Daniel Sarfati : je me souviens que Georges Perec est mort le 3 mars 1982

Cadeau dominical..

Pas de coup de gueule du jour, un coup de beauté et d’humanité, le « coup de coeur dominical ».

Un moment hors du temps, c’est dimanche... le jour du Seigneur pour les catholiques, le jour où l’on ne fait rien  pour la plupart des Occidentaux même si les mondialistes à la Macron s’échinent à vous faire travailler le dimanche, le jour où faire « rien » c’est faire ce que l’on aime, ce que l’on choisit : la grasse matinée, passer la journée en pyjama en écoutant Mozart, se délecter d’un roman palpitant (et beau, sinon c’est pas la peine) vautré sur le canapé en se gavant de saucisson ou de brioche, au choix, jouer aux cartes, jouer aux petites voitures ou à la poupée avec un enfant, cultiver son jardin, dans tous les sens du mot, faire l’amour, visiter notre doux pays, cuisiner et déguster avec des amis….

Aujourd’hui dimanche j’ai choisi de vous faire partager un coup de coeur pour cet hommage de Daniel Sarfati à Georges Pérec et surtout, surtout… la fin, consacrée à la mère de Georges Perec. On ne peut la lire sans être touché au coeur, touché par la tristesse, par l’art suprême de la langue qui dit tant en si peu de mots.

 

C’est là notre supériorité à nous, d’Occidentaux héritiers de près de 3000 ans d’histoires, d’oeuvres d’art, de recherches et découvertes scientifiques… toutes en quête de la beauté, du bonheur d’être homme, de savoir communiquer par art,  musique, littérature, sculpture, architecture ou nos inventions, la cuisine par exemple (lire ou relire Le cru et le Cuit  de Levi-Strauss et écouter Levi-Strauss, nous dire que la seule espèce qui fasse cuire et transforme sa nourriture, c’est l’homme… Tiens, il évoque la naissance de la culture, liée à la cuisine et un moment de l’histoire où les rayons du soleil étaient si forts que les hommes faisaient cuire leur viande… en l’exposant aux rayons du soleil, moi je dis ça, je dis rien.).

Christine Tasin

P.S N’hésitez pas, vous aussi, à nous proposer, outre des articles sur les sujets de votre choix, des coups de coeur pour alimenter cette rubrique !

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Portrait de Georges Perec par Enki Bilal

Je me souviens que Georges Perec est mort le 3 mars 1982.

Je me souviens de son visage de faune auréolé d’une épaisse crinière et qui se terminait en pointe par une barbichette.

Je me souviens de son regard intelligent et plein de malice.

Je me souviens que je passais tous les matins devant son immeuble rue Linné pour aller à la faculté de Jussieu.

Moi, qui m’étais décidé pour des études scientifiques, je me consolais en me disant que l’Oulipo conciliait mathématiques et littérature.

Je me souviens de la rue Vilin dans le 20ème arrondissement, où il est né. Je m’y suis égaré un jour, après une garde à l’Hôpital Tenon.

Je n’avais pas dormi de la nuit.

Je me souviens d’ « Un homme qui dort ».

Je me souviens que le nom de son père, juif polonais, était en réalité Pereç ( prononcer Peretz ) transformé par l’état-civil français.

« Perec » פרק veut dire « chapitre » en hébreu.

Ce qui pour un écrivain comme lui est une coïncidence oulipienne qui devait, sans doute, le ravir.

Je me souviens de Samy Frey récitant “Je me souviens”, au Théâtre de la Madeleine, en pédalant sur un vélo immobile.

Je me souviens de la voix étouffée de Samy Frey.

Je me souviens avoir mis des mois pour lire “La Vie mode d’emploi”, un roman exhaustif qui se lit comme une partie de go ou une grille de mots croisés.

Je me souviens que je n’ai jamais pu en épuiser toute les possibilités.

