Théâtre : « Les races » de Ferdinand Bruckner ( 11 )

 

Le petit garçon ( en chemise brune) : Mais non, papa.

Le gendarme : Dormir, en un jour pareil,  en Allemagne ?

Le petit garçon : Je suis debout depuis 7 heures du matin.  J’étais de tous les défilés des écoles. Le porte-bannière de la classe 3/d s’étant trouvé mal après 40 heures de marche,  j’ai dû le remplacer.

Le gendarme : Bravo mon garçon.

Le petit garçon : Nous avons marché toute la journée,  il fallait passer par toutes les rues,  et puis nous avons chanté,  chanté,  chanté.

Le gendarme : Mais dans quelle rue avez-vous chanté le plus fort ?

Le petit garçon : Dans les rues où habitent les juifs.

Le gendarme : Vous leur avez bien fait comprendre ?

Le petit garçon : Et comment !

Le président des étudiants : Silentium ! A M. Le shulrat Beck, un des anciens de la Teutonia, pour avoir combattu avec le plus grand succès le danger juif par sa resistance passive aux examens des candidats bacheliers de race étrangère,  Ex !

(Ils vident leurs verres,  la serveuse apporte immédiatement des verres pleins.)

Le procureur : Dans notre vieille Allemagne,  nous ne connaissions pas le chômage,  monsieur le magistrat.  C’est précisément la raison pour laquelle le chômage est l’accusateur public des temps présents. Il y a donc un cas nouveau à prévoir : le cas de l’accusé public.  Et quel est cet accusé public ? C’est : le marxisme en toutes ses nuances,  le pacifisme,  le matérialisme,  le libéralisme,  le républicanisme,  en un mot : Le juif ! (Bruit de voix qui chuchotent : atmosphère de fumée,  de verres vides qu’on remplace par des pleins. ) Voila ce qu’est le juif.

( entrent Karlanner et Tessow : ils se mettent à une table réservée. )

Tessow : je pensais justement t’accorder le quart d’heure académique.

Karlanner : Mais puisque je t’avais dit que je viendrais.

Tessow : Tu n’étais pas ici à 9 heures. Si on ne s’était pas rencontré,  j’aurais été sans hésiter,  t’arracher des bras de ta belle. (Hésitant.) Ça n’a pas été facile,  n’est-ce pas ? ( Karlanner se tait.) Je me l’imagine.  Cette race peut elle faire autrement que de nous créer des difficultés ?

( Le haut-parleur :  » Allô ! Allô ! Dans le 24 ème arrondissement électoral,  Bavière du Nord et Souabeont obtenu : le Parti ouvrier national-socialiste allemand,  635.120 voix; le Parti social-démocrate 216.000 voix; le Front noir- blanc- rouge,  67.000, et les communistes,  108380 voix. Nous reprenons notre émission dès que nous aurons les résultats suivants. « 

( Karlanner boit et regarde autour de lui. )

Tessow : Il y a longtemps que tu n’étais pas venu ici.

Karlanner : J’en avais conservé un souvenir plus bruyant.

Tessow : aujourd’hui ils sont plus silencieux ; c’est l’émotion. Tu te plais ? (Signe de tête affirmatif de Karlanner.) Je le savais.

Le gendarme ( prenant le petit garçon sur ces genoux. ) Il ne faut pas qu’il s’endorme. Raconte à cette dame ce que tu sais de lui.

L’institutrice ; De qui ?

Le gendarme :  » Laissez parler les petits enfants. » Alors dis,  qu’est-ce qu’il était ?

Le petit garçon : Il était peintre. Un grand peintre comme Rembrandt.  Mais il a renoncé à la gloire et il s’est fait simple soldat.

L’institutrice  ( les yeux brillants. ) Je sais de qui il parle.

Le gendarme : Qu’est-ce qu’il était encore ?

Le petit garçon : Il était autrichien,  mais comme il a voulu devenir un héros,  il est venu chez nous,  en Allemagne.

Le gendarme : Bravo petit.

L’institutrice : Cher petit !

L’obersecrétaire  ( buvant.) : Oui, oui.

Le petit garçon : Il est parti à la guerre,  la grande guerre.

Le gendarme : Et qu’est-ce qu’il était quand il est parti ?

Le petit garçon : Simple soldat.

Le gendarme : Simple soldat,  oui mais soldat allemand.

Karlanner  ( agité,  à Tessow. ) Tu l’entends ?

Le gendarme : Et ses années de souffrance ?

Le petit garçon : Dans les cachots de Landsberg, pendant cinq ans. Toutes le fois qu’on venait pour le tuer,  il souriait.

Le gendarme : Pourquoi souriait-il ?

le petit garçon : Parce qu’il savait qu’il était destiné à  sauver l’Allemagne de la honte et à la délivrer de l’esclavage.

Le gendarme : Quand a t-il commencé à délivrer l’Allemagne ?

Le petit garçon : Il a commencé aujourd’hui,  mais il aura terminé avant que je ne sois grand.

Le gendarme : Avant que tu ne sois grand,  l’Allemagne sera déjà là !

L’institutrice  ( pleurant.) : Tu vois mon enfant,  les jolis contes deviennent des réalités,  même de nos jours. Nous vivons un conte merveilleux.

Karlanner : Comme quand nous étions petits,  que nous ouvrirons de grands yeux,  le jour de la Saint Nicolas,  devant les étalages.  Nous sommes encore une fois devant un étalage brillant et nous ouvrons de grands yeux.  Peut-on redevenir enfant ? Ou bien,  est-ce encore le roman à 10 pfennigs qui circule ?

Tessow : Qu’est-ce qui circule ?

Karlanner : Tu te rappelles ? C’était la plus belle époque de notre vie.  C’était notre plus belle Allemagne. C’était la musique.

Tessow : Elle reviendra.

Karlanner : Tu crois ? Parce que nous la désirons avec ardeur ?

Tessow : Elle est déjà là.

Karlanner : Tu crois ? Dans tous les cas, l’ivresse est déjà là. Elle a eu raison.

Tessow : Qui ça ?

Karlanner : Qu’importe !

( entrent Rossloh et sa suite. Karlanner et Tessow se lèvent.  Salut nazi.

Rossloh ( à Karlanner. ) : Le bras plus tendu.  La main plus haute.

Karlanner ( se tenant au garde à vous. )  : A tes ordres !

 

À SUIVRE. 

 

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2 Commentaires

  1. Ou l’on comprend par gradations successives le cheminement de l’Allemagne vers le totalitarisme et la genèse de ce dernier. Merci mon ami le chti français.

    • Bonjour mon ami Argo, oui, cette pièce montre comment des gens intelligents et cultivés peuvent s’avilir pour rejoindre l’esprit de groupe et se noyer dans une idéologie qui fait d’eux des êtres supérieurs simplement par leurs naissances ! Elle reste actuelle car le danger est toujours à nos portes ! En 39 la Pologne avait, soit disant, attaqué l’Allemagne aujourd’hui c’est la Russie et l’Ukraine. Les hommes ne tiennent rarement compte dew lessons de l’ histoire. Bonne journée.