La France rétrogradée au 26e rang mondial des démocraties : la nécessité d’une refonte institutionnelle
ANALYSE. Le dernier rapport de l’Economist Intelligence Unit place la France au 26e rang mondial de l’indice démocratique 2024, la reclassant comme « démocratie défaillante ». Cette dégradation interroge sur la santé de nos institutions et révèle des dysfonctionnements structurels préoccupants.
Un recul significatif dans le classement international
La France a été rétrogradée de « démocratie complète » à « démocratie défaillante » en 2024, selon l’indice démocratique annuel publié par l’Economist Intelligence Unit (EIU). Cette classification place l’Hexagone au 26e rang mondial, derrière le Royaume-Uni (17e rang) mais devant les États-Unis (28e position).
Cette dégradation n’est pas anodine. L’indice de démocratie évalue annuellement le niveau de la démocratie des États dans le monde depuis 2006, analysant la situation de 165 pays et deux territoires selon 60 critères regroupés en cinq catégories. La notation, qui s’échelonne de 0 à 10, détermine quatre types de régimes politiques : les démocraties complètes (score de 8 à 10), les démocraties défaillantes (6 à 8), les régimes hybrides (4 à 6) et les régimes autoritaires (moins de 4).
La France, avec son nouveau statut de « démocratie défaillante », rejoint une catégorie préoccupante qui témoigne de failles structurelles dans le fonctionnement démocratique du pays. Cette rétrogradation intervient pour la première fois depuis 2021 lorsque la France avait pour la première fois été qualifiée de « démocratie défaillante » lors de la gestion de l’épisode Covid, soulignant une nouvelle détérioration récente qui n’est pas due à des facteurs extérieurs.
Les cinq piliers de la démocratie française en question
L’indice de l’EIU repose sur une méthodologie rigoureuse qui évalue cinq dimensions fondamentales de la démocratie. Ces cinq catégories sont : le processus électoral et le pluralisme, le fonctionnement du gouvernement, la participation politique, la culture politique, et les libertés civiles.
Cette approche multidimensionnelle permet d’identifier précisément les points de faiblesse du système démocratique français. Contrairement à une vision simpliste qui se contenterait d’observer les élections, cette grille d’analyse révèle les dysfonctionnements plus profonds qui minent la qualité démocratique.
Le processus électoral et le pluralisme examinent la liberté et l’équité des élections, l’existence d’une opposition politique viable, et la diversité des médias. Le fonctionnement du gouvernement évalue l’efficacité de l’administration, la transparence des politiques publiques et la capacité des institutions à rendre des comptes. La participation politique mesure l’engagement citoyen au-delà du simple vote, incluant l’adhésion aux partis politiques et l’activisme civil.
La culture politique analyse l’adhésion des citoyens aux valeurs démocratiques, leur confiance dans les institutions et leur acceptation de la légitimité du système. Enfin, les libertés civiles examinent la protection des droits fondamentaux, l’indépendance de la justice et la liberté d’expression.
Les symptômes d’une crise institutionnelle
L’EIU met notamment en avant l’insatisfaction des électeurs vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie — et des pouvoirs du président. Cette critique pointe directement vers l’un des problèmes structurels du système politique français : la concentration excessive du pouvoir exécutif.
La Ve République, conçue en 1958 dans un contexte de crise, a instauré un présidentialisme fort qui, s’il a apporté la stabilité, pose aujourd’hui des questions sur l’équilibre des pouvoirs. Cette situation interroge sur la santé des institutions démocratiques du pays, notamment sur la concentration du pouvoir exécutif et les limites des contre-pouvoirs.
L’année 2024 a été particulièrement révélatrice de ces dysfonctionnements. La France a connu une année de troubles politiques et une détérioration de la confiance dans le gouvernement. Les crises successives, de la réforme des retraites aux manifestations sociales, en passant par l’usage répété de l’article 49.3 et finalement la dissolution, ont illustré les limites du dialogue démocratique.
Le recours fréquent aux ordonnances, la marginalisation du Parlement dans certaines décisions majeures, et la personnalisation excessive du pouvoir contribuent à cette érosion démocratique. Ces pratiques, bien que légales, questionnent l’esprit démocratique qui devrait animer nos institutions.
