Après s’être enfui de Gaza, un jeune Palestinien raconte…

En fuite de Gaza

Hamza Abu Howidy vit en Allemagne depuis un an en tant que demandeur d’asile. Il élève sa voix contre le Hamas – et demande la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens. Une rencontre

Sabine Brandes

« J’ai vu beaucoup de criminalité et de brutalité chez les terroristes » : Hamza Abu Howidy (26) sur sa vie sous le Hamas à Gaza

Une pensée qui lui a offert un peu d’espoir en prison était la suivante : les gens iraient sur la voie publique pour demander sa libération. Le monde occidental scanderait à tue-tête : « Libérez ces jeunes gens ! » Pendant trois semaines, Hamza Abu Howidy a été emprisonné par le Hamas, a été auditionné et torturé parce qu’il avait participé dans la bande de Gaza à des manifestations d’étudiants pour de meilleures conditions d’existence. « We want to live » – « Nous voulons vivre », tel était le mot d’ordre. On était en 2019, et personne n’avait réclamé sa libération. Ni à Gaza, ni nulle part ailleurs dans le monde.

Ce n’est qu’après que sa famille a payé un pot-de-vin de 3 000 dollars que Hamza a recouvré la liberté. « Quand je me suis retrouvé dehors, j’ai été choqué », raconte cet homme de 26 ans, « car j’étais sûr qu’on parlerait partout de nos protestations. » Pour lui c’était une preuve de la duplicité de la chaîne de télévision Al Jazeera du Qatar. « Ils font constamment des reportages sur Gaza, mais ne parlent absolument pas de cela précisément. Alors que les protestations n’étaient même pas politiques, raconte-t-il. « Nous voulions simplement un peu de qualité de vie. »

Moi non plus, je n’ai jamais entendu parler de ces manifestations. « J’aurais bien aimé écrire là-dessus », ai-je dit au jeune homme à l’écran. Nous deux étions simplement distants l’un de l’autre de deux heures d’automobile à l’époque, et pourtant des univers entiers sans le moindre point de contact nous séparaient.  Il vivait à Gaza, et moi à Tel Aviv.

Quand Hamza a entendu où je vis, il dit : « Ohhh », et cela donne l’impression qu’il aime bien ma ville. Il la connaît certainement pour l’avoir vue sur des photos et des vidéos sur Internet, mais il ne l’a pas encore visitée. Je lui raconte que j’ai été une fois à Gaza. Hamza est étonné. C’était en 1999, j’étais en train d’écrire un guide de voyages portant le titre « Israël et les régions palestiniennes », me promenais dans un marché multicolore, goûtais des délices arabes et parlais aux hôteliers et restaurateurs remplis d’espoir de voir des touristes. Peu de temps après, la seconde Intifada s’est déclenchée. Le livre n’a jamais paru.

« Nous souffrons tous et ne pouvons continuer à vivre sous le règne du terrorisme. »

J’ai le cœur qui bat quand j’attends Hamza un vendredi après-midi dans la salle de visioconférence. Il fait chaud à Tel Aviv, la climatisation ronronne au-dessus de ma tête. Viendra-t-il ? Nous avions rendez-vous la veille, mais il s’est décommandé. Peut-être parce que je vis en Israël ? Peut-être parce que je travaille pour un journal juif ?

Et subitement, il paraît sur l’écran et s’excuse pour ses cinq minutes de retard. Il est assis là avec une chemise fraîchement repassée et me sourit. Je souris moi aussi. J’avais parlé auparavant de l’interview à ma famille. Tous veulent écouter et dire « Hello ». Oron, mon mari israélite et Hamza, l’homme de Gaza, se saluent mutuellement de la main. D’écran à écran. D’homme à homme. Nous admirons Hamza, parce que ce qu’il fait, c’est courageux. Même plus que ça. Avec ses déclarations, il risque sa vie.

 

D’autres emprisonnés avec lui n’ont pas pu se procurer les milliers de dollars de pot-de-vin pour le Hamas

Après avoir été remis en liberté en 2019 à Gaza, il s’est retiré dans un premier temps. C’est ce que lui avait ordonné le Hamas, pour ne pas être à nouveau emprisonné. D’autres, qui étaient emprisonnés avec lui, n’ont pas se procurer les milliers de dollars. Ce qu’il en est advenu, Hamza l’ignore.

