Benjamin STORA, un historien au-dessus de tout soupçon ?

Benjamin Stora

Ci-dessous est remise en question  la véritable idéologie historique de B. Stora prétendument historien impartial dans le débat en cours !
Nous pouvons en juger à l’issue de la lecture de l’article du cinéaste  J.P. Lledo ci-dessous.
Juvénal

J’ai dit par ailleurs1 ce que je pensais de la lamentable prestation de l’historien Stora s’en prenant dans une chaîne publique française à l’écrivain algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis le 16 novembre 2024. Ce qui lui a aussitôt valu d’être le héros des réseaux sociaux amorcés par les services de sécurité algériens…

Je n’ai pas eu ouï-dire qu’il ait dénoncé ni les auteurs de ces tweets. Et de Stora qui, pour qualifier les propos de Sansal, s’était fendu aussitôt d’un « ça blesse le sentiment national ! », nous ne savons toujours pas si son propre « sentiment national » avait été blessé par les récents propos du président Tebboune2, indignes d’un Chef d’État, contre la France et contre Sansal :

« Voilà, un voleur dont l’identité et le père sont inconnus, qui ose dire qu’une partie de l’Algérie était la propriété d’un autre pays ».

Ce comportement serait-il un lapsus, ou trahit-il au contraire l’extrême proximité de l’historien avec les narratifs algériens sur la guerre d’Algérie, et la colonisation ? Sans prétendre à l’exhaustivité, mon propos s’appuiera sur ce que j’ai pu lire ou entendre de Stora.

LA GUERRE DES MÉMOIRES.

Ça c’est vraiment le dada de Benjamin Stora… Il y aurait diverses mémoires meurtries, celles des Arabes, des Pieds-noirs et des Juifs. Il suffirait de quelques gestes symboliques pour les apaiser, d’où la trentaine de « préconisations » de son Rapport à Macron.

Or, pour avoir réalisé et préparé durant plus d’une année, chaque fois, deux longs métrages documentaires 3, et dans ce but rencontré en France et en Algérie des centaines d’Arabes, indépendantistes ou harkis, de Kabyles, de Pieds-Noirs, de Juifs, je puis affirmer que pour tous les évènements les plus meurtriers (en 1945, 1955 et 1962), les récits des témoins actifs ou passifs des différentes communautés, assaillants ou assaillis, concordaient pour l’essentiel. Et quand ils se rencontrent, ils ont encore les mêmes souvenirs. Il faudrait d’ailleurs distinguer entre la mémoire intacte des simples gens, et celle formatée des gens de pouvoir.

Les mémoires des uns et des autres, avant qu’ils ne disparaissent, étaient prêtes à se dire. Mais la France coloniale cherchant à se déculpabiliser sur le dos de la population européenne, refusa de l’écouter, et quand elle y était obligée, en la délégitimant à priori. De son côté l’Algérie officielle se garda bien de livrer la mémoire des siens, même de ceux qui avaient eu le « beau » rôle.

« De ce silence est né un trou de mémoire. »4. Faux M. Stora ! Quasi annuellement était organisé à Alger un Colloque pour l’écriture de « l’histoire de la guerre de libération ». Mais rien n’en sortit jamais. « Les Algériens qui ont combattu pour l’indépendance ont eu du mal à transmettre cette histoire. »5. Quel euphémisme complice pour masquer la vraie raison : l’Algérie indépendante repose sur un récit fondateur mythifié. Tout le monde sait aujourd’hui que l’écriture de l’histoire a besoin de démocratie, de liberté d’opinions, de débats et avant tout d’un accès libre aux archives. Sans cela point d’histoire vraie. Juste un narratif visant à légitimer un pouvoir dictatorial. Et l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal n’en est que le plus récent des avatars.

 

MANIPULATIONS

Dès lors qu’à l’encontre des faits l’on opte pour l’idéologie, et celle de Stora se veut « anticoloniale », il n’est point d’autre issue que manipuler l’histoire. Petit aperçu de quelques-uns de ses procédés.

Mensonges par omission.

