Jérusalem : C’est le troisième lieu saint de l’islam, d’après la tradition musulmane et pourtant la ville n’est jamais citée nommément dans le Coran. En Arabe, on l’appelle al-Quds, nom qui apparaît au Xe siècle chez les auteurs musulmans, à partir, semble-t-il, de la langue araméenne locale au sens de « ville du sanctuaire ». On trouve aussi Iliya (d’après le nom romain Aelia capitolania) et Bayt al-Maqdisq (« Maison du sanctuaire », équivalent de l’hébreu Beit ha-Mikdash (« Maison sainte »).
Les sédiments d’une longue histoire
Si l’on en croit la philologie, l’occupation du site pour un culte religieux remonterait à 20 siècles avant J.C. En effet, il faudrait décomposer le nom du lieu en « Iérou »( qui indique l’acte de jeter une pierre de fondation) et « Shalem » (antique dieu hébreu cananéen de la pleine lune). Il y aurait eu sur le site un autel destiné à honorer ce dieu par des sacrifices.[1]
Dix siècles plus tard, La Bible fait du roi David le fondateur de sa capitale à Jérusalem. L’archéologie fournirait une preuve de son existence, sous la forme d’une stèle assyrienne « Moi, Mesah, fils de Kamosh, roi de Moab, j’ai combattu la descendance de David … et j’ai emporté les vases de Iahvé… »[2].
En 1993, la découverte de la stèle de Tel Dan, datée 840 avant J.C., vient conforter la thèse de l’existence réelle du roi David.
On n’a pas d’autres traces archéologiques de David ni de son fils Salomon à Jérusalem, en revanche de nombreux tessons et pièces de monnaie en paléo-hébreu ont été trouvées sur le site ainsi que la preuve de la construction d’un aqueduc souterrain pour alimenter la ville. Le temple de Salomon a été détruit lors de la prise de la ville par Nabuchodonosor en 586. A partie de cette date, Jérusalem n’appartint plus que rarement à un royaume hébreu indépendant, mais fut sous la domination de tous les empires qui dominèrent la région, tandis que la présence des Hébreux, plusieurs fois voués à l’exil, ne s’est jamais complètement effacée. Se sont succédé Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Byzantins, Arabes musulmans, chrétiens venus d’Europe, Ottomans, Empire britannique, partage entre Israël et Jordanie. La ville est aujourd’hui la capitale de l’état d’Israël et une ville-frontière avec la Cisjordanie.
A chacune de ces occupations, on s’est empressé de détruire et de reconstruire sur les ruines de la précédente. « La plupart des conquêtes se sont accompagnées de la volonté instinctive d’effacer les traces d’autres fois, tout en récupérant leurs traditions, leurs histoires et leurs sites »[3]. Cela est vrai dans les pierres, car les nouveaux murs furent constitués d’innombrables spolia et aussi dans l’esprit. « La volonté de s’emparer de la sainteté d’autrui a eu pour conséquence que certains sanctuaires sont devenus sacrés successivement, puis simultanément pour chacune des trois religions ».[4]
La conquête de Jérusalem par des Arabes
Aux alentours de 636, un raid venu d’Arabie s’empara de Jérusalem, alors ville chrétienne sous la domination de Byzance. On ignore si les nouveaux venus étaient musulmans. Ni le mot «musulman», ni le mot «islam» ne sont documentés par les sources de l’époque. Ils sont désignés sous le terme de «Saracènes», ce qui signifie « ceux qui vivent sous les tentes » ou «Hagarènes» (descendants de Hagar, la servante d’Abraham, mère d’Ismaël). Une hypothèse en fait des bédouins que des judéo-nazaréens[5] auraient gagnés à leur cause. Chassés de Byzance, les judéo-nazaréens auraient réussi à convaincre des tribus arabes nomades de leur projet messianique : conquérir Jérusalem, y reconstruire le Temple [6]pour hâter le retour du Messie et le Jugement dernier, prévus dans cette ville. Pour ce faire, les judéo-nazaréens auraient traduit en arabe un de leurs lectionnaires : ce serait la matrice du Coran.
Le Dôme du Rocher.
