Théâtre : « Les races  » de Ferdinand Bruckner ( 17 )

 

Rossloh  ( vivement.) : Alors,  tu refuses ? ( Karlanner reste immobile.) Tu dois avoir remarqué que je renonce à tes services pour la journée de demain. C’est la bataille décisive, on ne peut en confier le commandement qu’aux plus sûrs,  à la fleur de la nation. Toi, tu connais à présent le mécanisme des arrestations.  Cette fille de « Marx, produits chimiques « , qui s’était d’ailleurs sauvée de chez son père, a des comptes à nous rendre. C’est à cause de ce père qu’elle n’a pas encore été arrêtée. Le père, pas inconnu non plus ?

Karlanner : Non plus.

Rossloh : Tu l’as connu comment ?

Karlanner : Son auto est passée un jour devant nous.

Rossloh : Pas chercher à le connaitre davantage ? ( Karlanner se tait.) D’ailleurs, tu n’y aurais pas réussi. Quoique juif, cet homme a de la dignité, de l’honneur. S’est mis à la disposition du parti sitôt que la révolution a éclaté. A protesté aux calomnies de l’étranger par 5000 circulaires où il racontait, preuves à l’appui, combien le juif est heureux en Allemagne. Ce que tous font semblant d’être, il l’est, lui, en réalité : un juif allemand. Quoique dans l’impossibilité d’être jamais des nôtres, il est du petit nombre de ceux qui peuvent être supportés sans préjudice pour la race.

Tessow ( très agité, au garde à vous.) : A tes ordres.

Rossloh : Qu’est-ce que tu veux, toi ?

Tessow : Sans préjudice pour la race,  Rossloh ?

Rossloh ( avec importance.) : Faut savoir, à ses heures, penser selon la politique de l’état…

Tessow : La pureté de notre substance intime, Rossloh ?

Rossloh : ….et ne pas perdre de vue le jeu de ses forces économiques.

Tessow : Et l’esprit  Rossloh ? L’esprit ?

Rossloh : Ces juifs là reconnaissent notre esprit et lui rendent un hommage très réel. Mettent toutes leurs forces sans réserve aucune, au service de l’esprit traditionnel et belliqueux, l’esprit allemand . Il convient donc que demain, le jour du grand combat,  on demeure, vis à vis d’eux, dans une bienveillance neutralité. L’incapacité de se sentir jamais satisfait,  la recherche insatiable de nouveauté, la maladie de la fraternité qui caractérisent le véritable esprit juif, ils les condamnent plus sévèrement que nous.

Tessow ( En détresse.) : Rossloh !

Rossloh : Il est évident que ce petit nombre forme une race à part, toute spéciale.

Tessow : Une race spéciale ?

Rossloh  ( sur un ton de menace.) Tu désires autre chose ? ( Tessow recule.) La fille, par contre, totalement dégénérée. On n’a qu’à la voir à l’oeuvre. Les propos qu’elle tient sont sont-ils parvenus à ta connaissance ?

Karlanner : Non.

Rossloh : Jamais cherché à la revoir ?

Karlanner : Jamais.

Rossloh : Jamais pensé à elle ?

Karlanner : Oh ! Pas de ça surtout.

Rossloh ( à Tessow.) : On peut dire qu’il a du coeur.

Karlanner : A tes ordres.

Rossloh : Il te sera d’autant plus facile de me l’amener . A tenu dans son bureau de tels propos sur le vingtième siècle que son patron s’est vu dans l’obligation de la renvoyer sur le champ, en même temps que tous les employés juifs. A décommandé son journal, déclarant qu’elle ne recommencerait à le lire que lorsqu’il redeviendrait lisible. Enfin, en présence du concierge de l’immeuble numéro 7 de la place Goethe,  prêt à donner son témoignage, elle a répandu des bruits sur un certain Nathan Siegelmann. Un homme que tu connais. ( Karlanner secoue la tête.) Tu ne le connais pas ?

Karlanner : A tes ordres.

Rossloh ( vaguement.) : Ce n’était pas,  dans le cadre de l’épuration nationale,  une de tes premières arrestations ?

Karlanner ( très précis.) : Les noms des personnes appréhendées ne me sont plus connus après leur arrestation. Article 7.

Rossloh ( avec humeur.) : Eh bien, tu ne le connais pas. Donc, le nommé Siegelmann aurait été promené dans les rues en un costume soit disant ridicule.

Karlanner : Cela m’est inconnu.

Rossloh ( tranchant.) : Je l’ai déjà entendu.

Karlanner ( riant.) : A tes ordres.

Rossloh : On l’aurait trouvé gravement blessé, deux jours après, sur les bords du Rhin.

Karlanner ( vivement.) : M’est totalement inconnu.

Rossloh : Mes recherches ont établi qu’un nommé Nathan Siegelmann habite effectivement au numéro 7 de la place Goethe,  mais qu’il a quitté son domicile il y a une dizaine de jours sans en aviser les autorités et qu’il n’y est plus jamais revenu. C’est clair : il a pris la fuite.  Tout le reste n’est que pure…

Karlanner : …calomnie.

Rossloh : Je n’aime pas cette obséquiosité rampante qui ne me laisse pas finir avec mes phrases.

Karlanner : A tes ordres.

Rossloh : Un défaut juif  qui a déteint sur toi. Comment serais-tu digne, alors, de servir la nation ? ( Karlanner sourit.) Tu dis ? ( Karlanner ne cesse de le regarder dans les yeux.) Alors,  tu refuses ?

Karlanner : J’y vais.

Rossloh :  Vu le peu d’importance de cette personne, je serais disposé à avoir certains egards.

Karlanner : J’y vais.

Rossloh :  Après-demain, j’aurais assez d’hommes pour la faire arrêter, si toutefois elle n’était pas avertie dans l’intervalle.

Karlanner ( riant.) : Qui l’avertirait?

Rossloh : Qu’est-ce qui te prend ?

Karlanner ( franchement haineux.) : j’appartiens corps et âme au mouvement national auquel j’ai tout sacrifié. Rien ne peut me troubler. Rien ne m’en fera sortir.

Rossloh ( riant en regardant Tessow.) : Corps et âme, mais l’esprit y est-il ?

Karlanner : A tes ordres.

Rossloh : Il appelle cela être national

Karlanner : A toi  Rossloh,  fidèle jusqu’à la mort.

Rossloh : Parce que tu pousses des cris, tu crois que…

Karlanner : Jusqu’à la mort, Rossloh.

Rossloh : On verra bien. Tu éviteras de faire du bruit, par égard pour le père. Tu peux rompre. ( Karlanner recule. Rossloh regarde sa montre.) Vous restez encore une heure ici, en permanence alertée.  Ensuite, au lit. Demain,  nous aurons besoin d’avoir la tête bien claire .( solennel.) Nous combattons aux avant-postes. Les yeux du monde entier sont tournés vers nous. Ce fut toujours la gloire de l’étudiant allemand d’être sur le front le plus exposé le jour des batailles décisives. Et, demain comme toujours, montrez vous à la hauteur de la mission qu’on vous confie ! Le jour de demain sera peut-être un des plus mémorables de l’histoire de l’Allemagne !

A SUIVRE. 

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