Pierre-Marie Sève : « Sans racisme anti-blanc, Thomas Perotto serait encore en vie »

Pierre-Marie Sève, directeur de l’Institut pour la Justice, une association et think tank indépendant engagé depuis 2007 pour une réforme profonde de la justice française, revient pour Frontières sur les circonstances entourant l’assassinat de Thomas Perotto, survenu à Crépol.

Récemment, un livre sur l’affaire de Crépol a été publié : « Une nuit en France : anatomie du fait divers qui a déchiré le pays », provoquant la colère des familles des victimes. Que reprochent-elles aux auteurs de cet ouvrage ? 

Elles reprochent aux auteurs de ce livre de minimiser ce qui leur est arrivé, et même carrément d’invisibiliser leur souffrance. Pour être net et précis, le 19 novembre 2023, à Crépol, une bande de délinquants multirécidivistes et de criminels en puissance est allée, en groupe et armée, dans une fête de village pour y semer la violence, et éventuellement « tuer du blanc », ce que cette bande a fini par faire. 

Malheureusement, ce motif anti-blanc, largement assumé par les auteurs que neuf témoins ont entendu à ce propos, est inaudible et intolérable pour la pseudo-intelligentsia de gauche qui tente donc par tous les moyens de minimiser et de détourner le problème pour éviter de regarder la vérité en face. Car, en effet, le racisme « officiel » ne peut être anti-blanc. Et conséquemment, en France, les seules victimes de racisme qui n’ont pas le droit de se défendre – et qui, pire encore, sont invisibilisées – sont les victimes de racisme anti-blanc. C’est exactement ce qu’ont démontré les auteurs de ce livre. Sans racisme anti-blanc, Thomas Perotto serait pourtant encore en vie. 

Cela a commencé par l’usage du terme « rixe », aberrant car la bande criminelle était armée de couteaux, tandis que la soi-disant autre bande ne l’était pas, et puisque toutes les victimes de blessures graves sont des villageois. Puis, la manœuvre a continué avec des comparaisons déshonorantes, en référence à Roméo et Juliette ou à La Guerre des boutons, comparaisons émanant d’une sociologue au CNRS et d’un chroniqueur de BFM-TV. Sans parler de l’éditorial de Patrick Cohen (qui lui a même valu un rappel à l’ordre de l’ARCOM) revisitant largement les faits, soutenant que le fond de la querelle était une banale histoire de filles. Alors, ce dernier livre arrive pour enfoncer un clou de plus dans le cercueil de Thomas Perotto en invisibilisant le racisme anti-blanc, qui est pourtant le nœud du problème puisqu’il en est le motif (ou au moins un des motifs) de l’attaque. 

Les journalistes ne sont pas juges, mais la réaction d’une frange minoritaire de la société française — certes marginale dans la population, mais largement représentée parmi les élites — est aussi affligeante qu’effrayante. Elle témoigne, à mon avis, d’une société et d’une civilisation en bout de course, qui se hait elle-même, tout simplement… 

Dans ce livre, un procès-verbal confirmant la thèse d’un acte raciste anti-blanc comme mobile de l’attaque lors du bal de Crépol aurait été dissimulé. Pourquoi ? 

C’est le développement majeur des dernières semaines. Jean-Michel Décugis, qui défend contre vents et marées que le motif de l’attaque de Crépol n’est pas raciste, révèle néanmoins l’existence, dans le dossier, d’un procès-verbal faisant état d’une dizaine de témoins ayant entendu le motif raciste antiblanc. 

Mais, remarque-t-il, ce procès-verbal était rangé dans un endroit étrange du dossier judiciaire, habituellement très peu consulté, comme si quelqu’un avait voulu le cacher. 

Cette « erreur » peut être involontaire, mais elle peut très bien être volontaire, par exemple de la part d’un magistrat qui aurait eu peur de l’emballement médiatique ou qui aurait voulu mettre son idéologie en action de manière discrète.

Même si dans leur pratique, les magistrats font preuve en général de professionnalisme, il n’est pas interdit de se poser la question de l’impartialité des magistrats dans un contexte aussi sensible et au vu des agissements hautement politiques du Syndicat de la Magistrature…

Et en attendant, ce qui est certain en tout cas, c’est que la Justice n’a toujours pas, à ce stade, retenu le motif raciste de l’attaque de Crépol. Ce qui peut être expliqué par le fait que ce procès-verbal n’était pas au bon endroit… 

Plus largement, comment analysez-vous le traitement médiatique de cette affaire ?

L’affaire de Crépol a tout de suite constitué un séisme médiatique et politique. Beaucoup d’éléments l’expliquent : la gravité des faits (une dizaine de blessés, dont certains en urgence absolue, et un mort), et surtout le motif raciste dont nous avons déjà parlé.
 

Parmi les jeunes de ma génération (j’ai 30 ans), cela n’a rien d’étonnant. Le racisme anti-blanc dans la cour d’école est au moins aussi habituel que les autres formes de racisme. L’affaire de Crépol a simplement démontré à la France entière que ce racisme, dont les auteurs restent particulièrement impunis, peut aller jusqu’au meurtre.
 