C’est le plus ancien édifice islamique encore visible dans son état originel. Vers 691-692, le calife Abd al-Malik ibn Marwan (dynastie omeyyade) fit édifier le Dôme du Rocher. Ce n’est pas une mosquée mais un sanctuaire dont l’architecture rappelle l’église du Saint Sépulcre, construite en 326 sur l’ordre de Constantin. Il s’agissait d’éclipser cet édifice, situé en contrebas. Le dôme doré, les chapiteaux corinthiens, les mosaïques à fond d’or surpassent tout autre monument de la ville en magnificence.
A l’intérieur, des inscriptions proclament la suprématie du dogme musulman, telles que le calife Malik les a dictées aux céramistes. A l’intention des chrétiens, il est écrit « Le Messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un messager de Dieu… » « Dieu n’a pas engendré et n’a pas été engendré. »
Le monument est conçu autour d’une roche sacrée : pour les juifs et, sans doute aussi pour les chrétiens de Jérusalem, c’était le lieu où Abraham aurait voulu sacrifier son fils Isaac à Iahvé. Or la tradition musulmane a déplacé l’épisode près de Mina, une plaine située à quelques kilomètres de La Mecque : Abraham (Ibrahim) aurait voulu y sacrifier son fils Ismaël à Allah. Le calife Malik, qui à cette époque ne contrôlait pas La Mecque, alors aux mains d’un calife rival[7], a sans doute souhaité s’accaparer Jérusalem en guise de lieu de pèlerinage concurrent.[8]
A partir du IXe siècle, les califes et leurs scribes, dont Tabari, ont fait mieux, en attribuant une sacralité proprement musulmane à ce rocher grâce au récit du Voyage nocturne de Mahomet.
Le Voyage nocturne ou l’ascension de Mahomet («isra»)
Au IXe siècle, les premiers exégètes du Coran, dont Tabari, ont propagé un récit intégrant Jérusalem comme lieu sacré de l’islam en extrapolant à partir d’un seul verset : «Gloire et Pureté à Celui qui de nuit, fit voyager Son serviteur, de la Mosquée sacrée («masjid al Haram») à la Mosquée la plus éloignée («Al-Aqsa») dont Nous avons béni l’alentour, afin de lui faire voir certaines de Nos merveilles. C’est Lui, vraiment, qui est l’Audient, le Clairvoyant. » (17, 1). La «Mosquée sacrée» serait la Kaaba de La Mecque et la «Mosquée la plus éloignée » se situerait à Jérusalem. Quant au « serviteur », ce serait Mahomet. On passera sur le fait que c’est Allah qui parle et se glorifie lui-même, le Coran étant coutumier de telles incongruités[9].
Les hadiths font témoigner le Prophète « Alors que j’étais près de la Kaaba dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil… » (Tabari). Mahomet fut réveillé par l’ange Gabriel, qui l’amena vers al-Burâq, une monture rapide comme l’éclair « entre la mule et l’âne, ayant une tête de femme ». De La Mecque; Mahomet aurait été emmené jusqu’au Rocher de Jérusalem et c’est de ce point d’appui qu’il serait monté au ciel. Dans cette ascension («mi’râj »), il aurait rencontré tous les prophètes qui l’ont précédé et conduit la prière pour eux comme leur imam («guide»). Puis, lors d’un échange personnel avec Allah, le Prophète aurait négocié le nombre de prières par jour, obtenant qu’Allah en ramène le nombre de 50 à 5. Cependant, d’après des traditions anciennes , le voyage aurait d’abord été raconté comme une ascension directe de Mahomet vers le ciel, sans le crochet par la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem.[10]
De plus, il n’y avait pas de mosquée à Jérusalem du temps de Mahomet. On pourrait alors rétorquer que « masjid » dans l’expression masjid Al-Aqsa doit être traduit par « lieu de prosternation le plus éloigné». Mais éloigné de quoi ? De quoi Jérusalem serait-elle le lieu le plus éloigné ? On trouve, au contraire, l’expression «un lieu proche » pour désigner le Mont du Temple de Jérusalem, le jour du Jugement dernier (50, 41-42) et cela, d’après l’exégèse («tafsir») de Tabari lui-même.
