Berkeley et Los Angeles, 2006, p. 53.
[5] « Rapporté par les annales musulmanes : la campagne de Shant Yacoub ou le sac de Saint-Jacques de Compostelle en 997 », Association française des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. http://compostela.free.fr/997.htm
[6] Rémi BRAGUE, « Au moyen du Moyen Âge : Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam », Flammarion, coll. « Champs essais », Paris, 2006.
[7] Voir Agathe RABIER, « Taqîya connaissez-vous l’islam confit dans la douceur ? », in Résistance républicaine, publié le 15/10/2024. https://resistancerepublicaine.com/?s=taq%C3%AEya
[8] Arnaud IMATZ, « La cohabitation pacifique d’Al-Andalus, une mystification historique », introduction à Serafin FANJUL, op. cit., p. 57.
[9] « Regards sur l’Espagne musulmane », Copyright © 2006 – 2023 IslamReligion.com. https://www.islamreligion.com/fr/article/pdf/
[10] ANTIISLAM, « Invasion musulmane : hallucinante ressemblance entre la conquête de l’Espagne et la conquête de la France », in Résistance républicaine, publié le 28/05/2020. https://resistancerepublicaine.com/2020/05/28/invasion-musulmane-hallucinante-ressemblance-entre-la-conquete-de-lespagne-et-la-conquete-de-la-france/
[11] Agathe RABIER, « Arts de l’islam ou Art malgré l’islam : quid de la musique ? », in Résistance républicaine, publié le /05/ 2024. https://resistancerepublicaine.com/2024/05/21/art-de-lislam-ou-art-malgre-lislam-quid-de-la-musique/
[12] Serafin FANJUL, op. cit. pp. 317-364.
[13] Jean SAUNIER, « Macron admirateur dévot d’Al-Andalous», in Riposte laïque, publié le 05/11/2024. https://ripostelaique.com/macron-admirateur-devot-dal-andalous.html
[14] Ce fut successivement un temple romain, une basilique chrétienne sous les Wisigoths du IVe au VIIIe siècle, puis une mosquée du VIIIe jusqu’à 1236 où elle fut consacrée comme cathédrale.
[15] Agathe RABIER, «Arts de l’islam ou Art malgré l’islam : des bâtisseurs qu’Allah n’avait pas annoncés», in Résistance républicaine, publié le 18/06/2024. https://resistancerepublicaine.com/2024/06/18/arts-de-lislam-ou-art-malgre-lislam-des-batisseurs-quallah-navait-pas-annonces/
[16]rouelle (signe discriminatif), portée par les juifs pendant six siècles « et qui attirait sur leur passage la dérision et les coups » serait l’invention de Yakoub El Mansur, in Jérôme THARAUD, Petite histoire des Juifs, 1928, p. 24.
[17] D’après Bat Ye’or, citée par Jean SAUNIER, « Macron adorateur dévot d’Al-Andalus », in Riposte laïque, publié le 05/11/2024. https://ripostelaique.com/macron-admirateur-devot-dal-andalous.html
[18] « Rapporté par les annales musulmanes : la campagne de Shant Yacoub ou le sac de Saint-Jacques de Compostelle en 997 », op.cit.
[19] Serafin FANJUL, op. cit., p. 830.
[20] Alexandre Del VALLE et Emmanuel RAZAVI, Le Projet, la stratégie de conquête et d’infiltration des Frères musulmans en France et dans le Monde, L’Artilleur, 2019, Paris, p. 213.
[21] « Tunnel sous-marin de Gibraltar : trois décennies plus tard, les négociations reprennent », in Tel Quel, publié le 15/01/2024. https://telquel.ma/instant-t/2024/01/15/tunnel-sous-marin-de-gibraltar-trois-decennies-plus-tard-les-negociations-reprennent_1851183/
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Bizz à tous
Bonjour,
Agathe, ton article est, comme touours, une merveille !
Bravissimo !
Toujours aussi pointus et exhaustifs, vos articles Mme Rabier. Un grand merci, je vous salue bien pour vôtre immense travail.
Merci Agathe pour ce travail de bénédictine. Pas la liqueur, bien sûr.