Image tirée du film « Incitement »
1.
Le nom d’Avishaï Raviv ne dit pas grand-chose à ceux qui n’étaient pas nés en 1995. A l’époque, dans les semaines qui ont suivi la soirée fatidique du 5 novembre 1995, ce nom (et le surnom qu’il portait au sein des services de sécurité intérieure, « Champagne ») sont devenus synonymes, aux yeux de nombreux Israéliens, de la part d’ombre et de scandale politique qui entourait l’assassinat du Premier ministre Itshak Rabin par Yigal Amir. Comment le Shin Beth avait-il pu laisser les coudées franches à son agent pour mener des actions provocatrices, telles que l’impression du fameux poster de Rabin en uniforme nazi, les appels au meurtre et les innombrables manifestations anti-arabes ? Et surtout, comment Raviv avait-il pu être en contact étroit avec Yigal Amir, l’incitant et le poussant à commettre l’irréparable, et tout cela au vu et au su de sa hiérarchie et avec son approbation ?
En écoutant hier soir Avishaï Raviv, invité du programme phare de la chaîne 14 « Les patriotes », j’ai surtout été frappé par l’indigence intellectuelle et morale qui se dégageait de ses propos. On ne pouvait se départir de l’impression, en le regardant et en l’écoutant, que Raviv avait été choisi pour être infiltré dans les rangs de l’extrême droite radicale non en raison de qualités spéciales, mais bien plutôt de l’absence chez lui de toute qualité… L’agent provocateur est apparu hier, trente ans après l’assassinat dans lequel il a joué un rôle qui ne sera sans doute jamais totalement élucidé, comme un personnage falot, misérable et inspirant une sorte de dégoût mêlé de pitié.
2.
Les régimes qui ont recours à ce genre de personnage sont généralement très éloignés du modèle de la démocratie occidentale. Raviv fait penser à un agent de la police secrète dans un roman de Balzac, et il n’aurait pas dépareillé un service de sécurité de l’ex URSS ou de la RDA… Or, c’est là que l’histoire rejoint l’actualité la plus brûlante. L’affaire Raviv a en effet révélé au grand jour la toute-puissance des services de sécurité intérieure (Shin-Beth) et l’existence d’un véritable « Etat dans l’Etat », ce qu’on appelle aujourd’hui le « Deep State » israélien.
Contrairement au mythe tenace du « héros de la paix assassiné par un fanatique juif », Itshak Rabin z.l. incarne plutôt le représentant du sionisme d’antan, victime du Deep State et de l’idéologie post-sioniste à laquelle il n’a jamais vraiment adhéré. A trois reprises, il en a été la victime tragique : la première, lors de l’affaire du « compte en dollars », quand le pouvoir judiciaire émergent l’a contraint à démissionner. La seconde, lorsque les architectes des accords d’Oslo l’ont entraîné contre son gré sur la voie fatale de la « paix » sanglante d’Oslo. Et la troisième, lorsqu’il est tombé sous les balles d’Yigal Amir.
3.
Trente ans plus tard, l’affaire Sdé Teiman et l’arrestation fracassante de la procureure militaire – soupçonnée d’avoir fait fuiter la vidéo fabriquée calomniant les soldats de Tsahal – montrent à la fois le sentiment de toute puissance des membres de ce Deep State, et les débuts de la fin de leur pouvoir illégitime. Aujourd’hui comme il y a trente ans, les serviteurs du Deep State – et parmi eux, des membres haut-placés de l’establishment judiciaire et sécuritaire israélien – se croient à l’abri de toute sanction, exerçant leur pouvoir sans le moindre contrôle et l’utilisant dans des buts politiques ou personnels. Ils ont vécu pendant des décennies au-dessus de toute loi.
Le 7-Octobre a fait voler en éclats la « Conceptsia » et les nombreux mensonges sur lesquels elle reposait. Parmi ceux-ci, le mensonge des « Gatekeepers » que j’analyse dans mon dernier livre, et celui du Deep State qui agite en permanence la menace fantasmatique de la « violence des colons » pour mieux dissimuler ses impérities dans la lutte contre le terrorisme arabe. L’affaire Sdé Teiman marque sans doute le début de la fin pour ceux qui pensaient que l’Etat était leur domaine privé et que tout leur était permis. Le point commun entre l’affaire Raviv et l’affaire Sde Teiman est que dans les deux cas, leurs instigateurs ont sacrifié toute morale sur l’autel de leurs conceptions dévoyées et antidémocratiques. Leur erreur fatale sera sans doute d’avoir négligé la force intrinsèque de la vérité.
Pierre Lurçat
* Mon nouveau livre, Jusqu’à la victoire ! La plus longue guerre d’Israël. Editions l’éléphant, est disponible sur Amazon. On peut aussi le trouver à la boutique du centre Begin à Jérusalem.
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Avec ses chroniques et avec ce livre, Pierre Lurçat a véritablement cherché à « penser l’événement » : face à la réalité nouvelle du 7 octobre, mettre en question plusieurs notions héritées qui en entravent la compréhension et empêchent d’y faire face, mettre en place un nouvel appareil intellectuel et spirituel.
Jacques Dewitte
Une lecture passionnante, qui tient à la fois du journal intime et de la philosophie politique.
Daniel Horowitz
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