INTERVIEW – Divisé entre républicains et démocrates, le Congrès risque la paralysie, mais Trump devrait poursuivre sa politique, estime Vincent Michelot, professeur des Universités et spécialiste des États-Unis. Ce qui n’empêchera pas les démocrates de gêner la Maison-Blanche, selon l’ancien directeur de Sciences Po Lyon.
LE FIGARO. – Les démocrates l’emportent à la chambre des représentants, mais les républicains se renforcent au Sénat. Peut-on donc vraiment parler de vague bleue?
Vincent MICHELOT. – Les démocrates auraient évidemment aimé avoir une majorité plus large.
Mais, en pratique, le fait d’avoir une majorité de 20 ou de 40 à la Chambre des représentants ne fait pas une énorme différence vu que le parti démocrate est un parti d’opposition.
Il progresse néanmoins dans certains États, comme dans le très conservateur Kansas, dans le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie qui font partie de cette ceinture industrielle, la Rust Belt, qui avait permis à Trump de l’emporter en 2016.
Le parti démocrate a donc une capacité à rebondir. En même temps, pour les postes de gouverneur, il perd dans les deux États les plus convoités – Ohio et Floride -, ce qui montre que les républicains ont aussi une forte résilience.
– Donald Trump a même parlé d’un «énorme succès ce soir». Que pensez-vous de cette interprétation?
Il faut faire la part des choses entre la communication et la réalité. Il avait annoncé que s’il conservait le Sénat, ce serait une victoire. Il est donc fidèle à ses annonces. Il y a une expression célèbre du président Kennedy qui correspond parfaitement à la situation: «la victoire a mille pères et la défaite est orpheline». Donald Trump estime que la défaite des républicains à la Chambre des représentants n’est pas la sienne car son nom n’était pas sur les bulletins de vote. Il revendique en revanche la victoire au Sénat, même si son nom n’y était pas non plus, mais le président américain a fait une campagne très intense pour soutenir ses candidats.
– Le nouveau Congrès aura-t-il un impact sur la politique intérieure de Donald Trump?
Ça ne va pas changer grand-chose. Hormis une grande loi sur les baisses d’impôts, Donald Trump n’a aucun grand texte législatif à son actif. La transformation de la société américaine qu’il a pu opérer s’est faite par le biais de décrets présidentiels, les executive orders. Donald Trump se désintéresse du Congrès et pense que tout se fait par le biais exécutif. La grande différence ne concernera pas le «législateur en chef» Trump, mais les démocrates vont pouvoir lui mettre des bâtons dans les roues car ils auront la capacité de lancer des commissions d’enquête. Le Congrès ne vote pas seulement la loi, mais en contrôle aussi l’exécution. Avec ces commissions d’enquête, les démocrates pourront faire subir à Donald Trump une forme de torture chinoise: notamment dans l’affaire russe, ils pourront convoquer des témoins, exiger de l’administration la production de documents, etc. La Maison-Blanche fera face à une sorte d’enquête permanente.
– Est-ce si inédit?
Le climat politique est particulier depuis l’élection de Donald Trump, mais, au-delà, les électeurs américains plaident en faveur d’un rééquilibrage régulier des pouvoirs. On passe aujourd’hui d’un gouvernement unifié à une forme de cohabitation à l’américaine, ce qui est très courant. Ceci illustre très bien l’équilibre des pouvoirs que l’on nomme «checks and balances» aux États-Unis, mais que l’on trouve plus largement dans toutes les démocraties constitutionnelles.
– Le nouveau Congrès peut-il déclencher un impeachment?
Depuis quelque temps aux États-Unis, pour parler de l’ «impeachment», on utilise l’expression «the i-word» comme on dit «the n-word» pour ne pas dire «nègre». Les démocrates sont tout à fait conscients du risque de lancer une procédure de destitution du président américain. Donald Trump les encourage chaleureusement dans ce sens car cela mobiliserait sa base électorale.
Pour mener une procédure d’impeachment, il y a deux étapes. Il faut d’abord une majorité simple à la Chambre des représentants pour voter les articles d’accusation. Il faut ensuite que la majorité qualifiée des deux tiers des sénateurs votent à l’issue d’un procès pour la destitution du président. Vu le renforcement des républicains au Sénat, il n’y a aucune chance de voir aboutir une telle procédure.
– En matière de nominations, Donald Trump sort-il conforté de ces «Midterms»?
Tous les magistrats fédéraux, dont les juges de la Cour suprême, sont nommés à vie par le président avec «l’avis et le consentement» du Sénat. Du coup, certains tombent dans une forme d’analyse morbide de l’état de santé des juges les plus âgés, notamment à la Cour suprême. Au-delà de ces spéculations, il est certain qu’il y aura de nouvelles nominations. Il y aura également un prochain remaniement, avec la nomination de nouveaux ministres. Là encore, il faudra l’aval du Sénat.