Hamza Abu Howidy a grandi avec sa famille à Rimal, un quartier de Gaza-Ville et a fait des études en économie et en gestion à l’Université islamique. C’était comment, de grandir dans la Bande de Gaza ? « Un cauchemar permanent », dit-il. « J’aime Gaza et le gens qui y vivent, mais nous étions limités par le Hamas dans tous les domaines de la vie, et j’ai vu beaucoup de criminalité et de brutalité chez les terroristes. Bien que j’aie depuis toujours une autre position et n’accepte pas leur idéologie, j’étais forcé de vivre avec eux. »

Après avoir terminé ses études, il a essayé de trouver du travail. « Mais il n’y avait pas de boulot pour moi, tout allait aux membres du Hamas. » En 2023, il en a eu assez de cette intimidation. Il est à nouveau descendu dans la rue lors d’une manifestation d’étudiants, ils ont à nouveau réclamé de meilleures conditions de vie. « Mais au bout d’à peine une demi-heure, le Hamas est arrivé et a arrêté tout le monde, 1 400 personnes. » Hamza a été incarcéré et torturé une fois de plus.

Après quelques semaines, sa famille serait de nouveau parvenue à verser des milliers de dollars – et ça avec un salaire mensuel équivalant à quelque 400 euros. Hamza a finalement été remis en liberté, mais une chose était claire pour lui, il ne pouvait pas continuer à vivre dans la Bande de Gaza.

Au mois d’août 2023, il s’est enfui en passant la frontière vers l’Égypte, là-aussi à l’aide de pots-de-vin. De là, il a continué vers la Turquie puis vers la Grèce sur un bateau plein de réfugiés. Dans le camp de transit, il y « en avait beaucoup avec des opinions extrémistes », raconte-t-il. Hamza voyait son existence continuer à être menacée. « Il a fallu que je parte de toute urgence. »

Il a continué à fuir jusqu’en Allemagne et y a demandé l’asile. La procédure est en cours. À l’heure actuelle, il vit dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile dans une ville moyenne d’Allemagne. Y est-il en sécurité ? Le jeune homme tarde à répondre. Ce serait en tout cas « mieux que rien, mais également difficile ».

Hamza est effaré de voir qu’en Occident, des étudiants soutiennent le Hamas et demandent une intifada globale

Arrivé en Occident, il aurait été effaré de voir des protestations « propalestiniennes », principalement de la part d’étudiants qui soutiennent le Hamas et demandent une intifada globale. « Ils ont commencé à manifester le 7 octobre, après que le Hamas a commis des atrocités contre des Israéliens. Cela devrait nous faire réfléchir. En particulier aux États-Unis, ils ont glorifié le Hamas – un régime terroriste. Même s’ils font comme s’ils étaient du côté des Palestiniens, ils ne le sont pas, car le Hamas tue et oppresse des Palestiniens. Il trouverait encore « plus horrible », dit Hamza, que de nombreux manifestants utilisent les protestations pour cacher leur antisémitisme derrière la « chose palestinienne. Ils hurlent que ‘les Juifs doivent retourner en Pologne’ ». Il aimerait beaucoup leur crier : « Pourquoi ne réclamez-vous pas la paix » Ils devraient plutôt pousser les gouvernements dans le monde entier à inviter Israéliens et Palestiniens à s’asseoir autour d’une table pour mettre fin à ce conflit.

Il trouve absurde que certains éléments de la communauté LGBTQ+ participent aux protestations. Ce qu’il leur arriverait à Gaza, il le décrit à l’aide d’un exemple : Mahmoud Ishtiwi, un commandeur du Hamas a été assassiné parce qu’on l’avait accusé d’homosexualité. Un autre homme a été poussé d’un toit dans le vide pour cette raison. Le groupe radical-islamiste serait comme les talibans : « On pourrait m’arrêter à cause d’une promenade avec mon amie, c’est absolument interdit. Si une femme ne couvre pas ses cheveux, elle est harcelée. Les gens en Palestine vivent pratiquement avec l’État islamique – un qui a de bonnes RP et se vend comme mouvement de résistance. »

