L’ex-trotskyste Jean-Luc Mélenchon et le gaulliste Henri Guaino viennent de croiser le fer à propos de la langue française. Le premier pense que, pour que le français soit une langue commune, il faut qu’on accepte d’en faire une langue créole. C’est oublier le rôle joué dans la création de la nation française par une certaine uniformisation linguistique encouragée par le cardinal de Richelieu, fondateur de l’Académie française en 1635. Si la la langue anglaise dégénère souvent aujourd’hui en « globish », c’est parce qu’elle ne bénéfice pas d’une institution pareille.
Jean-Luc Mélenchon a encore parlé. C’est une habitude. Mais cette fois, il n’a pas dénoncé les violences policières, béni les voiles ou invoqué Robespierre. Il a parlé en français de la langue française, une langue qu’il veut « créole ». Non point au sens poétique – comme lorsqu’Aimé Césaire introduit le vocabulaire martiniquais en littérature – mais au sens éminemment politique. Il faut dire que cette langue dont il parle sans cesse et qu’il aimerait voir entrer enfin dans le nouveau millénaire en changeant de continent, il la parle lui-même assez bien. Une qualité que lui reconnait, courtoisie oblige, Henri Guaino qui lui adresse une réponse cinglante au Figaro (à laquelle M. Mélenchon a répondu à son tour). Enfilant sa tenue de haut fonctionnaire lettré et une plume qu’il mit autrefois au service de Nicolas Sarkozy, il reproche à l’ancien sénateur PS une petite phrase : « Si quelqu’un pouvait trouver un autre nom pour qualifier notre langue, il serait le bienvenu. La langue française n’est pas la propriété singulière de la France, et surtout pas de ceux qui voudraient figer l’identité française dans sa langue ». Sophia Chikirou, en ligne plus que directe avec le lider maximo, confirmait les propos de ce dernier le 25 juin : « Au lieu de dire langue française, nous pourrions tout à fait dire langue créole […] qu’est-ce que cela a de criminel ? », qualifiant de « franchouillards » ses adversaires du jour.
Concession rhétorique ; dans sa tribune du Figaro publiée le 26 juillet, Henri Guaino invite à prendre au sérieux cette idée saugrenue à première vue : « L’erreur serait, de ne pas prendre assez au sérieux le défi derrière la provocation ». Le gaulliste reproche aussi à l’ancien trotskyste d’utiliser le terme « remplacement », et donc le mot de l’ennemi réactionnaire afin d’hystériser et de coaliser le camp d’en face (y compris les tièdes, « ceux qui se méfiaient de ce mot aux relents de grand complot ») renforçant ainsi – par mimétisme et attraction des extrêmes – son propre bloc. Autrement dit : de la LFI aux disciples de Renaud Camus, tout le monde s’entend sur le constat du « grand remplacement » : il y a simplement les contre et les pour qui lui préfèrent le plus festif, tentateur et tropical terme de « créolisation ».