Le grand musicien juif Raymond Leyris est « abattu par un Algérien musulman »6. Par un déséquilibré dirait-on aujourd’hui. Mais cet assassinat par qui aurait-il pu être commandité, sinon par la direction du FLN, et ce au plus haut niveau ? Stora se garde bien de l’écrire. Pourquoi ? Parti pris idéologique ou affectif ? Il serait pourtant étonnant que Stora, qui est retourné de multiples fois en Algérie, n’ait jamais remarqué dans cette rue principale de Constantine que Raymond Leyris ne figurait pas aux côtés des immenses portraits de grands musiciens de l’andalou. Après le meurtre, l’effacement des traces… C’est bien connu, sauf de Stora.

Août 1934, 25 Juifs constantinois sont assassinés et mutilés. L’instituteur juif Robert Attal décrit parfaitement la réalisation de ce terrible pogrom dûment préparé depuis plusieurs jours par les nationalistes, avec la participation du dirigeant islamique « modéré » Ben Badis. Mais Stora préfère ignorer son récit autant capital qu’unique7. Évidemment, puisqu’il contredit totalement sa version selon laquelle le pogrom résulterait d’une manipulation… du maire « d’extrême-droite » .

Atténuation/Aggravation.

Quand la France est fautive, M. Stora aggrave. Quand ce sont les Algériens, il atténue.

Stora s’étale sur l’antisémitisme de « la plupart des Européens », à l’époque de Vichy. La plupart ? Quid alors de tous ceux qui comme mon père furent jetés dans des bagnes du grand sud algérien ? Bab el Oued, pour ne citer que cet exemple était un fief communiste. Une telle généralisation à l’encontre des Arabes aurait été « essentialiser » et donc raciste. Pourtant ces derniers eurent aussi leurs nazis, au Moyen Orient cela est bien connu, mais aussi en Algérie. Mohammédi Said qui deviendra plus tard ministre, ne fut pas le seul Algérien à s’engager dans la Waffen SS. Ne rien dire de la judéophobie musulmane, pas seulement politique mais aussi populaire, est soit un parti pris idéologique, soit une ignorance de la société algérienne profonde. Dans la partie constantinoise de mon avant-dernier film, le patron du hammam Degoudj à qui l’on demande si les Juifs et les Arabes se baignaient ensemble, répond :

« Non, y avait des heures différentes, pour les uns et les autres », puis, comme si cela allait de soi, ajoute : « Vous comprenez, les Juifs ont une odeur… ».

8 mai 45.

« À Sétif, la police tire sur les manifestants algériens. Ces derniers ripostent en s’attaquant aux policiers et aux Européens. C’est le début d’un soulèvement spontané, à La Fayette, Chevreuil, Kherrata, Oued Marsa… »8.

Spontané ! Cela a été écrit en 2006, mais répété à France 24 en 2022 9 ! Tous les historiens sérieux, même ceux qui se veulent « anticolonialistes » parlent d’une insurrection et non d’un soulèvement, préparé depuis des mois, et qui devait déboucher sur la proclamation d’un Gouvernement algérien provisoire et l’envoi d’une délégation à San Francisco où se tenait une conférence préparant la création de l’ONU. M. Stora, vous qui avez maintes fois dit toute la dette que vous aviez vis-à-vis de l’historien algérien contestataire et ex-dirigeant indépendantiste, Mohamed Harbi, pourquoi avoir occulté ce qu’il avait eu le courage d’écrire 30 ans avant vous, à savoir que :

« l’idée d’une insurrection avait été soumise avant mai 1945 à Messali Hadj par le Dr Lamine et Asselah. Le 14 avril 1945, les responsables du PPA en discutent à Constantine… ».10

Pour avoir enquêté et filmé à propos de ces événements de mai 45, à Chevreul (et non « Chevreuil » M. Stora) je peux attester, rushes à l’appui 11, que tous les militants octogénaires interrogés témoignèrent de réunions où on leur demanda de se préparer à l’insurrection, avec toutes les armes disponibles, dès que le coup d’envoi serait donné. Et il fut donné de différentes manières :

« On nous a dit que les Juifs étaient en train de nous massacrer », nous livra par exemple un éleveur qui à l’époque avait 18 ans…

Les chiffres des victimes musulmanes de mai 45.

