Dimanche dernier, Antiislam nous a laissé un commentaire à propos de Milly ou la terre natale de Lamartine :
Je suis très touché par François Cheng, d’origine chinoise, arrivant à Assise et se disant en substance :
“C’est ce que j’ai cherché toute ma vie”.
Je ne connaissais pas François Cheng, j’ai voulu savoir, j’ai voulu comprendre. Je suis allée lire sa fiche wikipedia.
Né le à Nanchang (province du Jiangxi, Chine), est un écrivain, poète et calligraphe français d’origine chinoise. Il a été naturalisé français en 1971. Il est membre de l’Académie française depuis 2002.
Ses travaux se composent de traductions des poètes français en chinois et des poètes chinois en français, d’essais sur la pensée et l’esthétique chinoises, de monographies consacrées à l’art chinois, de recueils de poésies, de romans et d’un album de ses propres calligraphies.
Après des études à l’université de Nankin, François Cheng arrive à Paris avec ses parents en 1948 lorsque son père (1895-1975) obtient un poste à l’Unesco en tant que spécialiste des sciences de l’éducation. Alors que sa famille émigre aux États-Unis en 1949 en raison de la guerre civile chinoise, il décide de s’installer définitivement en France, motivé par sa passion pour la culture française.
Il se consacre à l’étude de la langue et de la littérature françaises en vivant dans le dénuement et la solitude1 avant de faire dans les années 1960 des études universitaires, en préparant un diplôme de l’École pratique des hautes études (EPHE)2,3. Dans les années 1960, il enseigne au Centre de linguistique chinoise, le futur Centre de recherches linguistiques sur l’Asie orientale4. Il se lance aussi dans des traductions en chinois de poèmes français, puis celles de poèmes chinois en français5.
Passionné par la culture française, il choisit la France, quitte à ne plus voir sa famille que très rarement. Quelle belle déclaration d’amour à notre pays, à notre culture ! Il va donc passer sa vie, lui l’émigré, lui l’étranger, à étudier notre langue, notre littérature, à établir des ponts entre Chine et France, se nourrissant de ses lectures tout en mourant de faim… Quel symbole, quel exemple dans la France de 2023 pour ces assoiffés… d’avantages sociaux qui se fichent de la France, de sa culture, de sa langue, de son histoire ! Alors François Cheng méritait bien ce coup de coeur dominical, non ?
J’ai acheté Assise. Quelle langue ! Quel don pour évoquer la beauté, la fascination, le coup de foudre… Bien sûr, François Cheng évoque en arrière-plan François d’Assise , « l’autre Christ », qui le fascine, et qui est un des héros/hérauts de notre civilisation. Mais oui, il est des héros en robe de bure comme en armure, comme en habit d’écrivain… Il n’est pas besoin d’être croyant pour admirer les destinées exceptionnelles, qu’elles soient celles de « saints » ou de mécréants. Nous y voyons, nous les mécréants, la main du génie humain, d’autres y voient la main de Dieu. Qu’importe. Ce qui compte est de croire en l’homme, en sa grandeur et en sa toute-puissance, et en son pouvoir de faire naître la beauté.
Ecoutez cet extrait de Assise, lisez, gorgez-vous de beauté.
Comme tous ceux qui, depuis la plaine de l’Ombrie, voient Assise pour la première fois, je fus saisi, en sortant de la gare, par son apparition dans la clarté d’été, par la vision de cette blanche cité perchée à flanc de colline, suspendue entre terre et ciel, étendant largement ses bras dans un geste d’accueil. Figé sur place, j’eus le brusque pressentiment que mon voyage ne serait pas que touristique, qu’il constituerait un moment décisif de ma vie. Je me surpris à m’exclamer moi-même : « Ah ! c’est là le lieu, mon lieu ! C’est là que mon exil va prendre fin ! « .
Bien plus tard, je comprendrai mieux le surgissement de cette singulière intuition. Que voulais-je dire par la phrase : « ‘c’est là le lieu, mon lieu » ?. Cela ne signifiait nullement que j’aurais trouvé un nouveau terroir qui pourrait se substituer à ma terre natale. Il s’agissait d’une fulgurante rencontre qui me rappelait le rapport fécond que l’homme se doit d’entretenir avec la terre. La vue de ce haut lieu réveilla en moi la réminiscence du feng shui, la géomancie chinoise : un site exceptionnel est censé avoir le pouvoir de propulser l’homme vers le règne supérieur de l’esprit. Et je vis combien le site d’Assise qui se déployait devant mes yeux était marqué d’un signe faste.
