
Bonne année la France ! Nous revenons samedi 3 janvier, merci pour votre patience et votre fidélité
SEPTIÈME TABLEAU
Une rue, la nuit.
KARLANNER, seul.
Karlanner ( à la porte d’une boutique, entre deux vitrines.) : Pense donc à moi. Rien qu’à toi. Rien qu’à moi ? Comme ton visage est mince à présent. ( il frappe sur la vitre.) Si mince. ( il se regarde dans la glace, puis, après un temps : ) S’enfoncer dans la masse, Karlanner, disparaître. ( il sourit.) Plus maintenant. ( il respire profondément.) Plus maintenant. ( il se met à siffler. Un temps.) Plus maintenant, sors en, Karlanner, remonte à la surface, homme insuffisant. ( il se siffle lui-même.) Remonte. ( arrive une équipe de balayeurs.) Allemand insuffisant. ( il rit.) Ils balaient et lancent en l’air les debris du grand jour, les chiffons de papier, les sentences avec lesquelles on nous a donné la fièvre. » Ce sera une des plus mémorables journées d’Allemagne » ? Elle l’a été, Rossloh à tes ordres. Que ne t’ai-je ligoté, pieds et mains liés, Rossloh, avant que ce jour mémorable ne soit levé sur l’Allemagne. Un allemand insuffisant, c’est tout ce que j’ai été. À tes ordres.( les balayeurs s’en vont.) Un chrétien insuffisant. C’est cela surtout. ( il caresse le mot » juif » peint sur la glace.) Un chrétien insuffisant. Que dirais tu, Siegelmann ? Ta foi en l’être humain te défend de te cacher ? De te cacher, Siegelmann ? Tu t’es caché quand même. Tu t’es caché derrière un accident d’auto. Devant la force et la violence, Siegelmann, l’homme n’est plus qu’une pâte molle sur deux pieds. Que l’assemblée générale de notre globe terrestre veuille bien décréter que chacun, chacun de ses milliards d’hommes doit être respecté en sa qualité d’être humain. Respecté. Le respect s’appuyant sur aucun pouvoir, ce décret devra rester inébranlable. Nous aurons à nous incliner devant lui, par égard pour notre âme. S’il perd de sa rigueur, chacun, chacun, chacun de ses milliards n’est plus q’un pauvre tas de misère sur deux pieds. Le grand cœur, le grand cerveau, je les mets en joue; déjà ils ne sont plus rien. Nous en avons fait du néant et, par là, nous nous sommes faits nous mêmes néant. Siegelmann, je m’incline devant toi, par égard pour mon âme. ( Devant une colonne, des colleurs d’affiches. Il les regarde avec angoisse.) Encore un grand jour qui se lève sur l’Allemagne. Encore un de ces jours à jamais mémorables. ( il frappe sur la glace.) Pour nous ? ( il secoue la tête.) Nous, nous sommes dehors. L’ivresse ne veut plus de nous. Nous sommes enfin de nouveau hors du circuit. De préférence, un de ceux qui portent un écriteau. Mais moi, Henri Karlanner, je suis de nouveau moi. Console toi, c’est de nouveau moi. ( il embrasse son image sur la glace.) Console toi homme insuffisant mais redevenu moi. ( À voix haute, aux colleurs d’affiches : ) Fantômes…Tu vois que ce sont des fantômes ? (Ils ne s’occupent pas de lui.) Je me vois. Tu le vous ? Seul est aveugle l’homme disparu dans la masse. Miséricorde.
( Il s’enfuit.)
HUITIÈME TABLEAU
Chambre d’Hélène
SIEGELMANN, HÉLÈNE
Siegelmann : Votre train part dans un heure. ( Hélène détourne la tête les yeux fermés.) Il faut commencer mademoiselle Hélène. ( Hélène a un signe de tête affirmatif.) Vous n’êtes pas en avance.
Hélène ( après un temps.) : Et vous ? Quand partez vous ?
Siegelmann : Dès que j’aurai ma carte de légitimation, je pars en Palestine. Je dois retourner demain au consulat d’Angleterre.
Hélène : Ils vous font des difficultés ?
Siegelmann ( souriant.) : Nous sommes trop nombreux.
Hélène ( avec un signe de tête affirmatif.) : Nous sommes trop nombreux.
Siegelmann : Je vais vous aider.
Hélène : Ce n’est pas la peine.
Siegelmann : Ça irait plus vite.
Hélène : Non, vous me gêneriez. ( elle revient à son idée.) Alors, vous êtes encore ici jusqu’à demain ?
Siegelmann : Il y a au consulat un fonctionnaire au visage pâle. Il se détache comme une île du flot des fugitifs. Ils assaillent sa table. L’angoisse de tous ces yeux est fixée sur lui. Mais le petit homme donne tous les renseignements, répond à toutes les questions, vient en aide à chacun autant qu’il peut. Il ne perd pas patience. Il ne perd pas la raison. Dans cette grande débâcle de la dignité humaine, une île. Ne désespérons pas. Il y a encore quelques soldats, petits, inconnus, qui luttent sur le front que nous appelions être humain.
Hélène : Ne désespérons pas. Sans vous, je n’aurais pas survecu aux jours que je viens de traverser. ( elle s’assoit.) Jamais je ne l’oublierai, Siegelmann.
- A SUIVRE.
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