Ils sont l’objet des plus grandes manipulations en Algérie (45 000 morts en 1945, 80 000 en 1980… voire 100 000 plus tard). Pourtant si l’Algérie avait voulu connaître la vérité, rien n’eût été plus facile que d’inclure dans les 5 ou 6 recensements, une question relative aux proches tués durant toutes les luttes pour l’indépendance. Rappelons que la Commission Tubert (un général de gauche qui se présenta sur une liste du parti communiste) arriva après enquête, quelques semaines après ces évènements, au chiffre de 4000 tués. Mais qu’en est-il de Stora ? Un ami qui s’intéresse à cette période, me communique les données suivantes. Pour le 70ᵉ anniversaire de cet évènement, en 2015, Stora parle le 28 avril sur France-Culture de 7 000 à 8 000 tués. Quelques jours après, dans Le Monde du 5 mai, le double : 15 000. Et quelques mois plus tard, en septembre, dans Les mots de la guerre d’Algérie 12, 20 000. En 5 mois, le chiffrage a triplé. Sans la moindre justification. Une telle désinvolture, une telle liberté avec les faits, ne vous classent-elles pas parmi les historiens de l’à-peu-près ?

Ayant filmé dans une région qui fut l’une des plus insurrectionnelles, et notamment le triangle Chevreul (aujourd’hui Béni Aziz) – Sillègue – Périgotville (aujourd’hui Ain El Kébira), j’ai pu compter sur le Monument aux morts de Chevreul les noms de 120 tués. Quant aux deux autres villages, j’obtins des autorités municipales les chiffres de 25 et de 65 tués. 205 en tout. Même si nous multiplions par deux et généralisons à la dizaine de foyers de rébellion, nous sommes plus près des 4000 victimes que des 45 000 de l’État algérien, ou des 20 000 de Stora.

J’ajouterai que tous les villageois que j’interrogeai sur la répression de l’armée française, évoquèrent les « Sénégalais » et les « Tabors » (marocains). Leur seule évocation terrorisait encore…

L’ÉPURATION ETHNIQUE.

S’il y a bien un impensé total chez Stora, c’est bien celui-là. Quand il évoque les « massacres » c’est toujours pour rester au niveau quantitatif, mettre en valeur la disproportion entre les tués européens et arabes, jamais pour s’élever au niveau du qualitatif, jamais pour souligner que les tueries à l’initiative des nationalistes, qui s’accompagnent de cruautés sans nom : viols, décapitations, mutilations, démembrement, ne sont pas gratuites, mais ont pour objectif principal de terroriser et de faire partir les non-musulmans d’Algérie, ainsi que l’énonce fièrement l’un des assaillants FLN du village minier d’El Halia en 1955, à qui ses chefs avaient donné l’ordre de n’épargner personne, ni même les enfants.

Un peu comme ceux qui aujourd’hui mettent en avant le nombre (hyper gonflé) de morts arabes à Gaza, pour faire oublier que le 7 octobre 2023, les hordes du hamas avaient organisé un massacre à visée génocidaire afin de signifier aux Juifs qu’ils n’avaient aucun droit sur cet endroit de la terre, et qu’ils devaient en déguerpir le plus vite possible.

Si mon film a été interdit en Algérie, c’est bien parce qu’il ressortait de ses quatre parties que la guerre menée par le FLN ne visait pas seulement la « libération » mais aussi l’épuration des non-musulmans. Et Stora, bien que Juif et victime de cette épuration, avec ses parents et sa communauté, n’a jamais osé et n’osera le dire, encore moins l’écrire. Ce qui explique son trouble et son énervement lorsque, durant des débats, on lui demande pourquoi ses parents ont quitté l’Algérie. À ce moment, il se met en colère et s’en va en disant :

« Mes parents aimaient la France, la France est partie, alors ils ont suivi la France ! ».

C’est ce que j’entendis et vis lors d’un débat organisé (contre mon film) par l’association Coup de Soleil à l’Hôtel de ville de Paris, le 26 mai 200813. Mais un ami de Toulouse me dit qu’à la même question, Stora répondit pareillement et s’en alla aussi en colère !

