Et Dieu créa le porc … était-ce pour le traiter ensuite de « souillure » ? 

 

Porc : le mot figure 5 fois dans le Coran, 4 fois pour interdire sa consommation (2, 173 ; 5, 3 ; 16, 115) parce que le porc est « une souillure » (6, 145) et une fois pour désigner ceux qu’Allah a métamorphosés « en singes et en porcs » (5, 60) pour avoir « encouru sa colère ».

La parenté entre le Coran et la Thora est sensible dans l’interdiction de la viande de porc. Les chrétiens ont assez tôt considéré le Lévitique[1] comme un texte pouvant être interprété ; ils ont notamment levé l’interdiction frappant la viande de porc. La maintenir aurait peut-être été un frein à la diffusion du christianisme en terres romanisées, où le porc était largement consommé. En revanche, les juifs et les musulmans, plus littéralistes, ont maintenu cette interdiction. Dans leur taxinomie particulière, le porc est inclassable : à la fois animal à « ongle fourchu » mais « pas ruminant », cette position d’exception rendrait sa chair interdite. Les musulmans voient de plus dans les crocs du sanglier, la preuve que le porc serait un « carnassier », autre motif pour ne pas le consommer.

Le risque sanitaire est souvent avancé

La viande de porc se conserverait plus mal qu’une autre en pays chaud. Or elle est consommée en Indonésie, en Polynésie et dans nombre de pays chauds.

Le porc peut être porteur de parasites. Les oulémas n’ont de cesse d’alarmer les fidèles à l’aide d’arguments pseudo-scientifiques: « Ce sont les récentes découvertes qui ont dévoilé que la chair de porc est l’origine de nombreuses maladies et qu’elle est le gîte de microbes dangereux.
Parmi ces micro-organismes qui existent dans la chair porcine il y a un ver très dangereux qui s’implante dans les intestins de l’homme et qui est très résistant à tous les antiparasites connus. En plus ce parasite s’introduit aussi dans les muscles de l’homme et la médecine est jusqu’à présent incapable de soigner la personne atteinte par cette maladie mortelle. »
Ce parasite est un ver connu par le nom de «Trichine». 
»[2]

A la vérité, si la viande de porc mal cuite peut transmettre la trichinella et le ténia, il en va de même pour d’autres viandes et poissons[3]. Quant aux traitements, ils sont aujourd’hui bien connus et le risque « mortel » n’est donc qu’un épouvantail. Dans le même temps, aucune inquiétude sur les dangers concernant les autres viandes, y compris halal, ne semble effleurer ceux qui proscrivent la viande de porc. On peut pourtant s’interroger sur les risques sanitaires liés à cet abattage, ainsi que sur ceux que font courir, dans beaucoup de pays musulmans, les volailles qui vont picorer les tas d’ordures et manger les rats[4], ou la viande exposée au soleil parmi les mouches.

Le souci de l’hygiène semble donc n’être qu’un prétexte peu convaincant.

Le rejet initial du porc viendrait de son inadaptation à la vie nomade

Outre le fait que l’élevage du porc nécessite une nourriture assez riche, des prairies et des forêts, qu’on ne trouve pas dans l’Arabie désertique, il n’est pas adapté à la transhumance. Le rejet de cet animal serait allé de pair avec le mépris des peuples nomades envers les peuples sédentaires contre lesquels ils entraient souvent en conflit.[5]

Métamorphoses d’humains en pourceaux

Certes Circé l’avait fait[6] et Jésus aussi[7] mais il s’agissait de récits de seconde main pour un public qui savait y mettre quelque distance. En revanche, pour un musulman, lorsqu’il s’agit d’Allah qui s’exprime en personne, il faut admettre que la métamorphose (maskh) a vraiment eu lieu. « Dis: “Puis-je vous informer de ce qu’il y a de pire, en fait de rétribution auprès de Dieu? Celui que Dieu a maudit, celui qui a encouru Sa colère, et ceux dont Il a fait des singes, des porcs, et de même, celui qui a adoré le Tagut, ceux-là ont la pire des places et sont les plus égarés du chemin droit“. (5, 60). Un hadith précise, par la bouche de Mahomet, toutes les métamorphoses qu’Allah a opérées sur des « hommes pervers » : on apprend que la métamorphose en singe se fait sur un juif, tandis que la métamorphose en porc se fait sur un chrétien.[8]

