Théâtre : « Les races » de Ferdinand Bruckner ( 6 )

 

 

 

Siegelmann : De la foi humaine (calme. ) C’est la foi en l’être humain qui me défend de me cacher.

Tessow : Tu te mêles de trop de choses.

Siegelmann : On ne me l’enlèvera pas’ Tessow.

Karlanner ( bas ) : tu entends ?

Tessow : Toujours l’éternelle manie de l’humanitarisme  il y a de quoi vomir.

Karlanner  ( bas ) : Quand c’est lui qui croit,  c’est une manie. Quand c’est nous qui croyons, c’est une oeuvre qui s’accomplit.

Tessow : Tu n’as pas encore le droit de dire  » nous « .

Karlanner  ( avec un signe de tête affirmatif  ) : Tu as raison.

Tessow : Tu ne peux avoir aucune idée encore de ce qu’est notre foi. Tant que tu n’auras pas cessé chercher à comprendre par le raisonnement,  tu ne seras pas saisi de la sainte émotion qui est en nous.

Karlanner  ( avec un signe de tête  ) : Je ne dis plus rien.

( Un temps.)

Tessow ( soudain. ) : Voilà Rossloh ! ( Siegelmann se lève,  très agité.  Entrent Rossloh et sa suite se dirigeant vers l’université.  Tessow,  bas : ) Tu pourrais profiter de l’occasion.  Nous n’avons qu’à nous joindre à eux.

( Il se lève)

Karlanner  ( assis.) : Non, laisse.  Je n’étais pas préparé à le rencontrer.

( Tessow salue nazi, les autres répondent de même.  Rossloh s’arrête,  mais le dos tourné)

Tessow ( bas ) : Il t’as vu! J’en suis sûr.  Il t’attend. Allons,  vas y.

Karlanner  (géné ) : Ne te dérange pas pour moi,  Rossloh.

Tessow : Vas y donc!

Rossloh  ( tourné vers Siegelmann) : Vous devez avoir remarqué aujourd’hui,  monsieur Siegelmann,  que je tiens pas du tout à vous cracher sur les pieds. ( Solennel.) Considérez ce changement comme la fin de nos relations personnelles et le commencement de relations officielles.

Karlanner  ( énervé) : On peut dire vraiment que tu ne te dérange pas pour rien,  Rossloh !

Tessow  ( à Karlanner,  entre ses dents. ) : Ferme donc ça !

Karlanner : Si seulement je pouvais comprendre le but de ces insanités.

Siegelmann  ( bas ) : Je t’en prie!

( Il s’assied plus loin et de l’autre côté du banc. )

Karlanner : Tes crachats déjà étaient idiots,  et tu reussi à être encore plus idiot en ne crachant pas. On se sent dans l’absurde.  On voudrait se cramponner à une parcelle de bon sens.

Tessow  ( haut ) : Ferme ça,  je te dis !

Rossloh  ( saluant) : Messieurs.

( Il s’éloigne)

Un Étudiant : La conférence aura lieu dans la salle des fêtes ?

Plusieurs : Oui dans la salle des fêtes

(Ils s’éloignent vers l’université)

Tessow  ( se laissant tomber sur le banc,  près de Karlanner) : Qu’est-ce qui t’as pris ? C’est ta sorcière juive qui t’a visité ?

Karlanner  ( très agité ) : Cette espèce de buffle ! Il se plante là   devant nous et attend qu’on tombe à ses pieds .

Tessow : Il faut à tout prix que tu te délivres d’elle.

Karlanner : Pour ce type là ?

Tessow : Oui, pour lui.

Siegelmann ( très agité) : Et tu lui demande le but de ces bêtises,  comme s’il devait le connaître   rien que par ce qu’il fait.

Karlanner : Pour ce type là ?

Siegelmann : Son but, son but sacré est de nous faire souffrir . Mais une vie qui n’aurait pas sa souffrance finirait par s’épuiser.  Il nous faut toujours la torture pour rester vivants. Il n’y a que les instruments qui changent.

Tessow : Allons nous en!

( il se lève , Karlanner aussi, il vont à l’université. )

Siegelmann : Mais à quoi sert cette connaissance si j’en ai peur ? ( il se lève et se dirige vers l’université. ) Oui, j’ai peur.

DEUXIÈME TABLEAU 

( Chambre D’Hélène )

HÉLÈNE   KARLANNER 

Hélène  ( lassitude heureuse) : Alors tu es allé voter,  à la fin ?

Karlanner : Tessow est arrivé à 8 heures du matin.  S’il n’était pas venu,  j’aurais manqué cette conférence à l’université. Quand on vit comme moi   toujours fourré dans sa turne…

Hélène : C’était intéressant ?

Karlanner ( souriant ) : Nous nous sommes tous mis à chanter dès l’entrée du professeur.  Ça m’a bouleversé : je n’y étais pas préparé. Et tout à coup,  en plein milieu,  lui aussi s’est mis à chanter.  Et il a soixante ans ! Tu te rends compte! Et sans interruption   toujours des chants nouveaux,  très beaux,  que je ne connaissais pas.

Hélène : De quoi a t’il donc parlé pour que vous ayez chanté

Karlanner : Ce fut pour moi comme un grand événement.  On éprouve cela chaque fois   paraît il.

Hélène : Tu devrais assister plus souvent aux cours. Même si tu n’ apprend rien de nouveau.

Karlanner  ( sur un ton léger) : Aujourd’hui j’ai appris du nouveau.  Et comment !

Hélène : C’est débilitant de rester toujours dans sa chambre.

Karlanner : Et après ça nous sommes allés voter

Hélène : Il faut se mêler aux autres : ça nous équilibre et ça nous apaise.  Ainsi,  moi  par exemple,  ça me fait du bien d’être dans un bureau   même quand je suis tourmentée par le désir de te voir…

Karlanner ( hésitant) : J’ai donc voté, moi aussi.  Après ça, on a été déjeuner

Hélène : Siegelmann était avec vous ?

Karlanner : Siegelmann ?

Hélène : Vous étiez toujours ensemble vous trois.

Karlanner : Où sont ces temps dont tu parles ?

Hélène ( avec un signe de tête affirmatif)  : Tu ne devrais pas laisser tomber tes camarades.

Karlanner : Tessow m’a accompagné jusqu’ici.  Il n’a pas voulu me lâcher avant que ne lui aie promis de le rejoindre à la brasserie, à 9 heures.  On y apprend plus vite les résultats des élections.  (Avec précaution.) Ça n »est pas absolument indispensable que j’y aille. Si c’est le gouvernement qui triomphe,  les cloches nous l’annonceront aussitôt . Elle sonneront dans toute la ville. Nous les entendons aussi bien d’ici.

A SUIVRE.

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