De plus, jamais Stora ne dit que toutes les insurrections « nationalistes » baignaient dans le religieux et dans les slogans du genre « Djihad fi Sabil Illah » (Combat sacré pour la Cause de Dieu), « Nkatlou Gouar », « Nkatlou Nsara », « Nkatlou Yahoud », (Tuons les Infidèles, Tuons les Chrétiens, Tuons les Juifs). Et le djihad, commandement islamique majeur, si Stora l’ignore encore, vise à instaurer Dar Islam (la Maison de l’islam)

Jamais Stora n’interroge la pensée nationaliste et/ou islamique, ni la stratégie du FLN-ALN durant la guerre. Jamais il ne cite les propos de chefs nationalistes pourtant sans ambiguïté, comme ceux prononcés devant les étudiants algériens de Paris au début des années 50 :

« Avec un million d’Européens, l’Algérie serait ingouvernable ! » (Bélaïd Abdeslem, futur ministre de l’Industrie de Boumédiène)14.

Ou bien:

« L’Algérie, n’est pas un manteau d’Arlequin » (Réda Malek, négociateur des Accords d’Evian et futur 1ᵉʳ Ministre dans les années 90).

Quant aux textes du FLN rassurant les non-musulmans, jamais Stora ne dit qu’ils ne sont que Taqya, pour l’international :

« Ces textes sont purement tactiques. Il n’est pas question qu’après l’indépendance, des Juifs ou des Européens soient membres d’un gouvernement algérien. », dixit Ben Tobbal à des militants situés au Maroc 15.

Qu’il est loin l’élève de son Maître Mohamed Harbi, lequel en 2004, tenait les propos suivants :

« Le nationalisme a pensé la nation en oblitérant la diversité des groupes humains qu’il se proposait de rassembler sous le sceau d’une identité unique… Sans l’exode massif des Européens, je doute fort que la nationalité algérienne se serait construite à partir de l’ascendance musulmane comme cela a été fait dans le Code de la Nationalité en 1963… »16.

Stora, lui, préfère la fable de la convivencia, devenue la tarte à la crème des révisionnistes : ce serait le décret Crémieux de septembre 1870 donnant la nationalité française automatiquement aux Juifs d’Algérie qui les auraient voués à « un premier exil « , celui qui les a séparés des musulmans.17 Pourquoi, avant l’arrivée de la France, juifs et musulmans vivaient en parfaite symbiose et en toute égalité ? Pour découvrir ce que fut véritablement cette convivencia, Stora n’aurait pourtant qu’à se plonger dans les 800 pages de témoignages de « L’Exil au Maghreb – La condition juive dans l’Islam (1148-1912) »18.

S’ÉMANCIPER DU NARRATIF DE L’ÉTAT ALGÉRIEN SUR LA COLONISATION

Je considère que le principal obstacle à la réconciliation franco-algérienne réside dans ce narratif historique mensonger duquel le discours officiel français s’est tellement rapproché qu’il en est devenu quasiment le calque, le jour de cette année 2017 où, d’Alger le président de la République Macron qualifia la colonisation de « crime contre l’humanité ».19

Ne pas s’interroger à son sujet, ne pas le remettre en question conduira à reproduire sans fin les ressentiments des uns et des autres. Cette remise en question ne pourra être le fait d’historiens officiels adoubés par les deux États. Indépendance des historiens, liberté de pensée, accès libre aux archives algériennes et françaises, sont des préalables absolus.

Tant que l’État algérien restera totalitaire, tant que les Archives FLN-ALN ne seront pas libérées, tant qu’il ne sera pas possible de remettre en question les dogmes du nationalisme algérien, concernant la guerre d’Algérie, la colonisation et l’identité nationale, ce narratif ne pourra jamais changer car il est le socle même de l’État algérien depuis 60 ans. Sans ce ciment-là, il s’effondre. Lors de son récent « Discours à la nation », le président Tebboune a repris tous les poncifs de l’inamovible narratif officiel algérien et il n’est pas étonnant que l’emprisonnement de l’écrivain Boualem Sansal en ait été le prétexte 20.

Examinons brièvement ces narratifs… Mais avant une question, M. Stora. Vous dont les parents ont tant aimé la France, ce discours de Tebboune aurait-il blessé votre « sentiment national » ?