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Avec ce mot de créolisation, Jean-Luc Mélenchon prône moins un constat sociolinguistique de bon sens avec lequel nous ne pourrions être qu’en accord (« la langue évolue et se nourrit d’emprunts extérieurs »), qu’une théologie de la fusion. Il faut tout métisser, tout liquéfier, tout échanger, tout rendre flou. Les nations, les peuples mais aussi leur langue. La langue ne connait ni dogme, ni frontières, ni règles fixes. Quand Roland Barthes disait la langue « fasciste », Mélenchon le voit anarchiste de nature, puisque « nous n'[en] sommes pas propriétaires ». Elle peut bien pousser comme bon lui semble à la manière des herbes folles. Elle peut construire empiriquement son propre lexique, ses propres règles, sa propre syntaxe au plaisir du caprice de ses millions de locuteurs. Les écoliers torturés les méchantes règles d’accord du participe passé seront soulagés…
Refusant de laisser voir le français livré à la glose plurielle des banlieues et des ONG – ou des électeurs insoumis – Henri Guaino sort le bouclier de l’académisme : « Disons qu’il y a un danger d’enrichissement désordonné et c’est la raison pour laquelle il y a, n’est-ce pas, une Académie française ». Il est vrai que l’on doit à l’effort de permanence linguistique la possibilité de lire sans être déboussolé Racine et Corneille – pour Rabelais, c’est déjà plus compliqué. Les deux premiers sont du XVIIe, le second du XVIe. Entre les trois, une idée, une institution et surtout un homme : Richelieu. Le cardinal à la soutane de fer qui assiégea les protestants de La Rochelle d’une main et raccourcit les nobles duellistes de l’autre a aussi crée l’Académie pour serrer la bride aux langues trop libres. On parlerait désormais français et non plus langue d’oc ou d’oïl, picard, alsacien ou flamand ; l’Académie française en édicterait la norme, la grammaire et le bon usage. Le français devint une pierre taillée, presque aussi pur que le latin qui venait de perdre (officiellement) son monopole. Et suffisamment noble pour siéger dans les chancelleries, les tragédies et les traités. Rappelons que l’ultimatum adressé par l’Autriche-Hongrie à la Serbie lançant la guerre de 1914 fut écrit en français…
Cette langue unique et unifiée dans le temps et l’espace, ce fut bien une originalité franco-française. Une de plus ! Codifier la langue pour faire l’unité du pays. Une langue centralisée, verticale, démocratique et compréhensible de tous : républicaine avant l’heure. Et Mélenchon ? Fils paradoxal de ce jacobinisme, héritier des tribuns de la Convention, il connaît trop bien cette histoire pour l’ignorer. Mais il l’interprète à rebours : là où les révolutionnaires faisaient du français un ciment national, il y voit désormais un terrain de lutte décoloniale. Reconnaissons qu’il arrive à son tiers-mondisme grammatical de lui inspirer quelques bonnes saillies. Quand il dénonce le désintérêt des dirigeants français pour leur propre langue, le tribun de LFI touche souvent juste : « Le président de la République lui-même invite le monde de l’argent en France dans un pauvre globish ! « Choose France », ânonne-t-il […]. Avec lui, il n’est plus question de créolisation mais d’assimilation pure et simple au monde anglo-saxon ». Idem sur la nomination de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de la francophonie, celle-là même qui avait déclaré en 2011 : « l’anglais est une langue avec laquelle on va plus loin que le français. Au Rwanda, le français ne va nulle part », alors même que son pays a évincé le français au profit de l’anglais, notamment à l’école.Pour le reste… Il faut quand même être atteint d’un sérieux syndrome Donald Trump pour s’imaginer changer par décret dans la tête de toute l’humanité l’habitude d’appeler les choses par leur nom, langue française ou golfe du Mexique.
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On le sait, la façon de dénommer les lieux, les peuples et les langues a un caractère éminemment politique. Il a fallu toute la malice de la guerre civile yougoslave pour inventer d’hypothétiques langues serbe, croate, bosnienne, monténégrine. La distinction entre l’hindi et l’ourdou est ténue et doit beaucoup aux graves tensions qui opposent Inde et Pakistan. Selon que l’on se trouve à Ryad ou à Téhéran, le Golfe devient arabique ou persique, ou arabo-persique pour les plus diplomates. Parfois, il arrive que les anciennes colonies piquent la vedette de leurs anciennes métropoles. Le drapeau brésilien est très souvent utilisé pour symboliser le monde lusophone et la bannière étoilée étasunienne n’est pas loin de faire le même sort à l’Union Jack. Qu’enseigne-t-on dans les écoles, formations ou établissements internationaux qui cherchent à rendre leurs élèves « bankables » dans l’économie mondialisée ? La langue de Shakespeare ou l’américain mondialisé ? Faute d’académisme, l’anglais a suivi un autre chemin que le français et souvent évolué à la godille. Tant et si bien qu’il faut rééditer aujourd’hui Pride and Prejudice en anglais « moderne » pour que les Britanniques eux-mêmes comprennent ce que dit Jane Austen. Aujourd’hui, un animateur de la BBC à l’anglais impeccable pourra-t-il comprendre ce que lui dit un fermier du Midwest lequel devra peut-être tendre l’oreille aux gueulantes d’un prédicateur pakistanais ou d’un buveur irlandais…. Pour le moment, le drapeau français n’a pas été supplanté par celui du Québec ou du Congo dans les représentations : il n’est pas la peine d’inventer de toutes pièces le phénomène.