Hamza rapporte que le slogan « From the river to the sea » est un soutien des brigades Al-Qassam, l’aile militaire du Hamas, et qu’il est synonyme d’expulsion de tous les Israéliens de leur pays. « Ces rêves idiots de la suppression d’Israël sont repoussants. Et complètement dingues, car ils ne se réaliseront jamais de toutes façons. Nous deux, Palestiniens et Israéliens sommes ici et resteront ici. » Le Hamas devrait capituler et libérer les otages, on pourrait alors arriver à un armistice. » Nous tous souffrons sous le Hamas et ne pouvons pas vivre plus longtemps sous le règne d’un groupe de terroristes. »

Le Hamas empêcherait également une reconstruction et une réorganisation pour le jour d’après, car il assassinerait systématiquement toute personne pouvant coopérer avec Israël à l’avenir, par exemple des chefs de clans à Gaza sans rapport avec le terrorisme qui sont considérés par de nombreux mécanismes de sécurité israéliens comme solution intérimaire pour l’administration de l’enclave.

Une restructuration à Gaza selon des modèles démocratiques comme il le souhaite mettrait toutefois beaucoup de temps, Hamza en est persuadé, car après des années d’endoctrinement fondamentaliste, la société « est complètement radicalisée ». Dans le  cadre d’un sondage, 73 pour cent des personnes interrogées à Gaza ont affirmé récemment que les massacres par les terroristes le 7 octobre « étaient justifiés ».

« Si quelqu’un poste une contribution critique à l’égard du Hamas sur un réseau social, un individu est sur le pas de la porte deux heures après et l’arrête », raconte Hamza

Quel est l’avis de Hamza sur de telles indications ? Il secoue la tête. « Il faut comprendre que les gens à Gaza n’ont aucune idée de la personne qui commande un sondage, et ils ont peur. Si quelqu’un poste une contribution ne fût-ce que légèrement critique à l’égard du Hamas sur un réseau social, un individu est sur le pas de la porte deux heures après et l’arrête. »

« Ces rêves idiots d’une éradication d’Israël sont écœurants. »

Hamza pleure toutes les victimes innocentes dans cette guerre, Palestiniens et Israélien au même titre, et souhaite du plus profond de son âme une réconciliation. Croit-il à une paix durable ? « Je combats pour cela », dit-il, comme s’il n’y avait aucune autre vérité. « Nous y arriverons. La paix entre nos peuples va arriver. » Mais pour cela, une direction qui le promeut est nécessaire, et non pas la douleur des Palestiniens. Mais ce qu’il ne veut pas non plus, c’est « qu’un régime terroriste soit remplacé par un système corrompu ». Il entend par là le Fatah de l’Autorité palestinienne. « Peut-être pourrait-on y associer le Fatah pour la période transitoire. Mais il nous faut un nouveau mouvement pour le changement. »

Comme cela s’est avéré à la fin de notre entretien à distance, Hamza s’était décommandé pour notre rendez-vous prévu initialement la veille parce qu’un ami israélien l’avait invité à une excursion. « C’est une bonne raison », dis-je. Nous rions. Rencontrer des Israéliens est important pour lui, parce qu’ainsi, il comprend mieux comme fonctionne l’autre côté.

Hamza voudrait retourner dans sa partie. Mais tant que le Hamas y règne, ce ne sera pas possible

Hamza espère qu’après la guerre, Israéliens et Palestiniens seront des « alliés ». Il voudrait retourner dans sa patrie. Mais tant que le Hamas y règne, ce ne sera pas possible. « Après tout ce que j’ai dit et fait, ils me tueraient de suite. »

Une fois l’interview terminée, j’écris un message à Hamza sur WhatsApp pour lui dire à quel point notre entretien m’a touchée. Il souligne mes paroles par un cœur rouge. Peut-être qu’un jour mon guide de voyage à travers Israël et les régions palestiniennes – y compris Gaza – paraîtra quand même.

Traduction de Jean Schoving pour Résistance républicaine

https://www.juedische-allgemeine.de/politik/geflohen-aus-gaza/

 62 total views,  62 views today

image_pdf

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Soyez le premier à commenter