« La France a colonisé l’Algérie ».

Le problème, c’est que l’Algérie… n’existait ni comme nation, ni comme pays autonome. En 1830, la France s’empare d’une dépendance ottomane qui depuis 3 siècles administrait un ensemble de tribus dont seules les confréries religieuses atténuaient les conflits. L’échec de la résistance de l’Émir Abdelkader s’explique précisément par l’inexistence d’une réalité nationale, à fortiori d’un sentiment national.

Mais au fait, pourquoi ne pas aussi « Considérer la présence turque en Algérie comme une colonisation », interroge courageusement une nouvelle historienne algérienne (vivant en France), Abla Gheziel21.

Le droit d’user du concept de « colonisation » n’impose-t-il pas préalablement d’en préciser le contenu ? S’il s’agit de la prise d’un territoire par une puissance étrangère, pourquoi seule l’Europe serait-elle « coloniale » ? L’empire islamique qui s’est fondé sur trois continents, sur la traite des Noirs, et une centaine de millions de morts, pourquoi ne partagerait-il pas ce privilège ?

« La colonisation prend racine dans la colonisabilité. Là où un peuple n’est pas colonisable, la colonisation ne peut s’établir sur son sol. »22.

Malek Bennabi (1905-1973), ce spécialiste algérien en civilisation islamique eut le courage d’avancer cette idée en 1951, en notant que les affrontements entre puissances d’égales forces n’avaient jamais pour conséquence la colonisation. Cela déplut fort aux communistes qui idéalisaient « les peuples » et plus encore aux nationalistes qui se sont toujours refusés d’expliquer les retards historiques et civilisationnels de leur société par des facteurs endogènes… Plus de 60 ans après l’indépendance, l’impéritie, la corruption, le clanisme, l’autoritarisme, l’indigence culturelle, qui obèrent tout dynamisme social et ôtent tout espoir à une jeunesse qui ne rêve que d’une chose, fuir, toutes ces tares restent toujours des « séquelles du colonialisme » !

Nous préférons, quant à nous, la définition de la colonisation de feu le Président précédent, Bouteflika :

« une intrusion de la modernité par effraction »23.

En effet,d’où sont venues les idées d’indépendance, de république, de nation, de démocratie, de nationalisme, de syndicalisme, de communisme, sinon du pays colonisateur ?

– Qui par le développement des transports et de l’enseignement même dans les endroits les plus reculés, a fait progresser la prise de conscience nationale malgré l’extrême division de l’espace social tribal ?

– Qui, en libérant le khammes24 de sa tutelle seigneuriale ou clanique et en le transformant en ouvrier agricole salarié, en a fait un être capable d’initiatives, y compris indépendantistes ?

– Qui, en substituant au système tribal parcellaire la centralité d’une administration moderne, a posé les bases du futur État algérien ?

– Qui a donné à l’Algérie son nom même et ses frontières actuelles, d’ailleurs aux dépens de la Tunisie et du Maroc, vérité qui coûte à Sansal sa liberté ?

– Qui a créé L’Étoile Nord-Africaine, le premier parti politique algérien d’où sont sortis le PPA, puis le MTLD, et même le FLN, sinon le PCF, et ce à Paris ?

– Dans quelle langue se sont transmises toutes ces nouvelles idées parmi les élites politiques et médiatiques musulmanes ? N’est-ce pas l’écrivain Kateb Yacine qui avait qualifié la langue française de « butin de guerre » ? N’y ont-ils pas puisé les Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Assia Djebbar, ces écrivains d’avant l’indépendance, et ceux encore plus nombreux d’après, parmi lesquels Rachid Boudjedra, Rachid Mimouni, Tahar Djaout, et aujourd’hui Kamel Daoud et Boualem Sansal ?

« La colonisation, un crime contre l’humanité ».

Diaboliser la seule colonisation française n’est-ce pas une manière de jeter un voile pudique sur la colonisation précédente ?

Et puisque juger c’est aussi comparer, si le patrimoine immobilier des Romains est encore visible à l’œil nu, quid des bienfaits de la colonisation ottomane ?