Quant au récit de l’ascension du Prophète, il vient contredire des passages du Coran où le Prophète se présente comme incapable d’accomplir des miracles et notamment de s’élever au ciel (17, 93). Il paraît inspiré d’autres ascensions bibliques (Isaïe, Elie…). Il rappelle surtout le voyage céleste d’Abraham tel qu’il apparaît dans l’Apocalypse d’Abraham[11]. Le «serviteur» du verset, sur lequel tout repose, peut très bien être Abraham, désigné par ce mot à maintes reprises dans le Coran. On pourrait étendre cette hypothèse à tout ou partie du texte coranique, dans la mesure où Abraham y est cité 69 fois dans 25 sourates différentes, tandis que Mahomet n’y est mentionné que 4 fois et de façon très douteuse, Mahomet n’étant pas un nom mais un qualificatif ou un titre : « le Bien-aimé ».[12]
Pour faire pièce à la trace du pied d’Abraham à La Mecque[13] et à celle du pied de Jésus dans l’église de l’Ascension[14], la roche préservée au centre du Dôme présenterait la trace du pied de Mahomet laissée au moment de son ascension vers le ciel.
Le rocher sous le Dôme du Rocher où l’on vient contempler l’empreinte de Mahomet
La mosquée Al-Aqsa
Une mosquée dénommée ainsi aurait été édifiée en 637 par le calife Omar sur les ruines du Temple d’Hérode, détruit par les Romains en 70. Sur cette ancienne structure, la mosquée encore en place a été édifiée vers 705 par Al-Malik et son fils Al-Walid Ier. Le nom de cette mosquée reprend la dénomination floue du Coran « masjid al Aqsa », « la mosquée la plus éloignée » (17, 1, cf. plus haut). La présence de cette mosquée est venue accréditer a posteriori le récit de l’ascension de Mahomet, pour des fidèles peu soucieux de chronologie. Mahomet y aurait dirigé la prière à Allah devant tous les prophètes avant de s’envoler vers le ciel.
Les califes omeyyades ont ainsi marqué l’espace pour asseoir leur pouvoir et la main-mise de l’islam sur le lieu le plus sacré de Jérusalem. A leur tour, les Croisés, au XIIe siècle, placèrent une croix sur le Dôme du rocher devenu une église et l’appelèrent «Temple du Seigneur» («Templum domini»). Les Templiers en tirèrent leur nom. Ils prirent la mosquée Al-Aqsa pour une réutilisation musulmane du Temple de Salomon et y installèrent leur quartier général. Les sous-sols de la mosquée devinrent leurs écuries, abritant leurs chevaux et leurs chameaux. En 1187, Saladin réussit à reprendre Jérusalem aux Croisés. Il fit immédiatement purifier et restaurer la mosquée. Par la suite, Al-aqsa demeura une mosquée, même si Jérusalem se trouvait sous la domination de non-musulmans. Elle resta administrée par des musulmans.
Depuis la victoire israélienne lors de la Guerre des six jours en 1967, l’ensemble des 14 hectares de «l’Esplanade des mosquées»[15], (que les musulmans désignent maintenant en son entier comme Al-Aqsa), est administré religieusement par le Waqf islamique jordanien, mais sous contrôle sécuritaire israélien comme l’ensemble de Jérusalem. Les frictions sont fréquentes.
Une carte de Jérusalem, d’après L’Histoire, « Jérusalem, une mosaïque de quartiers ». La ligne verte est l’ancienne séparation entre Jérusalem ouest et Jérusalem est, instaurée après la Guerre des 6 jours (1967), la ligne noire est le tracé du mur de séparation édifié en 2002.
Point de vue d’un juriste israélien sur la situation actuelle de « l’Esplanade des mosquées » :
https://youtu.be/eIAudHEcw1c
L’appel régulier à « défendre Al-Aqsa » qui serait menacée par les juifs, contribue grandement à conférer aux revendications palestiniennes une dimension internationale pour la « communauté » musulmane (« oumma« ). La défense d’Al-Aqsa pour légitimer toute agression contre Israël est constamment présente dans la propagande palestinienne, notamment dans les dessins animés destinés aux enfants ; cette video, déjà ancienne (2001), en donne un aperçu :
Je traduis en dessous en français…
Traduction
Voix d’hommes puis une voix d’enfant : « Je suis environné de destructions. Mon peuple est assiégé de toutes parts. Oh enfants, grandissez vite. L’ennemi fait du mal à nous tous.Ô,les enfants allez ! Allah ou akbar ! »
Une colombe tuée, une ville en flamme, un enfant ramasse le drapeau palestinien en lambeaux. Un enfant emplit un sac de cailloux. Les enfants brandissent des pierres.