Je me souviens de “La disparition”, un texte curieux où Perec n’utilise jamais la lettre e. Une prouesse littéraire pour une histoire qui a une certaine cohérence mais qui manque de signification. Un peu comme dans une vie où une mère nous manque.

Je me souviens que Perec disait que si il devait traduire « La disparition », en italien, c’est le a qu’il devrait supprimer, mais qu’alors c’est une autre histoire qu’il devrait écrire.

Mais quelque soit la langue, il est impossible de supprimer le a du mot Maman.

Je me souviens de “W ou le souvenir d’enfance”, où Perec parle d’un univers concentrationnaire sans jamais le nommer.

Je me souviens que l’inverse de W est M comme Maman.

Je me souviens que la mère de Georges Perec n’est jamais revenue d’Auschwitz.

“Cyria Shulevitz, ma mère,… naquit le 20 août 1913 à Varsovie…Elle était juive et pauvre…Il me semble voir, lorsque je pense à elle, une rue tortueuse du ghetto, avec une lumière blafarde et de la neige… Il n’y eut dans la vie de ma mère qu’un seul événement : un jour elle sut qu’elle allait partir pour Paris…Le départ se fit. Je ne sais ni quand, ni comment, ni pourquoi. Était-ce un pogrom qui les chassait, quelqu’un qui les faisait venir ? Puis elle rencontra mon père. Ils se marièrent. Il s’installèrent rue Vilin et prirent en gérance un salon de coiffure… La guerre survint. Mon père s’engagea et mourut..Son salon fut fermé… Elle porta l’étoile. Un jour elle m’accompagna à la gare. C’était en 1942. C’était la Gare de Lyon…J’allais à Villard-de-Lans… A Paris, on conseilla à ma mère de déménager, de se cacher. Elle n’en fit rien… Elle fut prise dans une rafle avec sa sœur, ma tante. Elle fut internée à Drancy le 23 janvier 1943, puis déportée le 11 juillet suivant en direction d’Auschwitz. Elle revit son pays natal avant de mourir. Elle mourut sans avoir compris.“

( W ou le souvenir d’enfance )

Je me souviens de Georges Perec.

© Daniel Sarfati

https://www.tribunejuive.info/2023/03/03/daniel-sarfati-je-me-souviens-que-georges-perec-est-mort-le-3-mars-1982/

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10 Commentaires

  1. Le petit vélo à guidon chromé est l’un des meilleurs romans sur la « Guerre » d’Algérie,vue de métropole.

  2. J’ai découvert Pérec au théâtre en allant voir « l’augmentation » (il y a bien longtemps) et comme j’avais tellement aimé cette pièce, j’ai lu Pérec et j’ai découvert un auteur qui me semblait tellement sous-estimé eu égard à son talent ….

  3. Quelle humanité dans la vie et les témoignages de ces personnages…Et quelle solidarité, produite par leur vécu…Merci de nous l’avoir rappelé Christine.

  4. Merci a tous. Grâce à vous on se souvient qu’on est encore debouts riches de nos émotions fiers de notre culture et que notre combat a du sens

  5. Les Choses, que j’ai lu jeune, que je relis. L’absurde. En fait tout est absurde, le temps, l’espace, la vie que nous n’avons pas demandée, la mort que nous ne souhaitons pas, l’univers, tout ce qui nous entoure, tout est absurde. Contre, ou en dépit de cette absurdité, nous devons vivre, même si c’est absurde. Je suis moi-même une absurdité. C’était la minute nécessaire et bassement philosophique du professeur ex absurdo. Bon dimanche à tous, amis patriotes.

  6. Georges Perec est un écrivain connu à son époque membre de l’Oulipo Ouvroir de littérature Potentiel créé par un autre écrivain disparu en 1976 Raymond Queneau qui avait révolutionné la littérature Française.

    • Merci Térence pour ce complément que j’ai en effet oublié de faire.

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