À armes légales L’utilisation de bases ADN récréatives étrangères pourrait aider à résoudre nombre de crimes en France. Et ainsi apporter des réponses aux familles de victimes qui les attendent parfois depuis des décennies.
L’édito de Damien Delseny, chef du service Police-Justice du « Parisien – Aujourd’hui en France ». Par Damien DelsenyLe 23 juillet 2025 à 05h59
L’efficacité de l’ADN dans la résolution des enquêtes judiciaires n’est plus à prouver. Il existe encore quelques ronchons pour répéter qu’elle n’est pas la reine des preuves, qu’il faut même parfois s’en méfier. Mais, depuis la mise en route opérationnelle du Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), il y a vingt-cinq ans, combien de meurtres, de viols et autres crimes et délits ont-ils été élucidés grâce à cette technique et à ce fichier qui compte aujourd’hui en France plus de 5 millions de profils ? Des milliers. Sans doute beaucoup plus.
Le Code pénal est beaucoup plus restrictif. Le crime peut par exemple être prescrit. Aujourd’hui, peut-on donc utiliser des bases ADN récréatives constituées dans un pays étranger pour identifier une empreinte inconnue en France ? En clair, la justice doit-elle disposer d’armes supplémentaires dans son arsenal ? Est-ce acceptable légalement, moralement ?
Pour répondre, il faut se tourner vers les victimes, leurs proches, ceux et celles qui attendent une réponse depuis des années, parfois des décennies et qui sont si souvent les grands oubliés de la procédure pénale. Eux souhaitent juste connaître la vérité. Pour pouvoir s’apaiser. À armes égales et légales face au crime qui les a détruits.
Meurtre de Sabine Dumont : 38 ans après, la généalogie génétique permettra-t-elle d’identifier le tueur ?
Cette technique consiste à comparer l’ADN de l’auteur d’un crime avec les millions d’échantillons amassés par des entreprises privées américaines, afin de trouver un parent éloigné. En France, ce procédé a déjà permis de confondre le « prédateur des bois ».
Erik Dumont a beau être de « nature optimiste », il a appris, avec les années, à se « blinder ». « Des fausses joies, il y en a eu beaucoup », confie-t-il.Il y a maintenant trente-huit ans que sa petite sœur, Sabine, a été retrouvée morte. Le 27 juin 1987, la fillette de 9 ans avait été enlevée alors qu’elle était sortie acheter de la peinture à Bièvres (Essonne). Le lendemain, son corps, en partie calciné, était retrouvé à proximité d’une route à quelques kilomètres de chez elle. L’autopsie a révélé qu’elle avait été violée et étranglée.
S’ils n’ont jamais abandonné l’espoir d’obtenir un jour la vérité, les Dumont ont depuis peu une nouvelle raison d’y croire : la généalogie génétique.Fin juin, lors d’une conférence de presse, ils ont annoncé que le FBI allait exploiter, par l’intermédiaire de cette technique, l’ADN retrouvé sur le corps de la fillette. Celle-ci permet, à partir d’une empreinte génétique retrouvée sur une scène de crime, de retrouver un parent très éloigné d’un suspect. Pour ce faire, les agents fédéraux américains ont recours aux bases de données privées alimentées par des tests ADN « récréatifs ».
En France, où ces tests et le fichage ADN à des fins récréatives ne sont pas autorisés, les enquêteurs doivent se contenter duFichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), qui regroupe l’ADN des personnes mises en cause dans des affaires judiciaires. Depuis 2016, ils peuvent utiliser ce fichier pour retrouver un suspect si un parent direct est enregistré au FNAEG (parents ou frères et sœurs). On parle alors d’ADN de parentèle. Autant de moyens qui ont déjà été employés, sans succès, pour le cas du meurtrier de Sabine Dumont.
Essonne, le 19 mars 2025. Gaëlle Dumont et Erik Dumont se battent pour obtenir des réponses sur le meurtre de leur petite sœur, Sabine, violée et tuée en juin 1987. LP/Victoire Haffreingue-Moulart
Alors forcément, le recours à la généalogie génétique — dans le cadre d’une commission rogatoire internationale — constitue un nouvel et « bel espoir » pour Erik Dumont. « C’est une technique redoutable », relève Me Marine Allali, avocate de la famille Dumont avec Me Didier Seban. Bien que cette pratique soit interdite en France, sous peine d’une amende de 3 750 euros, un grand nombre de Français auraient fourni leur empreinte génétique pour retracer leur arbre généalogique. « Aujourd’hui, on estime que 1,5 million de Français ont donné leur ADN à ces bases récréatives, évalue la pénaliste. Ce qui permettrait, en gros, d’établir un lien avec l’ensemble de la population. »
Pour être « candidat » à un tel procédé, il faut évidemment l’empreinte génétique de l’auteur présumé du crime. « Ce qui est le cas pour le dossier de Sabine Dumont, où du sperme a été retrouvé », précise Me Allali. « Dans notre malheur, nous avons la chance d’avoir cet ADN », ajoute Erik Dumont, en référence à d’autres dossiers où les scellés ont été détruits ou égarés.