Chant voix d’hommes : « Vous êtes la cible et la préoccupation (de l’ennemi) ; Que vos pierres fassent couler le sang. Votre honneur, c’est votre patrie. Il n’est rien de plus cher au monde. » Refrain repris par voix d’hommes
Voix parlée d’un enfant ,:« Maintenant la Pierre est mon livre (d’école) Grâce à elle, les traîtres sont repoussés. Elle est petite comme l’enfant est petit. Mais son effet est si grand ! Après avoir fait tes ablutions, prie et précipite-toi ! »
Chant voix d’hommes tandis que l’enfant, le drapeau palestinien autour du cou, jette une pierre sur les soldats israéliens
Chant voix d’hommes : « La violence a détruit votre route. Votre sang parfume le sol de votre patrie. Ton nom devrait être gravé sur la porte du Paradis. »
Voix parlée de l’enfant : « Je suis là Ô al Aqsa, Je suis là, Jérusalem ! Certes si j’ai manqué une leçon à l’école, mon amour pour toi est à lui seul la leçon. »
Chant voix d’hommes : « Allons, sortons par les tunnels, par les portes et les fenêtres. Joins ta pierre à la mienne. Les armes des assassins ne nous font pas peur. »
On voit un soldat israélien tirer sur un enfant qui tombe au ralenti. Une fleur blanche perd un pétale. Agonisant, l’enfant aperçoit la mosquée Al Aqsa.
« L’enfant chéri a rejoint le but qui lui était destiné, atteignant la gloire du martyre. Plus jamais, on ne le considèrera comme mort celui qui rencontre la mort pour son pays. »
On aperçoit la mère de l’enfant, elle est debout et ne pleure pas. Une fleur blanche fleurit. Un cheval galope vers les cieux.
Voix parlée d’homme farouche : « Allah garantit la victoire à ses soldats, qui lui vouent leur vie et qui vont jusqu’au bout de leur vœu en quête d’une gloire resplendissante. »
Un enfant jette une pierre contre une vitre, à travers laquelle on voit la mosquée al Aqsa et on entend la voix parlé de l’homme farouche qui récite un poème sur fond musical triomphal, percussions, trompettes :
« Paix sur Al Aqsa ! Je rougis d’être en train de dire des poèmes, en lieu et place du martyre. Paix sur Al Aqsa ! La mosquée sacrée ne nous appelle pas à réciter des poèmes, alors que le sang est plus éloquent. ! Ô, notre chair arabe, Tu deviens méprisable tant que tu n’es pas sur le point d’abandonner l’orgueil humain. Ramasse un pierre comme celle-ci, enfant, et frappe ! Essaie, une fois, de secouer le joug de l’oppression, Essaie une fois d’être fier de la blessure et du coup (que tu reçois) ; Essaie de te dire une fois ; « J’appartiens à la communauté de (ceux qui versent leur) sang plutôt qu’à celle du pétrole »(?) Que la pierre te donne la vie et te rende plus proche des êtres humains. »
Jérusalem/ La Mecque : l’oscillation entre deux pôles
La Mecque semble avoir été inventée comme une Jérusalem du pauvre. A l’arrivée de l’islam, Jérusalem connue depuis la plus haute antiquité, disposait de vestiges, de monuments, de sanctuaires, de témoignages écrits. Sa richesse relative en faisait une cité convoitée (notamment pour son trésor du Mont du Temple), son inscription réelle dans l’Histoire n’avait jamais fait débat. Il n’en va pas de même de La Mecque dont l’existence au VIIe siècle n’est pas documentée, et qui n’a pas révélé, depuis, le moindre vestige[16]. Selon la tradition musulmane, la première orientation de la prière («qibla») pointait vers Jérusalem. Cela irait dans le sens de l’hypothèse qui fait d’un lectionnaire judéo-nazaréen, écrit par des exilés de la ville désireux de la reconquérir, la matrice du Coran (cf. plus haut). Mais, d’après la Tradition[17], alors qu’il priait à Médine[18], le Prophète reçut une nouvelle injonction d’Allah: il fallait désormais se tourner vers la Kaaba de La Mecque.
