L’automne est à nos portes. Bientôt viendra l’heure des longues soirées, quand les bûches sifflent et pétillent dans l’âtre et que l’horloge égrène inexorablement le temps qui s’enfuit. Les vents d’ouest ont ramené les pluies qui mouillent la campagne, les brumes ouatent les champs, les halliers, les bocages et les bois environnants, les feuilles mortes s’envolent en longues sarabandes.
Vous êtes confortablement installé dans un vieux fauteuil, les yeux dans le vague, tiédissant entre vos doigts un petit verre de vieux calvados qui vous réchauffera tout à l’heure. Quand soudain, on frappe à votre porte. Vous vous apprêtez à aller ouvrir. Malheureux, ne faites pas ça, il s’agit probablement d’un gobelin ou goubelin. Ici on dit goublin. Le goublin, c’est un lutin. Souvent ayant les traits d’un enfant, avec des oreilles pointues et un bonnet également pointu en guise de couvre-chef. S’il s’introduit chez vous, gare! Il vous rendra la vie impossible en vous jouant toutes sortes de tours, et même vous cassera votre vaisselle. Il peut parfois prendre la forme d’un animal, chien ou lièvre.
Pour vous gâcher la soirée, vous avez aussi la chasse volante, appelée ici parfois chasse de la mère Harpine qui tirerait son nom du mot harpin, qui signifie dur ou avare. ou tantôt chasse Hellequin du nom d’un seigneur qui combattit aux côtés de Charles Martel, et qui ruiné commit moultes exactions. Dieu eut pitié de lui mais le condamna lui et sa mesnie (maison) à errer de par le ciel en des chasses infernales. Il y a de nombreuses variantes pour désigner ces chasses volantes. Si des esprits forts vous expliquent que ce ne sont que des vols d’oies sauvages qui traversent le ciel, et si vous entendez un horrible vacarme au dessus de votre maison, ne les croyez surtout pas, ne sortez pas, vous risqueriez d’être emporté par ce tourbillon maudit et obligé désormais d’errer à leur suite, et ce pour l’éternité.
Dites aussi adieu aux promenades vespérales, lorsque l’obscurité commence à engloutir chemins, champs, prairies et maisons. Et surtout ne vous aventurez pas sur le chemin du cimetière, juste avant la forêt, même à la lumière vacillante des réverbères, vous pourriez y faire une rencontre fort désagréable, celle d’un loup-garou. Ici, le loup-garou se dit varou. Il y en a de différentes sortes.
Vous avez d’abord le varou de base : celui qui s’est transformé par magie à l’aide d’un grimoire, ou d’un pacte passé avec le diable. Il peut se muer en animal, chien, cheval, oiseau, chat ou même en créature monstrueuse. Ensuite vient l’homme mort damné à cause d’un crime impardonnable, qui se réveille dans son cercueil, transformé en garou, cercueil dont il tente de s’extirper. Seul un prêtre pourra mettre fin au maléfice en tranchant la tête de la créature à l’aide d’une bêche neuve. Cela rappelle vaguement les histoires de vampires.
Il y a aussi celui qui, ayant commis un crime, ne s’est pas dénoncé. Autrefois, le prêtre d’une paroisse où un meurtre avait eu lieu , sans coupable avéré, à la fin d’une messe l’ecclésiastique récitait un monitoire, une injonction en fait. Pendant trois messes. Si le coupable ne s’était pas dénoncé, il était excommunié de fait. Du coup, il appartenait au Diable et était transformé de facto en varou et devait varouter sept années durant à des périodes déterminées, à l’Avent, ou de Noël jusqu’à la Chandeleur. Il devait courir comme un fou à travers la campagne, certains disent dans sept paroisses, revêtu d’une peau de bique, de mouton ou de loup. Même le témoin du meurtre qui n’avait pas dénoncé le crime était puni de la sorte. Le Démon fustigeait le varou à chaque carrefour, rien ne lui était épargné ; coups de bâtons, croquignoles (coups donnés sur la tête ou sur le nez),nasardes (sur le nez également), gourmades ou coups de poing sur la figure, horions. Si le malheureux était encore en vie au bout de ce septennat infernal, il était pardonné et le supplice prenait fin. Le varou pouvait abréger son calvaire si une tierce personne lui faisait jaillir quelques gouttes de sang en le piquant à l’aide d’un couteau entre les deux yeux. Mais si l’opération échouait, les compteurs étaient remis à zéro. Il est précisé que le promeneur imprudent qui revêtait le vêtement que le varou avait abandonné se voyait infliger le même traitement, à moins de remettre l’habit à l’endroit précis où il l’avait trouvé.
De nos jours les monitoires ne sont plus utilisés, on leur préfère la dactyloscopie, l’ADN et autres techniques pour découvrir un coupable. Mais sait-on jamais, un prêtre fantôme officiant dans une chapelle perdue au milieu d’une profonde forêt au milieu de fidèles morts eux aussi … Je préfère ne pas y penser.
Je vois d’ici vos sourires sceptiques. Vous ne croyez pas à l’existence des loups-garous? Il vous faut des preuves. En voici : en 1848, un fermier, un dénommé Roger Sabouroux, braconnait sur les terres d’une abbaye, quand il aperçut dans le noir deux gros yeux jaunes qui le fixaient Pas de doute , une louve. Notre homme fait feu. La bête s’enfuit en hurlant. Rentré au matin, il découvre le cadavre ensanglanté de sa femme. Elle s’était transformée en varou à l’insu de tous. Le brave homme ne s’en remit jamais. Autre : à Servigny, Manche, un fermier entendit ses chevaux hennir de peur. Il les retrouva blessés. Il s’embusqua et vit un cheval noir pénétrer dans les écuries et attaquer les équidés. Il fit feu et toucha la bête qui s’effondra et mourut dans la cour. Horreur, l’animal disparut et à la place apparut son fils qui reprenait forme humaine. Le brave homme en mourut. Dernières preuves, une de 1947 : une femme trouva un chat noir. Elle le prit avec elle. À mesure qu’elle avançait, l’animal devint de plus en plus lourd. Elle dut le reposer. C’était un varou. Une autre femme avoua que son père, décédé en 1936, possédait un grimoire et qu’à l’aide de celui-ci il se transformait en toutes sortes d’animaux.
Alors, ce ne sont pas des preuves, ça? Bon, si je ne vous ai pas convaincus, la semaine prochaine je vous entraînerai sur les traces de la bête d’Évreux, ou bête de Cinglais, et sur les lieux hantés, ainsi que sur la trace des dames blanches. À très bientôt.
Je confesse que si les soirs d’automne, on frappait à ma porte, je n’ouvrirais pas pour tout l’or du monde, et que je préfère les promenades diurnes. Il est des rencontres que l’on doit éviter. J’ai fixé un chapelet de gousses d’ail au-dessus de ma porte, on ne sait jamais…
FIN
ARGO
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Merci, et vive le cidre de Normandie, etc…
Chez nous Dauphinois, quand on cogne à la porte avec la main on ouvre jamais, on ouvre seulement quand on frappe du pied car c’est qu’on a les mains pleines… de cadeaux etc… 😊 Et bonne journée.