Le système institutionnel français à l’épreuve de la démocratie moderne
La rétrogradation de la France au rang de « démocratie défaillante » par l’Economist Intelligence Unit ne peut être dissociée du fonctionnement de ses institutions. Ces organes, conçus pour garantir l’équilibre des pouvoirs et protéger les libertés fondamentales, semblent peiner à remplir pleinement leur mission dans le contexte politique actuel.
L’architecture institutionnelle française repose sur un système complexe d’autorités indépendantes et de juridictions suprêmes censées faire contrepoids au pouvoir exécutif. Le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, le Conseil d’État, juge suprême de l’administration, ou encore l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), garante du pluralisme médiatique, constituent les piliers de cet édifice démocratique.
Pourtant, ces institutions font face à des défis inédits qui remettent en question leur capacité à préserver l’équilibre démocratique. La concentration croissante du pouvoir exécutif, l’évolution des pratiques politiques, et les nouveaux enjeux technologiques bousculent un système institutionnel conçu dans un autre contexte historique.
Cette situation révèle un paradoxe français : disposer d’institutions théoriquement robustes mais qui peinent à s’adapter aux mutations contemporaines de la démocratie. L’analyse de leur fonctionnement éclaire les raisons profondes du déclassement démocratique français.
Le Conseil constitutionnel : gardien affaibli de la démocratie
Le Conseil constitutionnel, institué en 1958, était initialement conçu comme un régulateur du parlementarisme rationalisé, chargé de vérifier que le Parlement ne déborde pas de ses compétences. Son évolution vers un véritable juge constitutionnel, notamment depuis la révision de 1974 permettant la saisine par soixante députés ou sénateurs, puis l’instauration de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2008, en a fait un acteur central de la démocratie française.
Cependant, plusieurs dysfonctionnements affectent son rôle de gardien démocratique. Sa composition, largement politique, interroge sur son indépendance réelle. Les neuf membres nommés par le Président de la République et les présidents des assemblées, auxquels s’ajoutent les anciens Présidents de la République membres de droit, créent une proximité avec le pouvoir politique qui peut affecter la perception de son impartialité.
Comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel, « la loi votée […] n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution », rappelant que le contrôle de constitutionnalité n’est pas antinomique, selon le Conseil, avec la démocratie.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel fait preuve d’une retenue judiciaire parfois excessive face aux pouvoirs publics, particulièrement en période de crise. L’état d’urgence sanitaire et sécuritaire a révélé les limites de ce contrôle, le Conseil validant largement des mesures restrictives de libertés qui ont contribué à dégrader la qualité démocratique française.
Le Conseil d’État : juge administratif sous tension
Le Conseil d’État, juridiction suprême de l’ordre administratif, occupe une position unique dans le paysage institutionnel français. À la fois conseiller du gouvernement et juge de l’administration, il incarne le principe de soumission de l’État au droit, fondement de l’État de droit démocratique.
Cette double fonction, originalité française, présente néanmoins des ambiguïtés qui affectent la qualité démocratique. Le Conseil d’État peut-il juger en toute impartialité une administration qu’il a parfois contribué à conseiller ? Cette question, récurrente, s’est posée avec acuité dans plusieurs dossiers récents.
L’affaire CNews et l’Arcom illustre parfaitement ces tensions. Le Conseil d’État a rendu une décision contestée, laissant craindre que l’Arcom devienne une sorte de police de la pensée, révélant les difficultés de concilier liberté d’expression et pluralisme démocratique. Cette décision souligne les limites du contrôle juridictionnel face aux enjeux politiques contemporains.
Plus largement, le Conseil d’État peine à adapter sa jurisprudence aux évolutions technologiques et sociétales. Ses décisions en matière de liberté d’expression sur Internet, de protection des données personnelles, ou de régulation des plateformes numériques révèlent parfois une approche traditionnelle inadaptée aux enjeux démocratiques du XXIe siècle.
L’Arcom : régulateur médiatique en quête de légitimité
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est l’autorité publique indépendante française qui résulte de la fusion le 1er janvier 2022 du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres, incarnant la volonté de moderniser la régulation médiatique face aux défis numériques.