Mais pour aller plus loin, je pense aussi que l’ensemble de cette affaire a rappelé des souvenirs particulièrement enfouis dans l’inconscient collectif français, notamment lorsque le procureur de la République a évoqué une « expédition programmée », dans les premiers jours suivant les faits.
 
Ainsi, en 1810, lorsque Napoléon Ier a promulgué le premier vrai code pénal français, l’article 329 concernait les « auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ». En l’occurrence, à cette époque, des bandes de pillards écumaient les campagnes et attaquaient des maisons isolées et sans défense. Appelés les « chauffeurs » (car ils torturaient les fermiers au feu), ils ont ravagé le Nord de la France pendant plus d’un siècle. Cette criminalité était tombée en désuétude mais le code pénal l’a conservé. La comparaison a ses limites, mais je suis persuadé que l’affaire de Crépol a rappelé au grand public français ce type de criminalité qui a marqué l’inconscient collectif. Des bandes de criminels se constituent et Dieu seul sait où elles s’arrêtent.
 
C’est ce que prévoyait, par exemple, la loi anticasseur de 1970. Cette loi votée sous Georges Pompidou, suite aux émeutes de mai 1968, créait justement une sorte de responsabilité pénale collective : la simple présence dans une manifestation, sans que la justice ait besoin de démontrer que la personne accusée avait cassé, pouvait aboutir à une condamnation. Cette loi a été naturellement abrogée en novembre 1981 par François Mitterrand.
 
Dans l’affaire de Crépol, il est évidemment très difficile de répondre complètement à cette question sans avoir le dossier sous les yeux, mais l’on peut imaginer qu’il soit difficile d’établir une responsabilité directe pour les coups mortels. Cela appelle d’ailleurs peut-être une réponse législative.
 
Les journalistes ne sont pas juges, mais la réaction d’une frange minoritaire de la société française est aussi affligeante qu’effrayante.
 
En France, le code pénal dispose que « nul n’est responsable que de son propre fait ». Ce qui veut dire que la responsabilité pénale est une responsabilité personnelle : elle ne peut être engagée que contre l’auteur précis, voire le complice, d’un crime ou délit. Si la Justice n’arrive pas avec précision à dire qui est l’auteur, alors elle ne peut prononcer une condamnation sur ce fondement.
 

Depuis ce drame, les enquêteurs n’ont toujours pas formellement identifié celui qui a porté les coups mortels à Thomas Perotto. Comment expliquez-vous cela ?

 
Comme pour toutes les situations de violence collective, il est difficile de savoir avec précision qui a porté les coups mortels.
 

La maire de Romans-sur-Isère, Marie-Hélène Thoraval, évoque une solidarité « communautaire » dans l’omerta qui règne dans le quartier de la Monnaie, d’où sont originaires les agresseurs présumés du bal de Crépol. Pourquoi les habitants de ce quartier refusent-ils de parler à la police et de révéler le nom du meurtrier ?

 
On dit même qu’à Romans-sur-Isère « tout le monde sait qui a tué Thomas »… il y aurait une couverture communautaire de l’affaire ?
 
Difficile à dire. On ne sait jamais, mais il faut rappeler que les voyous de Romans-sur-Isère sont une minorité parmi les habitants du quartier de la Monnaie. Si couverture communautaire il y a, c’est probablement davantage une couverture familiale et propre à leur milieu criminel.
 
Et puis, il est normal que la vérité judiciaire soit différente de la vérité de la rue. La criminologie nous enseigne que le propre du voyou est l’affabulation et il arrive fréquemment que des criminels se disputent la responsabilité d’un crime ou d’un délit auprès de leurs amis et de leurs proches, comme une médaille d’honneur. Ils ont en général une toute autre version des faits dans le bureau du juge. Et malgré l’idéologie bien présente chez certains magistrats, il m’apparaît inimaginable qu’un juge quel qu’il soit refuse d’inculper un criminel pour meurtre s’il avait des informations concordantes et concluantes en ce sens. Je comprends que ce soit intolérable pour les victimes, et il faut donc demander au juge de multiplier les efforts pour faire éclater la vérité.
 
Il me semble que le problème est que les cités, comme celle de la Monnaie à Romans-sur-Isère, sont devenues de véritables citadelles du crime. Cette « solidarité communautaire » est logique, entre pressions de groupe, pressions physiques, probablement aussi pressions ethno-religieuses (repensons au fameux « fonctionnement clanique » de certaines familles maghrébines, décortiqué par le professeur Maurice Berger). Ce qui est d’ailleurs vrai de la Monnaie est certainement aussi vrai des « cités sensibles » en général. Pour rappel, on compte, en France, 750 zones urbaines sensibles et le préfet Michel Aubouin l’évaluait plutôt à 1500…
 
Au XVIIe siècle, Richelieu est connu pour avoir mis en œuvre une politique de démantèlement des centaines de petits châteaux bâtis par les seigneurs qui se disputaient la France. Même Richelieu n’a pu terminer ce travail. C’est dire à quel point nous aurons besoin de personnalités politiques à la hauteur pour s’attaquer à la tâche titanesque de « reconquête républicaine » qui est devant nous.
 

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