Le Coran rend compte du changement :« Les faibles d’esprit parmi les gens vont dire : « Qui les a détournés de la direction (qibla) vers laquelle ils s’orientaient auparavant ? » – Dis : « C’est à Dieu qu’appartiennent le Levant et le Couchant. Il guide qui Il veut vers un droit chemin ». Et aussi Nous avons fait de vous une communauté de justes pour que vous soyez témoins aux gens, comme le Messager sera témoin à vous. Et Nous n’avions établi la direction (qibla) vers laquelle tu te tournais que pour savoir qui suit le Messager et qui s’en retourne sur ses talons. C’était un changement difficile, mais pas pour ceux que Dieu guide. Et ce n’est pas Dieu qui vous fera perdre [la récompense de] votre foi, car Dieu, certes est Compatissant et Miséricordieux pour les hommes. Certes nous te voyons tourner le visage en tous sens dans le ciel. Nous te faisons donc orienter vers une direction dont tu seras satisfait. Tourne donc ton visage vers la Mosquée sacrée. Où que vous soyez, tournez-y vos visages. Certes, ceux à qui le Livre a été donné savent bien que c’est la Vérité venue de leur Seigneur. Et Dieu n’est pas inattentif à ce qu’ils font.» (2, 142-145). Le changement noté dans ces versets ne précise pas quelle était la première direction, ni quelle est la « Mosquée sacrée« vers laquelle se tourner désormais ; l’exégèse décrète, seule, que c’est la Kaaba. Allah aurait donc subitement changé d’avis uniquement pour confondre ceux qui ne suivent pas le Prophète, avec un châtiment à la clef. Il est curieux que, pour attester de cette «Vérité», on se réfère ici à «ceux à qui le Livre a été donné» (chrétiens et juifs condamnés par Allah à l’exécration, à l’extermination et à l’enfer ailleurs dans le Coran[19]). Tout cela est bien confus… ou recomposé de bric et de broc.
La ville du Jugement dernier
De même que, d’après le Coran, c’est Jésus et non Mahomet qui reviendra pour présider au Jugement dernier, d’après la tradition musulmane… c’est à Jérusalem que l’évènement aura lieu et non à La Mecque selon nombre de hadiths et de tafsir.[20] C’est la raison pour laquelle être enterré à Jérusalem à proximité de la Mosquée A-Aqsa passe pour une source de bénédiction[21].
Curieusement, Jérusalem est considérée, pour les musulmans, comme la ville du Jugement dernier, la «qibla» ultime tournerait donc à nouveau dans sa direction à la fin des temps. Adam donne l’exemple : il aurait été enterré dans une caverne à La Mecque et sa dépouille aurait ensuite été transférée à Jérusalem.[22]
La ville de Sion et le sionisme
Sion est à la fois le nom d’une colline de Jérusalem et, par métonymie, une façon de désigner Jérusalem et le peuple juif en entier. Le mouvement qu’on appela « sioniste » (1890) commença à prendre forme à la fin du XIXe siècle, au moment où la montée des nationalismes accentuait le climat d’insécurité ressenti par les juifs dans beaucoup de pays. Dès 1836, un rabbin prussien avait pris contact avec des banquiers, les Rothschild (à Paris) et les Montefiore (à Londres), les priant de financer une nation juive. En 1862, Moses Hess ( un proche de Karl Marx), dans Rome et Jérusalem, la dernière question nationale, avançait que la solution serait de créer une société juive indépendante et socialiste en Palestine, alors sous domination ottomane. La vague de pogroms en Russie (1881-1884, puis 1903-1906), inspira parmi les juifs russes, le mouvement« les Amants de Sion » dont le but était d’implanter des colonies agricoles juives en Palestine. En 1883, la première immigration («aliyah») de juifs issus de la diaspora arriva en Palestine, suivie par d’autres (Russe, Perses, Yéménites…) dont la majorité s’installa à Jérusalem. En 1897, à l’issue du premier congrès sioniste à Bâle, Theodor Hetzl, confiait à son journal : « L’Etat, c’est moi (…). A Bâle, j’ai fondé l’Etat juif. »[23][24] Cela fit plus qu’alerter les « Familles », ces notables musulmans qui exerçaient leur influence depuis des siècles à Jérusalem. Tandis que leur nationalisme arabe les poussait à vouloir se défaire du joug ottoman, quitte à s’allier aux intérêts britanniques, ils voyaient aussi d’un mauvais œil l’arrivée des sionistes. Cependant, ils ne rechignaient pas à leur vendre des terres qu’ils possédaient en abondance et dont les revenus agricoles ne les intéressaient pas vraiment.
