Théâtre : « Les races » de Ferdinand Bruckner ( 2 )

Je vous  propose la suite d’une pièce de théâtre très rare écrite en 1933 par l’écrivain autrichien  Theodor Tagger, dit Ferdinand Bruckner, né le à Sofia en Bulgarie et mort le à Berlin. Il avait fui l’Allemagne en 1933 pour Paris, puis pour les Etats-Unis.

Lire le début ici 

Karlanner  : C’est elle qui me fait répéter.  Après tout, elle n’a pas trop l’air juif ; ça ne saute pas aux yeux.

Tessow  ( avec un signe de tête affirmatif  ) : Toute mon estime.

Karlanner  : Faut il me replonger dans le moyen-âge pour plaire à Rossloh  et me faire croire à  moi-même  qu’un Dieu seul et unique se soit donné la mission d’exciter ses propres croyants les uns contre les autres, les chrétiens contre les juifs ?

Tessow  : Il ne s’agit pas de Dieu ici, mais d’une question de biologie.  C’est ce qu’a oublié le bon vieil antisémitisme d’autrefois.  Et c’est pourquoi  il n’a jamais pu atteindre le but.

Karlanner  : Quel but?

Tessow  : La nation.

Karlanner  : La nation exige…

Tessow  : La pureté absolue de sa substance intime.

Karlanner  : Un être de valeur troublerait cette pureté? Tu es ridicule.

Tessow  : Si toi un pur allemand,  tu épousais une juive, tu accroîtrais le marécage de ces mélanges biologiques héréditaires où a presque pourri l’esprit Allemand.  Elle est peut-être un très chic type,  ta juive   mais elle ne peut pas changer sa conformation spirituelle,  il y a en sa substance le ver qui ronge.

Karlanner  ( riant ) : Le ver?

Tessow  : Un veroui. Bien caché, et qui fait tout moisir

Karlanner  ; Moi  elle m’a rendu meilleur.

Tessow  : Tu n’as aucune idée de ce qu’elle a fait de toi.

Karlanner  : Un fainéant, voilà ce que j’étais.

Tessow  : Mais tu étais  un Allemand   je m’en souviens.

Karlanner  : Depuis que je la connais, je n’ai jamais couché dans un autre lit, et il y a déjà deux ans de ça,. Elle m’a même fait perdre l’habitude  de boire.  Mes examens ? Je les passe tous régulièrement.  Jamais recalé.  Avant de la connaître, j’étais vaseux,  j’avais des maux de tête tout le temps.

Tessow  : Mais si tu en choisissais une autre…

Karlanner  : on ne choisit pas.

Tessow  : ça aussi,  elle te l’a fait croire.  Il n’y a qu’elle au monde ,quoi ?

Karlanner  ( bas ) : Tessow, oui

Tessow : Elle t’a joliment entortillé.  C’est encore une fois un maître qui mange dans la main de son esclave.

Karlanner  (riant  ) : Tu continues à battre le tambour !

Tessow  : Et tu n’es pas le seul, une nation de maîtres,  oubliant qu’elle est d’une race dominante, s’était laisseré entortiller par une poignée d’esclaves. Mais c’est fini. Nous avons enfin compris qui nous sommes.  Et toi aussi, tu dois le comprendre  : le maître,  c’est toi, si tu en veux la confirmation,  tu n’as qu’à voir comme elles tournent autour de nous,  ces juives malignes , flairant la bonne race.

Karlanner  : Elle n’a jamais tourné autour de moi.

Tessow  ( continuant ) : Comme les papillons autour de la lumière.  Ces filles trop brunes sont attirées par nos têtes blondes.

Karlanner  : je l’ai vue pour la première fois dans son canot automobile et je l’ai suivie.

Tessow  ( riant ) : Et tu as pu rattraper son canot en ramant ? Mais, c’est justement  : elles savent y faire. Elles savent s’imposer à nous et faire croire que c’est nous qui nous imposons à elles.  C’est un des secrets dangereux de leur race.

Karlanner  : La première fois que nous sommes sortis ensemble, elle m’a dit tout de suite qu’elle était juive.  C’était déjà trop tard. Qui aurait pensé à tout ça il y a deux ans ?

Tessow  : Elles sont vite prêtes à se courber devant nous, qui sommes d’une race supérieure.  C’est pourquoi je les évite.  D’une part, elles cachent en elles les plus grands dangers et d’autre part, elle sont d’ accès facile.

Karlanner  ( se jetant  sur lui ) : Tu n’as pas fini?

Tessow  ( le retenant  ) : Karlanner !

Karlanner  : Je pourrais t’étrangler.

Tessow  : Faut il que je te rappelle notre enfance ?

Karlanner  ( criant ) : Je n’y tiens plus!  Je n’y tiens plus

Tessow  : A cause d’une juive?

Karlanner :  Et à  cause de toi,  de vous tous. Je n’y tiens plus .

Tessow  : commence plutôt par étrangler ta juive.  Il se laisse arracher à la terre de ses ancêtres ; il se laisse enfermer  dans une serre chaude.  Qui pourrait y tenir ? ( le forçant à se rasseoir  ) quand je te vois là  près de moi, j’ai l’impression d’être venu juste à temps pour te sauver de l’asphyxie,  te traîner de force à l’air respirable,  à la lumière.  Il n’y a que moi qui puisse le faire. ( Karlanner,   pâle, a les yeux fixés dans le vide ) quand nous étions encore de tout petits  garçons , que nous marchions des heures entières à  l’aventure,  sur les bords du Rhin, et que nous cherchions des pierres à fusil pour en faire jaillir des étincelles, qu’est-ce que tu me disais ? Tu ne te rappelles pas? Mais moi,  je me rappelle. Tu disais  : «  je voudrais être un jour aussi dur que cette pierre et plein d’étincelles comme elle « . Je t’ai envié à  ce moment là,  je t’ai même admiré,  tu n’était que d’un an plus âgé que moi.  C’est loin tout ça. Tu ne m’entends pas ? A quoi pense-tu ? ( Karlanner a un grand soupir. ) il serait difficile aujourd’hui de t’envier et de t’admirer.  Et ton désir d’être un jour dur comme ces pierres ? C’est tout à fait ça.  ( Karlanner le regarde dans les yeux  ) Karlanner…

Karlanner  : Tais-toi, tais-toi!

Tessow ( vivement  ) : Tu t’en souviens à présent ?

Karlanner  : Oui, assieds-toi près de  moi .

Tessow  : L’heure va enfin sonné où il faut être dur et faire jaillir des étincelles.  Et tu veux la manquer à cause d’une femme ?

Karlanner  : Comme tu prononces le mot « femme « !

Tessow  : Les femmes sont les femmes.  Toutes. Mais je reconnais à cette demoiselle une certaine valeur. Elle t’a pour ainsi dire, nourri au biberon  : comme une chienne,  un louveteau.  Dans ces années pitoyables qui ne sont plus que le passé,  elle aura été pour toi une sorte de soutien.  On le reconnaît.  Et c’est fini.

Karlanner : Finis, toi aussi  Tessow !

Tessow  : A une époque où la jeunesse allemande n’était pas à sa place, n’avait pas de place, où elle n’avait pas un père qui la guide,  cette dame a pu te venir en aide,  mais elle serait arrivée  à rendre superflue l’existence d’un père.

Karlanner  : Mon père est mort à la guerre.

A  SUIVRE…

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