Cette ville pleinement exposée au soleil, à la fois distante et ouverte, suffisamment élevée pour dominer la plaine, tout en se laissant protéger par le haut mont auquel elle s’adosse, a atteint un degré d’équilibre miraculeusement juste. Attiré sans doute par cet équilibre, le souffle vital qui circule entre terre et ciel y séjourne volontiers, y épendant ses clartés favorables. Surgit alors en moi la conviction ancrée dans l’imaginaire chinois, conviction provenant de la même tradition géomantique : « un petit coin de terre possédant du génie est à même d’engendrer un génie humain à dimension universelle ».
Assise, pages 11 à 12, Albin MIchel.
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c’est superbe, un grand merci
et comme ce texte est lu avec …le coeur
2002, « Double je » – François Cheng et Bernard Pivot
https://www.youtube.com/watch?v=QFcKCPAsFvE&t=1s
Il y a quatorze ans, j’ai lu ce texte de lors de l’enterrement de ma mère.
Traces que laisse tout destin aimant, nullement
En ligne droite mais en cercles concentriques
Cercles rejoignant d’autres cercles mus par l’amour
Jusqu’à rejoindre l’immense cercle initial
Qui depuis toujours aimante tout, mêlant
Destins brisés et rêves primordiaux
Feuilles tombées ferments d’un printemps autre
François Cheng
C’est très beau, merci Beate
Quelle collision bouleversante entre diverses strates de la beauté : géographie, génie des bâtisseurs, génie des hommes, reconnaissance entre génies, littérature qui télescope l’architecture, intégration absolue de François Cheng jusqu’au spirituel. Et mis en voix par notre Brigitte Bardot des maquis… C’est éblouissant. J’aurais aimé vous avoir comme collègue, chère collègue, et encore plus comme professeur quelques années plus tôt. En toge, comme un cercle des poètes jamais disparu.
Vous me faites rougir, Roi de Prusse. Vous ne pouviez pas mieux dire : je portais la toge chaque année ainsi que mes élèves de latin pour célébrer les Saturnales au moment du solstice d’hiver. Merci à tous pour vos commentaires qui montrent à l’envi que les prétendus « fachos » de RR sont et cultivés, et sensibles à la beauté jusqu’à l’étourdissement, et humains, tellement humains, tellement capables de ressentir, de trembler de joie et d’émotion… Mais c’est peut-être justement ce qui nous rassemble : la haine de l’islam qui ne contient ni humanité, ni beauté, ni tendresse, ni transcendance…
SUBLIME ! Merci.
Bonjour Christine, outre tout le bonheur effectivement de lire François Cheng, Assise ne se raconte pas,ne s’imagine pas,elle se vit ! Lorsque l’on connait Assise on y retourne, encore et toujours. Y arriver á pieds en ayant marcher des semaines dans les pas de François d’Assise est de ce que j’ai également vécu de plus émouvant. Je ne peux que souhaiter á tous de vivre cette expérience de s’y rendre, á pieds dans l’humilité et ainsi redécouvrir nos vraies racines chrétiennes nulle part ailleurs identiques si ce n’est en Terre Sainte. A tous un très beau dimanche .
Magnifique….
Je comprends tellement ce que veut dire Mr Cheng par sa prose.
Il arrive à retranscrire des émotions positives et des sentiments intériorisés indescriptibles pour moi, de façon si évidente…
Chère Christine, et brave « mécréante », votre liberté, ouverture et profondeur d’esprit, me font penser à cette délicate parole du Christ : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » (Marc 12,34 — Idem pour François Cheng, évidemment.)
Aucune tentative de récupération ici. Mais rien qu’un encouragement pour votre combat pour tout ce qui est vrai et beau.
Bonjour,
Merci Christine.
J’ai depuis une dizaine d’années son beaulivre « d’où jaillit le chant ». Je ne pensais pas lire tant de choses passionnantes à son sujet sur RR. Un grand !
Un grand merci pour les cartes postales culturelles. Ainsi que pour le rappel de la démarche « savoir, comprendre, participer « et ici faire « partager ». Parfois le syndrome de Stendhal nous guettera mais nous le taquinerons pour notre plus grand bonheur.
Bon D … ce que c’est beau ! Un personnage inconnu des plateaux télé: c’est bon signe !