Après la défaite ottomane de 1918, la Palestine passa sous occupation militaire britannique. Jérusalem tomba sous l’offensive du général Allenby, offrant, suivant l’expression du premier ministre, Lloyd George, «un cadeau de Noël à la nation britannique».
Haj Amin al-Husseini et les pogroms
Issu d’une des deux « Familles » arabes qui, quel que soit le régime, exerçaient depuis des siècles les fonctions les plus importantes à Jérusalem, Haj Amin al-Husseini attisa la haine de la foule musulmane contre les juifs. En avril 1920, Jérusalem devint un champ de bataille aux cris de « La Palestine est notre pays ! Les juifs sont nos chiens ! Massacrez les juifs !»
Une manifestation anti-sioniste à la Porte de Damas de Jérusalem, mars 1920.
En 1929, de semblables pogroms éclatèrent à Hébron et Safed. Pour soulever la colère arabe, Haj Amin al-Husseini ne cessait de marteler que « L’objectif des Juifs est de s’emparer progressivement de la mosquée d’Al-Aqsa»[25]. Une véritable révolte arabe eut lieu entre 1936 et 1945, doublée d’une guerre civile entre les Arabes eux-mêmes. Husseini fit assassiner nombre de ses compatriotes de Jérusalem parmi les plus modérés. Les Britanniques, après l’avoir condamné à la prison par contumace, avaient jugé habile de le nommer Grand Mufti de Jérusalem en 1921. Cela ne fit que conforter sa stature internationale, qu’il mit au service du régime nazi.
Jérusalem et le palestinisme
Lors de la Guerre des 6 jours, les Israéliens l’avaient emporté à Jérusalem, « l’objectif le plus difficile et le plus convoité de la guerre »(6-7 juin 1967)[26]. La décision des vainqueurs qui dessinait une ligne de partage avec les Jordaniens vaincus, leur attribuait l’Esplanade des mosquées à administrer, et interdisait aux juifs de venir y prier, ne constitua pas un socle suffisant pour établir la paix, contrairement à ce qu’avait espéré Moshe Dayan.[27]
Né au Caire[28], bien qu’il ait toujours prétendu être «palestinien», Yasser Arafat avait créé le Fatah en 1959. Dix ans plus tard, il parvint à la tête de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). A ce titre, il ne cessa de revendiquer l’établissement de l’État de Palestine et de réclamer Jérusalem pour capitale. Il entendait par « Palestine » non seulement des territoires dits «palestiniens» (la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est) mais le territoire géographique de l’actuel Israël. En 1993, aux accords d’Oslo, négociés après l’échec de la Première « Intifada« (« soulèvement« ), l’OLP reconnut le droit d’Israël d’exister et Israël reconnut L’OLP comme représentant légitime du «peuple palestinien». Arafat partagea alors avec Shimon Peres le prix Nobel de la Paix. Cependant, il continua à nier obstinément l’antériorité des juifs par rapport aux Arabes sur ces territoires, comme ce fut le cas lors du sommet de Camp David en 2000.[29]
Le H.A.M.A.S (« Mouvement de résistance islamique« ), fondé en 1987 comme une alternative à l’OLP, qu’il juge trop laïque et trop conciliant avec Israël, est issu de la branche palestinienne des Frères musulmans. Il se réclame d’une obédience islamiste sunnite et prône le djihad contre Israël, en vue de l’établissement d’un État palestinien islamique. En 2006, le Hamas a remporté les élections législatives palestiniennes, et il contrôlait depuis 2007 la bande de Gaza, après un conflit violent avec le Fatah, l’autre grand parti palestinien. Le H.A.M.A.S. appelle, entre autres, à la «libération de Jérusalem» de ce qu’il considère comme une occupation israélienne.
A cela, Benjamin Netanyahou, premier ministre d’Israël, répondait dans un discours prononcé à Washington en 2010 : « Le peuple juif a construit Jérusalem depuis 3000 ans, et le peuple juif construit Jérusalem aujourd’hui. Jérusalem n’est pas une colonie. C’est notre capitale.»
