Gabin et Jouvet dans « Les Bas-Fonds » : l’aristocrate déchu et le voleur magnifique

Jean Gabin et Louis Jouvet.

Merci pour cette idée à notre lecteur Le chti français qui écrivait dans un récent commentaire sur l’article  L’Art nouveau en Russie : la Maison Gorki :

« Comme on parle de Gorki, pour faire un lien avec le cinéma, j’encourage à voir le superbe film « Les bas fonds » avec Louis Jouvet et Jean Gabin. Et celui de Poudovkine: « la mère » dont voici le lien.  Bonne journée ».

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Les Bas-Fonds, réalisé par Jean Renoir en 1936, est une œuvre majeure du cinéma français de l’entre-deux-guerres. adaptation libre et audacieuse de la célèbre pièce de théâtre éponyme de l’écrivain russe Maxime Gorki (1902), le film marque une rencontre exceptionnelle entre la sensibilité humaniste de Renoir et l’atmosphère sombre du drame social, porté par un casting de légende : Jean Gabin et Louis Jouvet.

Extrait : 

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Un transfert culturel et social

La pièce de Gorki se déroule dans la Russie tsariste, dépeignant la misère et l’errance d’une galerie de personnages déchus vivant dans un taudis sordide. Renoir, cependant, ne cherche pas une stricte reconstitution historique. tout en conservant les noms et l’âme slave de l’œuvre originale (notamment grâce à la présence d’acteurs d’origine russe et de la société de production Albatros), il ancre son film dans une résonance contemporaine, celle du Front Populaire en France.

Cette transposition permet à Renoir d’actualiser le propos. Le film devient une œuvre de critique sociale qui met en lumière l’injustice et la solidarité des classes populaires face à l’aristocratie déclinante et l’exploitation. Il ne s’agit plus seulement d’un drame russe, mais d’une réflexion universelle sur la dignité et la survie dans la pauvreté.

Le duel d’acteurs : Gabin face à Jouvet

Le cœur du film réside dans l’opposition fascinante entre deux personnages centraux, incarnés par des monuments du cinéma français :

  1. Pépel (Jean Gabin) : le voleur, le « noble brigand » au grand cœur, qui représente la vitalité, l’action et la révolte instinctive. habitué des bas-fonds, Pépel n’est pas résigné et aspire à une vie meilleure avec Natacha. Gabin apporte à ce rôle son mélange caractéristique de gouaille et de mélancolie, typique du réalisme poétique.
  2. Le Baron (Louis Jouvet) : l’aristocrate ruiné, contraint par ses dettes de fréquenter le même milieu que le voleur. le Baron est le symbole de la déchéance sociale. Jouvet confère au personnage une ironie désabusée et une dignité amère, qui contraste violemment avec sa situation.

Leur relation, qui naît d’une tentative de cambriolage ratée, est l’axe idéologique du film. le Baron, malgré son mépris initial, trouve dans l’énergie brute de Pépel un écho à sa propre lassitude et un regain d’intérêt pour l’existence. cette improbable amitié illustre la conviction de Renoir : l’humanité véritable se révèle au-delà des barrières de classe.

Jean Gabin et Junie Astor

LES BAS-FONDS – Jean Renoir (1936) avec Jean Gabin, Louis Jouvet, Suzy Prim, Jany Holt, Junie Astor, Vladimir Sokoloff, Robert Le Vigan

Renoir explore les thèmes chers à Gorki — le mensonge consolateur, la compassion illusoire, le fatalisme — mais y ajoute une touche d’optimisme et une finalité plus positive, moins désespérée que la pièce.

  • L’idéal et la misère : le film dépeint un microcosme de la pauvreté : l’usurier cruel Kostileff (Vladimir Sokoloff), l’Acteur alcoolique (Robert Le Vigan) qui rêve de retrouver les planches, ou Natacha (Junie Astor), victime de sa sœur Vassilissa (Suzy Prim). chacun s’accroche à un rêve fragile ou à un mensonge pour survivre à l’indignité.
  • La lumière de l’espoir : contrairement à l’atmosphère étouffante et nihiliste de la pièce, Renoir introduit une ouverture, notamment dans la fin. le meurtre de Kostileff, accompli sous les yeux d’une foule indifférente ou complice, est traité non comme une tragédie, mais comme un acte libérateur. la fuite finale de Pépel et Natacha, qui partent ensemble vers la route et l’inconnu, est un geste de rupture avec la fatalité du taudis et un éloge de la liberté individuelle.
  • Réalisme poétique : visuellement, Renoir utilise le style du réalisme poétique. les décors d’Eugène Lourié, représentant la pension délabrée, sont d’une authenticité sombre et touchante. cependant, la mise en scène subtile de Renoir, avec ses mouvements de caméra fluides et ses cadrages expressifs, parvient à insuffler de la poésie et de l’émotion dans ce décor sordide.

Jean Gabin et Suzy Prim

Les Bas-Fonds est plus qu’une simple adaptation ; c’est une réinterprétation brillante qui utilise la force du drame russe pour faire passer un message d’espoir et de solidarité, typique de l’idéal du Front Populaire français. Il demeure un classique incontournable pour la performance de ses acteurs et la modernité de sa vision sociale.

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1 Commentaire

  1. Merci Jules, un tres beau film, en effet qui reuni ces deux géants que sont Jouvet et Gabin le tout dans une adaptation littéraire, de très haut vol, une occasion aussi de faire connaissance avec cet immense écrivain qu’est Gorki.bon dimanche.