Causeur
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JL Melenchon parle le Maroquin, la langue des ronds de cuir! Et vive la langue Française celle des ambassadeurs, du bon goût et des arts et lettres, qu tant d’étrangers nous envie!
Pour Mélenchon, allez tire un feuil, ou va te faire foutre en créole réunionnais il me semble.
L’anglais n’a pas dégénéré en Globish uniquement par absence d’une Académie de la langue anglaise mais parce que le Globish, en réalité le Basic english ( 650 mots et 200 verbes ), a été voulu par Winston CHURCHILL et son cabinet afin d’en faire une langue commune, d’influence mondiale.
C’est dans ce but qu’il appela les États-Unis d’Amérique, lors de son discours du 6 septembre 1943 à Harvard, à rejoindre la Grande-Bretagne dans ce projet afin de mieux promouvoir ainsi leurs intérêts que ne pourrait le faire un empire militaire ; pour lui, l’avenir était à l’empire ( l’emprise ) sur les esprits.
Mon dernier dictionnaire est de 2000, je ne supporte plus les mots wesh wesh qui rentre dans les nouveaux. Y’a za ta mér’.
[1]
Il y a aussi du nouveau français qui n’est pas wesh-wesh et qui est tout de même de la bouillie mentale faite parfois de mots « militants » : « celles et ceux », « chacun et chacune » (cf. la ministre de la santé => https://x.com/tvlofficiel/status/1939670259595907163 ou encore Rima Hassan « il est du devoir de chacun et de chacune » => https://x.com/RimaHas/status/1950928146045231450 )
Il est à noter que « celles et ceux » tout comme « chacun et chacune » qui en est la déclinaison au singulier ne sont rien d’autre que les formes vocalisées des écritures inclusives ce·lles·ux et chac·un·e.
Errata, lire l’écriture débilo-inclusive c·elles·eux à la place de ‘ce·lles·ux’.
Second errata
Celles-et-ceux s’écrit en écriture débilo-inclusive c·eux·elles.
Cf. ces exemples :
1. la théorie de Lévi-Strauss a constitué une véritable aubaine pour tou.te.s c.eux.elles qui sont empêtrés dans la contradiction des pratiques et des
règles (https://shs.cairn.info/article/MOUV_082_0076/pdf )
2. une fois les noms des encadrant.e.s renseignés, c.eux.elles-ci recevront un lien (https://irda.univ-paris13.fr/linscription )
3. Ne parlons pas de « celles et ceux » – ou plutôt c.eux.elles – qui voudraient nous imposer leur « illisible » écriture inclusive ! (https://www.bvoltaire.fr/laccent-sur-une-majuscule-cest-capital )
[2]
On a aussi l’ignoble du coup devenu conjunction de coordination universelle et qui signifie aussi bien « donc » que « puis » ou « alors ».
Rajoutons les néologismes en -cide ou -phobie (écocide, féminicide (qui est l’homicide d’une femme) ou grossophobie, homophobie, islamophobie, transphobie, etc.).
Bref, notre civilisation périclite et notre langue n’est pas épargnée par ce déclin. Je repense à ces rééditions du Club des cinq retravaillées pour en expurger le passé simple et en raccourcir les phrases.
On dit qu’il faut de tout pour faire un Monde mais là il y a vraiment trop d’abrutis à tous les niveaux et surtout de cons, si vous le permettez