https://youtu.be/-xW2-blopaI
En conclusion, la situation de Jérusalem, en raison même de son rayonnement, en fait à la fois un phare et un trophée de guerre pour une bonne part de l’humanité. Parmi tous les conquérants qui y triomphèrent et durent s’en retourner, les musulmans semblent les moins susceptibles de s’en déprendre avant longtemps, qu’ils aient été vaincus par les armes ou contraints à des négociations en vue de la paix. Depuis la création de l’état d’Israël, Jérusalem a été offerte en partage : l’ouest cédant à l’est un morceau de son territoire. Or l’Histoire offre bien peu d’exemples d’une paix durable fondée sur le partage d’une ville en deux. A Jérusalem, dit-on, lors du fameux «jugement de Salomon», un enfant était réclamé par deux femmes qui, toutes deux, se disaient sa mère. Le roi fit mine de trancher le litige en annonçant qu’il allait couper l’enfant en deux… afin de faire jaillir le cri d’horreur de la vraie mère, celui du véritable amour. Alors Salomon se garda de tuer l’enfant et le lui remit. Qui aime vraiment Jérusalem ? Qui veut juste s’en servir ?
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[1] David BELHASSEM, in Sami ALDEEB,“Jérusalem“, Confidences 6, 15/07/2018. https://youtu.be/97jI4ykb7gg
[2] La stèle de Mésah, découverte en 1868, se trouve au musée du Louvre. L’examen récent au moyen de la technologie RTI( Reflectance Transformation Image) vient confirmer cette hypothèse. https://www.infochretienne.com/articles/archeologie-confirmation-dune-inscription-mentionnant-le-roi-david-sur-une-stele-antique/
[3] Simon SEBAG, Jérusalem, Biographie, traduit de l’anglais par Raymond CLARINARD et Isabelle TAUDIERE, Calman-Lévy, 2111, p. 16.
[4] Ibid.
[5] Judéo-nazaréens : des juifs qui reconnaissaient Jésus comme le Messie mais pas comme fils de Dieu, donc mi-juifs, mi-chrétiens, ni juifs, ni chrétiens.
[6] Édouard-Marie GALLEZ, un chercheur et théologien français. a développé cette théorie dans sa thèse de doctorat en théologie intitulée « Le Messie et son Prophète », publiée en 2005 aux Editions de Paris.
[7] Les souverains omeyyades (661-750) régnaient sur la Grande Syrie qui comprenait Jérusalem, tandis que AbdAllah Ibn Zubayr, leur rival, contrôlait La Mecque.
[8] A la fin du IXe siècle, Al-Yaʿqūbī dans son Ta’rikh ibn Wadih («Histoire du monde») rapporte que le Dôme du Rocher à Jérusalem aurait été envisagé comme un substitut à la Kaaba de La Mecque pour le pèlerinage musulman, à une époque où La Mecque était contrôlée par l’anti-calife al-Zubayr.
[9] Agathe RABIER, « Allah est-il à la hauteur ? », in Résistance républicaine, 26/06/2024. https://resistancerepublicaine.com/2024/06/26/allah-est-il-a-la-hauteur-pas-du-tout/
[10] François DEROCHE, «Jérusalem», in Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohammad AMIR-MOEZZI, Robert Laffont, Paris, 2007, p. 437.
[11] Ce texte juif ancien (1er ou 2e siècle), fut rédigé en slavon ; on y voit Abraham atteindre le Temple céleste guidé par l’ange Yahoël. Il lui est donné de voir l’avenir du peuple juif, notamment la destruction du Temple, exemple de prophétie a posteriori.
[12] Agathe RABIER, « M.H.M.D. : y a-t-il quelqu’un derrière les 4 lettres de… Mahomet ? », in Résistance républicaine, 16/03/2024. https://resistancerepublicaine.com/2024/03/16/m-h-m-d-y-a-t-il-quelquun-derriere-ces-4-lettres/
[13] Près de la Kaaba, dans la Mosquée de La Mecque, on vient voir l’empreinte du pied du prophète Abraham (Ibrahim) laissée lorsqu’il construisait la Kaaba avec son fils Ismaël.
[14] Ce serait l’empreinte laissée par Jésus, après sa résurrection lors de son Ascension à partir du Mont des Oliviers.
[15] Dès lors, le Mont du Temple est appelé par les musulmans «Haram al Sharif» (« le Noble sanctuaire »), l’appellation courante « Esplanade des mosquées » est impropre puisque le Dôme du Rocher n’est pas une mosquée.
[16] Agathe RABIER, « La Mecque : un mirage hors d’atteinte de l’Histoire ? », in Résistance républicaine, 05/08/2024. https://resistancerepublicaine.com/2024/08/05/la-mecque-un-mirage-hors-datteinte-de-lhistoire/
[17] Prétendûment en 624, au moment de la rupture entre Mahomet et la communauté juive de Médine.