Aussi, cet ADN doit être « peu dégradé et en quantité suffisante », souligne le commissaire divisionnaire Franck Dannerolle, chef de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), service de police judiciaire chargé d’élucider les crimes plus graves, dont l’affaire Sabine Dumont.
Le « prédateur des bois » confondu grâce à ce procédé
Si ces critères sont réunis, les scellés sont envoyés de l’autre côté de l’Atlantique. Et si les recherches se révèlent positives, un « match » ne fait pas tout, prévient le commissaire divisionnaire. « Il faut bien comprendre que cela ne donne pas miraculeusement le nom d’un suspect mais une orientation d’enquête, insiste-t-il. Lorsqu’ils nous parviennent, les résultats nous disent que l’individu dont l’ADN a été traité se trouve potentiellement dans tel arbre généalogique. »
Et de rappeler la complexité de s’y orienter : « Il y a des familles plus ou moins dispersées sur le territoire, parfois recomposées. Cela nous pousse à remonter parfois assez loin dans le temps, jusqu’à la fin du XIXe siècle et donc des situations très complexes à reconstruire. » Dans l’hypothèse où la généalogie fait émerger un ou plusieurs suspects, commence alors « un travail d’enquête classique », souligne Franck Dannerolle. « Une fois ce travail réalisé, il faut récupérer l’ADN de ces personnes pour le comparer à celui qui a été retrouvé sur la scène de crime », précise ce dernier. Et espérer que cela matche.
En France, le recours à la généalogie génétique a déjà permis d’élucider l’affaire du « prédateur des bois », surnom donné à Bruno L., accusé d’avoir kidnappé et violé cinq adolescentes entre 1998 et 2008. Interpellé et placé en garde à vue le 13 décembre 2022, cet homme de 62 ans avait reconnu les faits et s’était suicidé dans sa cellule en 2024. Dans cette affaire, les enquêteurs de l’OCRVP avaient réussi à remonter sa piste grâce à un parent éloigné qui avait envoyé son ADN à une base de données américaine.
En parcourant son arbre généalogique, ils avaient identifié plusieurs personnes, dont Bruno L. Une prouesse saluée par l’avocat des parties civiles, Me Fares Aidel Sehili. « Sans cette technique, ce dossier serait toujours un cold case, note le pénaliste. Ça a été une formidable surprise pour les victimes. »
Une absence de cadre légal en France
« C’est une nouvelle chance pour certains dossiers, commente Franck Dannerolle. Mais il faut voir comment il est possible de l’exploiter en France car il serait dommage de s’en priver. » Dans notre pays, la généalogie génétique en matière judiciaire n’est pas encore légalement encadrée, raison pour laquelle les autorités judiciaires font appel au concours des États-Unis. Contacté, le parquet de Nanterre fait savoir que « quelques dossiers du PCSNE, dont des enquêtes préliminaires et des instructions, sont concernés ». Selon nos informations, il s’agit de quatre dossiers, dont celui de Sabine Dumont.
De son côté, le ministère de la Justice affirme être « conscient de l’avancée majeure » que représente la généalogie génétique « pour la résolution d’enquêtes portant sur des faits d’une extrême gravité ». Sans s’exprimer sur les dossiers en question, la Chancellerie indique s’efforcer de « faciliter » les demandes d’entraides pénales émises par les autorités françaises à d’autres pays « dans le respect du cadre légal ainsi que des conventions internationales ».
Fondateur de l’association Avane (Aide aux victimes des affaires non élucidées), Benoît de Maillard est « persuadé que cette technique pourrait aider à résoudre un certain nombre de cold case ». « Mais il faut légiférer pour encadrer son recours, reprend-il. Pour moi, c’est sûr qu’on y viendra un jour, comme pour la création du FNAEG ou l’ADN de parentèle, qui avait fait débat à l’époque. Reste à savoir quand et comment. »
« Compte tenu du caractère extrêmement sensible des données génétiques, il est nécessaire que la loi encadre strictement ces techniques d’enquête, abonde Me Fares Aidel Sehili. En les limitant par exemple à certains crimes les plus graves, sous le contrôle de magistrats, en ultime recours. Il est aussi dans l’intérêt des victimes que ces techniques soient parfaitement sécurisées et qu’elles ne soient pas sans cesse remises en cause, d’un point de vue procédural. »
En attendant, la famille Dumont veut croire en cette nouvelle chance de retrouver le meurtrier de Sabine. « L’affaire n’est pas réglée mais on a déjà fait une partie du chemin, estime Erik, prudent mais toujours optimiste. Je reste persuadé qu’un jour nous obtiendrons un nom. Pour nous, c’est de toute façon impossible d’abandonner et de se résoudre à l’idée qu’un homme comme celui-ci peut encore être dans la nature. »
Il faudrait commencer par retrouver Jean Michel Trogneux, non ?