L’impureté du porc se transmettrait à ceux qui en mangent  

Selon une croyance tenace cette « souillure » originelle du porc imprègnerait la chair et les mœurs des mangeurs de porcs. Une doctoresse égyptienne l’explique bien  : « Le porc contamine l’homme qui le consomme et lui transmet de mauvaises habitudes et des comportements non louables comme l’absence de jalousie envers sa femme et la femme envers son mari car le porc est le seul animal qui n’est pas jaloux et ça lui importe peu que sa femelle aille avec un autre mâle. Les porcs pratiquent l’échangisme. Ils pratiquent aussi le sexe en groupe (…) Malheureusement, ces mauvais comportements se sont propagés dans les sociétés occidentales. »[9]

Certains musulmans ont bravé l’interdit de la consommation de porc

Les premiers musulmans immigrés en Occident suivaient le principe « nécessité fait loi ». « S’il avaient mangé du porc, ce n’était pas vraiment une faute puisque l’islam n’interdisait pas la viande des Gens du Livre. »[10]Un verset -trop méconnu mais il existe- autorise en effet  les musulmans à partager la nourriture des chrétiens, donc le porc :« Aujourd’hui les bonnes choses vous sont permises. La nourriture de ceux auxquels le Livre a été donnée vous est permise et votre nourriture leur est permise. » (5, 5). En cas de doute, ces musulmans bénissaient la viande dans leur assiette, elle devenait ainsi pour eux « licite » à la consommation. C’était avant que le nombre et la reprise en main islamique ne les poussent à revendiquer dans le pays d’accueil une spécificité dans le domaine alimentaire.

En 1923, le débat sur le porc halal a été ouvert en Turquie par un médecin, Ismaïl Hakki, fervent musulman et ardent nationaliste : il proposait « la purification des viandes selon la religion de l’islam »[11] à la lumière de la science. En 1927, le ministre des Affaires étrangères déclarait, péremptoire : « Le porc est un bon aliment. L’un des meilleurs. La religion peut l’interdire mais cette idée mourra avec l’ancienne génération.»[12]  A partir de la Deuxième guerre mondiale, le pouvoir turc ira jusqu’à promouvoir la chasse aux sangliers et l’élevage porcin dans quelques fermes d’état pour pallier la crise alimentaire.

L‘utilisation du porc dans la médecine moderne conduit l’islam à des compromis

Les injections d’insuline porcine ont été le seul traitement pour les diabétiques de type 1 durant quatre-vingts ans, avant la mise au point de la fabrication d’insuline humaine par génie génétique. Et pourtant, malgré des millions d’injections, jamais à ce jour une infection par un virus porcin n’a été relevée, ni chez les malades, ni dans leur entourage et les patients musulmans ne se sont pas opposés à ce traitement.

Les xénogreffes à base d’organes de porc sont également déclarées licites. Le Recteur de la Grande Mosquée de Paris ne manqua pas de rappeler, lors des premières expérimentations dans ces recherches, un passage jusque-là peu cité : « Il n’y a pas de péché sur celui qui est contraint sans toutefois abuser ni transgresser, Allah est Absoluteur et Miséricordieux. » (2, 173) Il ajoutait : « Ce dernier verset fonde un des principes majeurs de la bioéthique musulmane en matière d’interdit du porc faisant de l’état de nécessité majeure, de l’urgence, du risque vital des circonstances où l’interdit tombe et l’illicite devient licite car Dieu est pardonneur »[13].