[18] Dans la mosquée dite désormais «des deux qiblas» (« Masjid al-Qiblatayn »).
[19] Agathe RABIER, « Ô « Gens du Livre », savez-vous ce que l’islam dit de vous ? », in Résistance républicaine, 02/07/2024. https://resistancerepublicaine.com/2024/07/02/o-gens-du-livre-savez-vous-ce-que-lislam-dit-de-vous/
[20]Ibn KATHIR dans al-Bidaya wa al-Nihaya évoque Jérusalem comme un point central des événements de la fin des temps. Des « Isra’iliyyat » (récits d’origine juive/chrétienne intégrés dans l’exégèse du Coran (tafsir) annoncent que le trône de Dieu descendra sur Jérusalem).
[21] Mohammed Hocine BENKHEIRA, « Enceinte sacrée », in Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 252. A Jérusalem, le cimetière de Bab al-Rahma (de la «Porte de la Miséricorde») est le meilleur emplacement, le long du mur est de l’Esplanade des Mosquées, entre la Porte de la Miséricorde («Bab al-Rahma») et le Mont des Oliviers.
[22] Morgan GUIRAUD, « Adam », in Dictionnaire du Coran, op.cit., p. 25.
[23] Cité par Simon SEBAG, Jérusalem, biographie, op.cit. , p. 447. Hertzl ajoutait «Si je disais cela aujourd’hui à haute voix, je déclencherais un rire universel. D’ici cinq ans peut-être, cinquante ans sûrement, chacun le comprendra.», op. cit., p.447.
[24] La police secrète du tsar commanda un texte falsifié censé être une transcription du congrès de Bâle : Les Protocoles des Sages de Sion. Publié en 1903, ce texte prétendait révéler un complot juif à l’échelle mondiale, afin de déconsidérer les révolutionnaires juifs opposés au tsar. Il était promis à un avenir durable.
[25] Simon SEBAG, Jérusalem, biographie, op. cit. p. 520.
[26] Ibid, p. 590.
[27] Moshe Dayan déclara : « Nous avons réunifié la ville, la capitale d’Israël, qui ne sera plus jamais divisée. ». « A nos voisins arabes, et à tous les peuples de toutes confessions, Israël tend la main de la paix, nous garantissons une entière liberté de culte. Nous ne sommes pas venus conquérir les Lieux saints des autres, mais vivre avec les autres en harmonie. », cité in Simon SEBAG, Jérusalem, biographie, op. cit. p. 591.
[28] La découverte de son certificat de naissance et d’autres documents de l’Université du Caire ont conclu le débat sur son lieu de naissance (même son biographe attitré, Alan Hart, admit qu’il était né au Caire dans Zionism: The Real Enemy of the Jews, vol. 3, Clarity Press, 13/08/2010. )
[29] En octobre 1996, dans une interview au journal israélien Maariv, Arafat, prix Nobel (!) aurait déclaré : « Ce n’est pas du tout le mur des Lamentations, mais un sanctuaire musulman » . En décembre 1996, Arafat aurait affirmé que « Abraham n’était pas juif, pas plus que c’était un hébreu, mais il était tout simplement irakien. Les Juifs n’ont aucun droit de prétendre disposer d’une synagogue dans la tombe des patriarches à Hébron, lieu où est inhumé Abraham. Le bâtiment tout entier devrait être une mosquée » . Lors du sommet de Camp David II en 2000, selon les récits de négociateurs américains, Arafat aurait soutenu que le Temple de Salomon n’était pas situé à Jérusalem mais à Naplouse, en Cisjordanie .
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Merci Agathe pour vos prestations empreintes de connaissances et d’érudition. L’immensité du dossier empêche beaucoup certains lecteurs d’entrer profondément dans »l’histoire », mais elle est toujours marquée par »la religion ». Pour certains une approche biblique peut apparaitre comme importante! Elle émane dans cette vidéo d’un conférencier Suisse originaire de Zurich (d’où ce phrasé typique): Roger LIEBI évangéliste je pense. Ce qui est intéressant ,c’est l’éclairage établi entre les événements et la prophétie biblique que ce monsieur connait sur »le bout du pouce »
expl: La promesse faites à Abraham (1600ans av JC) de la »terre promise »
https://www.youtube.com/watch?v=3jV6K6Lvapg