
Suite de l’extrait publié ici le 2 juin dernier
Le jour où la famille musulmane quitta la maison avant mon retour de l’école, l’idée d’affronter la colère de ma grand-mère me glaçait déjà en franchissant le seuil de la porte. Accaparée par sa cuisine, elle ne remarqua pas mon arrivée, ce qui me permit de me faufiler discrètement vers ma chambre. Sans ses domestiques elle est maintenant plus que jamais prise par ses corvées interminables, me dis-je.
À ma grande surprise, je n’eus qu’une dizaine de minutes à ma disposition, le temps de déposer mon cartable et de me débarrasser de mon uniforme, avant que sa voix tonitruante ne coupe court à ma brève sérénité.
« J’ai besoin de toi à la cuisine, me hurla-t-elle. « Et prépare la table s’il te plaît, tes cousins vont venir pour déjeuner chez nous.
‘Belle perspective, pensai-je. Une montagne d’assiettes à laver après avoir débarrassé la table, sans parler du nombre de fois où je vais devoir répondre à leurs demandes’.
Malgré le travail supplémentaire imposé par leur visite, j’aimais sincèrement mes cousins et prenais volontiers part à leurs activités.
Tard dans la soirée, après le départ des invités, je pus enfin jouir d’un peu de répit dans la chambre de mon grand-père. L’idée m’effleura soudain de lui confesser ma frayeur de révéler à ma grand-mère la disparition de mes bijoux.
« Pépé, balbutiai-je, sentant un frisson me parcourir le dos. « J’ai besoin de tes conseils. Mes bijoux ont été volés par la fillette du couple musulman qui travaillait chez nous et j’ai une peur bleue de le révéler à Mémé.
« En voilà une histoire, me répondit-il. « Et d’où te vient cette certitude qu’elle est la voleuse ? »
« Je l’ai suivie la nuit qui a précédé leur renvoi par Mémé et je l’ai vue piquer des pièces de monnaie sur la table de nuit d’oncle Maurice et sur celle d’oncle Henry avant qu’elle ne mette la main sur l’argent de Mémé dans le tiroir de la cuisine. Mes bijoux avaient disparu quelques jours auparavant et en rangeant mon armoire, j’ai buté contre sa petite malle qui s’est ouverte. J’ai remarqué qu’elle y avait emmagasiné des accessoires qu’elle n’a pas les moyens d’acheter et ses parents non plus », expliquai-je à mon grand-père.
« Pourquoi n’avoir rien révélé à ta grand-mère ? »
« Les musulmans m’effraient, Pépé. J’ai entendu mes amis de classe parler de leur violence et certains les ont même vu menacer avec leurs couteaux des enfants juifs », lui confiai-je.
« Tous les musulmans ne sont pas forcément mauvais et tous les juifs ne racontent pas incontestablement la vérité. La majorité des musulmans est pauvre et beaucoup sont employés par des familles juives. Il y a eu malheureusement de nombreux cas de vol. Ceci dit, je comprends ta réticence. Je suppose que nous allons devoir mentir un peu à ta grand-mère », me dit-il avec un ton de connivence. « Si elle te demande où sont tes bijoux, dis-lui que tu me les as remis afin que je les garde dans le coffre-fort. J’appuierai ta version, bien entendu ».
« Merci Pépé », lui dis-je soulagée. « Je ne veux plus de bijoux. Ils ne cessent de me causer des tracas. J’ai peur de les perdre ou de les endommager. Ma vie est bien plus simple sans eux ».
« Tu changeras d’opinion quand tu grandiras », répondit mon grand-père en riant.
Le problème résolu, mon humeur coutumière reprit le dessus et je me mis à raconter à mon grand-père la toute dernière fable qui courait dans les rangs de notre classe.
« Nos garçons sont très astucieux », dis-je à mon grand-père. « On raconte qu’après un concours entre des représentants choisis des écoles régionales, musulmanes Marocaines, françaises et de l’Alliance Israélite, quelques garçons de l’école Jacques Bigart, s’étaient attardés pour comparer et vérifier leurs réponses à l’examen avec les élèves des autres écoles. Plus tard, tenant leurs notes respectives en main, ils s’acheminèrent vers leurs demeures. Chemin faisant, l’un deux eut la brillante idée de défier les autres groupes en proposant une compétition plutôt insolite. « Quel est le meilleur drapeau, celui du Français, du Marocain ou du Juif ? »
Les groupes se divisèrent pour définir et préparer un drapeau qui était présumé surpasser en beauté et en qualité ceux des autres concurrents.
Certains se munirent de larges feuilles de papier pour confectionner leur emblème national. Les Français façonnèrent un magnifique drapeau bleu, blanc et rouge, tandis que les Marocains, eux tenaient fièrement un drapeau rouge avec, en son centre, une étoile verte à cinq branches. Quant aux Juifs, ils se présentèrent armés d’une feuille de cactus géante.
Leur apparition avec la feuille de cactus fit pouffer de rire tous les autres concurrents.
« Pourquoi donc vous moquez-vous de nous », demanda l’un des jeunes juifs. « Vous avez fabriqué de très beaux drapeaux en papier, mais le nôtre a de bien meilleures qualités que les vôtres », répondit le jeune garçon.
« Ce n’est pas un drapeau, c’est une feuille de cactus, nigaud », répliqua le français.

« Justement », rétorqua le jeune juif, « nous l’avons choisie parce que personne ne pourra s’en servir comme papier hygiénique, contrairement aux vôtres », dit-il en ricanant. Grand-père éclata d’un rire sonore, tandis que je devenais toute cramoisie. Il fit évidemment de moi l’héroïne de la famille en ne cessant de raconter cette blague en toutes occasions.
PS : les petits contes existent en trois langues chez l’auteur – Français – anglais et hébreu – la version française est enseignée à l’université de Meknès au Maroc.
Thérèse Zrihen-Dvir
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Que faisiez vous en terre musulmane pendant des siècles. Pauvre petite fille riche.
La terre n’est pas musulmane : elle est argileuse, ou sableuse, ou calcaire, ou siliceuse, et elle se moque bien des religions ou superstitions successives professées par les petits hommes qui occupent éphémèrement sa surface.
On voit les anti qui viennent ici pour souiller.
Raté.
Ces pages sont pures et belles. Même pas peur. Les récits de Thérèse nous vont droit au cœur.