En conclusion, le tabou portant sur le porc ne se réduit pas à une préférence alimentaire, ni à une préoccupation d’ordre sanitaire, il s’agit d’une ligne de fragmentation qui sépare les musulmans des chrétiens et des mangeurs de porcs auxquels les musulmans les assimilent. Les autorités musulmanes et les fidèles maintiennent une forte pression pour faire perdurer ce tabou. Ils ont la responsabilité du séparatisme qui les isole dans les sociétés occidentales, que ce soit dans les commerces, les cantines, les festivités, les distributions caritatives de repas, et même les tables familiales où ils sont conviés. Peut-être faudrait-il leur rappeler les deux versets qui leur permettraient de franchir cette ligne, pour peu qu’ils en aient la volonté ?

[1] 3e livre du Pentateuque qui, au chapitre 11, précise les interdits alimentaires (Ve siècle avant J.C.).

[2] « Pourquoi la chair de porc est-interdite » , Isamweb.net, publié le 21/07/2004 https://islamweb.net/fr/fatwa/51367/Pourquoi-la-chair-de-porc-est-interdite voir aussi Youssef Al QARADAWI, Le licite et l’illicite en islam, Al Qalam, 1960, rééd. 2005, p. 45.

[3] L’homme développe une trichinose lorsqu’il consomme de la viande crue ou insuffisamment cuite, de porc, de morse, d’ours

On distingue cinq types de tænias :

Le tænia solium (taenia solium ou ténia armé) : il est transmis par la consommation de viande de porc.

Le tænia saginata : par la viande de bœuf.

L’hymenolepis nana : ce tænia nain se trouve surtout dans les pays chauds et affecte essentiellement les enfants par ingestion de ses œufs.

Le tænia échinocoque : parasite issu du renard ou du chien, ce ver solitaire colonise le foie et les poumons.

Le tænia diphyllobothrium latum (ténia du poisson) : ce tænia se niche dans la chair de certains poissons d’eau douce.

Le virus Nipah serait un risque plus sérieux, il a été transmis en 1998 par les chauves-souris frugivores puis les porcs en Malaisie. Le virus Managle, découvert en 1997, est transmis par les chauves-souris aux porcs et aux humains.

[4] Bernard DICK, « Pourquoi l’islam a-t-il banni le porc ? », in Riposte laïque, publié le 08/10/2014.

[5] Frederick J. SIMOONS, Eat not this flesh, Univ. of Wisconsin Press, 1994, initially published in 1961.

[6] HOMERE, l’Odyssée, chant X, 800 avant J.C..

[7] MATHIEU, 8, 31, années 80 après J.C.

[8] Daniel DE SMET, « Métamorphose », in Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohammed Ali Amir MOEZZI, Robert Laffont, Paris, 2007. p. 552.

[9] Bernard DICK, op. cit.

[10] Florence BERGEAUD-BLACKLER, « De la fatwa du Transvaal au marché halal : ouverture et fermeture de l’espace alimentaire musulman (1903-1980) » in Le sens du Halal, CNRS éditions, Paris, 2015, p. 62.

[11] Burak ONARAN, « Le débat sur le porc halal en Turquie au début de la période républicaine », in Le sens du halal, op.cit., p32.

[12] Ibid, p. 31.

[13] Dalil BOUBAKEUR, Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris « Xénogreffe bioéthique islamique », Top Halal, sans date. https://top-halal.fr/mosquee-de-paris/xenogreffe-bioethique-islamique

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1 Commentaire

  1. Bonjour,
    Je me souviens d’une rencontre marquante lorsque je travaillais dans le tourisme en Égypte. J’avais croisé un jeune couple, lui d’origine algérienne et elle, française. Le jeune homme me raconta une anecdote étonnante sur la viande de porc. En Algérie, on lui avait souvent dit que s’il mangeait du porc, il en mourrait. Lorsqu’il arriva en France, la curiosité et la tentation de goûter au porc prirent le dessus sur sa peur. Un jour, il acheta un sandwich au jambon, en mangea une bouchée, puis attendit, croyant que sa fin était imminente. Mais rien ne se passa. C’est à ce moment-là qu’il comprit que tout ce qu’on lui avait raconté n’était que des histoires.