– Et en matière de politique étrangère?
Alors, là, disons clairement les choses: il n’y aura absolument aucun changement. Un arrêt de 1936 de la Cour suprême le confirme, le président des États-Unis a des pouvoirs «pléniers» en la matière. Le Congrès peut certes apporter des limitations sur le budget des opérations militaires et certains traités commerciaux, mais avec une particularité qui joue en faveur de Trump: les deux chambres du Congrès sont également puissantes, sauf pour les Affaires étrangères où le Sénat l’emporte sur la Chambre des représentants. La Constitution lui attribue en effet le pouvoir de ratifier les traités et de contrôler la nomination des ambassadeurs par la même procédure d’«avis et consentement». Il y a des subtilités: certains traités, comme l’ALENA (traité commercial entre les pays d’Amérique du Nord), ont été ratifiés par un processus plus complexe qui impliquait les deux chambres. Mais sans rentrer dans ces détails, le Congrès n’aura aucun impact en matière de politique étrangère.
– Donc, pas de changement à prévoir dans la politique américaine de sanctions vis-à-vis de l’Iran?
Donald Trump pourra dire comme les enfants dans les cours d’école: «même pas peur». Que ce soient sur l’Iran, la Corée du Nord ou la Russie, la Chambre des représentants n’aura absolument rien à dire.
– Les résultats des «Midterms» peuvent-ils avoir un impact sur la prochaine élection présidentielle de 2020?
Il y a plusieurs façons d’apprécier les deux années à venir. Une première consiste à dire que la cohabitation va entraîner une paralysie institutionnelle du Congrès, dont rien ne sortira. Ce sera un miracle s’ils arrivent déjà à voter un budget… En principe, ce n’est bon ni pour les démocrates qui n’ont pas envie de passer pour le parti de l’obstruction, ni pour les républicains qui n’ont pas envie d’apparaître avec un faible bilan.
– Et l’autre manière de voir les choses?
Donald Trump n’a pas réellement d’ancrages idéologiques et privilégie une approche transactionnelle. Ce qu’il veut, c’est seulement obtenir des «wins» (des victoires). S’il doit pour cela négocier avec les démocrates, il le fera sans aucune réserve. En face, il serait bon pour les démocrates d’obtenir des concessions en matière d’infrastructures ou de santé par exemple. Il existe des domaines où les deux grands partis peuvent faire passer des textes législatifs.
– Mais n’y a-t-il pas au contraire une polarisation à gauche du parti démocrate et à droite des républicains?
C’est toute la difficulté. Le parti démocrate n’est pas uni. Lors des «Midterms», des candidats très à gauche -parfois plus à gauche que Bernie Sanders– ont pris l’ascendant. À l’inverse, les démocrates ont présenté certains candidats très centristes dans certains États-pivot. Du côté républicain, ce sont les plus à droite qui ont été réélus. Les modérés se trouvaient dans des circonscriptions elles-mêmes modérées qui sont historiquement celles qui basculent en premier. Rien n’est donc joué.
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Parlons plutôt d’élections de « mi-mandat », terme français plutôt que de reprendre le terme équivalent en américain. Sur le fond il faudrait que les Républicains, en plus de leur électorat de base d’américains d’ascendance européenne implanté dans les zones rurales ou les zones ouvrières désindustrialisées, il faudrait donc que les Républicains arrivent à augmenter leurs suffrages parmi des communautés ethniques qui ne portent pas leur identité en « étendard ». Je pense aux minorités asiatiques aux EU : coréens, vietnamiens, chinois, japonais, et qu’ils essayent de faire passer le message suivant à la communauté latinos si importante numériquement : « ceux qui jouent réellement le jeu de l’intégration et qui respecte les lois américaines ont leur place aux Etats-Unis mais ils doivent comprendre que dans l’intérêt de tous les américains, qu’ils soient de souche ou néo-américains il faut s’opposer fermement aux flux migratoires illégaux et au radicalisme « diversitaire » d’une fraction importante de la gauche américaine.
Car la démographie joue à terme contre les Républicains. Il leur faudra donc ne pas perdre leur électorat de base tout en gagnant de nouveaux électeurs, au sein des minorités ethniques faute de pouvoir gagner à leur cause, l’électorat « Wasp » (white anglo-saxon and protestant) des grandes agglomérations des côtes Est et Ouest, tout acquis au Parti démocrate.
Les démocrates ne pourront pas grand chose contre Trump. Le président qui a tenu plus de 280 promesses de campagne va pouvoir mettre en route ses plus gros projets bloqués.
Certains démocrates de bonne foi ne chercherons pas d’ennuis à Trump.
Soros doit mal dormir ces temps-ci … Ahh si on avait un bulldozer pareil en France…