Le Conseil constitutionnel a estimé en 1986 puis en 1989 que « le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie » et que, plus largement, le pluralisme « constitue le fondement de la démocratie ». Cette mission fondamentale confiée à l’Arcom se révèle particulièrement complexe dans le paysage médiatique.
Veiller à la juste représentativité de chacun des courants politiques, c’est le rôle de l’Arcom. Pour y parvenir, l’Autorité s’appuie sur un décompte des temps d’intervention des personnalités politiques dans les différentes émissions produites. Cette approche quantitative du pluralisme, héritée de l’ère analogique, montre ses limites dans un environnement médiatique fragmenté et numérisé.
Les controverses récentes autour de sanctions prononcées contre certaines chaînes révèlent les difficultés de l’Arcom à exercer sa mission dans un contexte polarisé. L’annonce du retrait de la chaîne télévisée C8 des fréquences TNT, ce 24 juillet, pose la question des pouvoirs étendus dévolus à l’autorité de contrôle des médias, l’Arcom, soulevant des interrogations sur l’équilibre entre régulation et liberté d’expression.
Cette autorité peine également à adapter ses méthodes de contrôle aux nouveaux médias. Les plateformes numériques, les podcasts, ou les chaînes YouTube échappent largement à sa supervision, créant une inégalité de traitement qui nuit à l’efficacité de l’outil de régulation, comme on a pu le voir récemment avec l’affaire de Jean Pormanove.
Les autorités administratives indépendantes : une indépendance en trompe-l’œil
Le modèle français des autorités administratives indépendantes (AAI), dont l’Arcom n’est qu’un exemple, révèle des failles structurelles qui affectent également la qualité démocratique. Ces autorités, créées pour échapper aux pressions politiques directes, restent largement dépendantes du pouvoir exécutif dans leur composition et leur financement.
Le Défenseur des droits, nommé par le Président de la République après avis des commissions permanentes compétentes des assemblées parlementaires, pour un mandat de six ans non renouvelable, est une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la protection des droits. Ce mode de désignation, généralisé pour la plupart des AAI, questionne leur véritable indépendance.
L’absence de statut constitutionnel pour la plupart de ces autorités les fragilise face aux changements politiques. Leurs budgets, votés par le Parlement sur proposition du gouvernement, peuvent faire l’objet de pressions indirectes. Leurs rapports et recommandations, souvent ignorés par les pouvoirs publics, révèlent leur manque d’autorité réelle.
Vers une refonte institutionnelle nécessaire
Le déclassement démocratique français révèle l’urgence d’une refonte profonde du système institutionnel. Cette modernisation ne peut se contenter d’ajustements marginaux mais doit repenser l’architecture institutionnelle dans son ensemble.
La constitutionnalisation des principales autorités administratives indépendantes garantirait leur pérennité et leur indépendance. Un statut constitutionnel renforcé, assorti de modes de nomination plus démocratiques et de budgets autonomes, pourrait restaurer leur capacité de contrôle.
La réforme du Conseil constitutionnel, avec l’élargissement de la saisine citoyenne et la modification de sa composition, permettrait de renforcer la protection des droits fondamentaux.
Les signaux d’alarme à prendre au sérieux
Cette 26e place ne doit pas être considérée comme un simple classement sans conséquence. Elle révèle des dysfonctionnements structurels qui, s’ils ne sont pas corrigés, risquent de s’aggraver. L’histoire récente montre que les démocraties ne sont pas des acquis définitifs et peuvent se dégrader rapidement.
Même des démocraties anciennes et établies peuvent voir leurs institutions s’affaiblir si les contre-pouvoirs ne jouent plus leur rôle de régulation.
La montée de l’abstention, particulièrement chez les jeunes, témoigne d’une désaffection croissante pour la démocratie représentative.
Cette désaffection, si elle n’est pas prise en compte, peut ouvrir la voie à des alternatives autoritaires ou violentes qui promettent une efficacité illusoire au détriment des libertés individuelles.
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Nous sommes plutôt dans une dictature.