– Quelles villes, quelles universités, quels lycées, quelles écoles primaires, quels hôpitaux, quels barrages, quelles routes ont-ils construits ?

– Quelles maladies ont-ils éradiquées ?

– Quels marais ont-ils asséchés ?

– Quelle société civile ont-ils aidée à naître ?

– Dans cette Assemblée algérienne de 1947, les Arabes avec leurs 60 députés (sur 120) étaient certes sous-représentés, et de ce fait leur citoyenneté diminuée, mais que dire de l’Empire ottoman qui ne traitait qu’avec les chefs de tribus ? !

– Quant à priver la population amazigh (berbère) de sa langue, de sa culture, de sa personnalité, faut-il créditer la conquête arabe d’un bienfait ou d’un méfait ? On pourrait poser mille questions comme celles-ci.

« Méfaits de la colonisation ».

La ségrégation honteuse du Code de l’Indigénat (1881-1945) ? Oui, mais ne s’inspira-t-il pas du Code de la dhimma25 musulmane, dix fois plus discriminatoire ? !

Les « exactions » des soldats français contre les civils ? Oui il y en eut, tant au 19ᵉ qu’au 20ᵉ siècles. De là, à crier au génocide… Un cri à la mode, il est vrai. À la fin de la guerre d’Algérie, le journal du FLN parla d’1 million de victimes (300 000 morts et le reste, des blessés). Par la suite, cela se transforma en 1,5 million de chouhada (martyrs). Et aujourd’hui le président Tebboune vient d’annoncer (pour la première fois) 5,7 millions de morts (l’on suppose pour l’ensemble de la période coloniale), sans même devoir s’en expliquer. 5,7 millions ! Quasiment 6 millions… Comme les Juifs de la Shoah ! Les Français devenant des nazis.

Mais sans jouer à la concurrence victimaire, faudrait-il taire le massacre des Juifs de Mascara par les troupes de l’Émir Abdelkader ? Les 300 prisonniers français qu’elles décapitèrent ? Les massacrés juifs et chrétiens de 1934, 1945, 1955 et de 1962, les milliers de victimes et de mutilés du terrorisme FLN, les massacrés arabes, kabyles, intellectuels, messalistes, communistes, et harkis, et les kidnappés et disparus non-musulmans d’après les Accords de cessez-le-feu, dits d’Evian ?

« La valise ou le cercueil » ne fut-il pas un slogan nationaliste depuis 1945 ?

« La guerre d’indépendance était inévitable ».

C’est sans doute le plus grand mythe produit par les jeunes promoteurs nationalistes de cette guerre qui créeront le FLN. Stora ne l’a jamais interrogé, encore moins désavoué. Le recours à la violence est légitimé par l’impossibilité d’exprimer une contestation. Or depuis la fin de la première guerre mondiale, jusque dans les années cinquante, tous les marqueurs d’une vie politique et associative sont en progression constante. Associations, syndicats, partis, organisations de femmes et de jeunes, sociétés musicales et sportives, journaux, revues, meetings, manifestations, etc, croissent de façon géométrique. À quoi correspondent de plus en plus de lettrés, d’intellectuels, de journalistes, d’écrivains, d’imprimeurs, et d’artistes-peintres, de comédiens, de boxeurs, de cyclistes, d’athlètes… et de dirigeants politiques.

Une telle progression, durant une décennie encore, aurait eu le triple avantage de former une société civile que la guerre détruira, de ménager une sortie pacifique de la colonisation, et sans doute aussi de faire de la nouvelle Algérie, une société multi-ethnique garantissant les droits culturels et cultuels de ses minorités, bien dans ses peaux et en harmonie avec ses voisins,

Au lieu de quoi, nous aurons le FLN qui met fin au pluralisme politique en réalisant un véritable coup d’État contre les autres partis en les obligeant à se dissoudre26, une guerre de plus de 7 ans, des exactions de part et d’autre, 300 000 morts, le massacre des Messalistes et des Harkis, enfin l’exode de plus d’un million de chrétiens, de juifs, et de harkis. Et à peine l’indépendance acquise, une guerre qui n’en finit pas avec les Kabyles qui pour désirer désormais s’autogérer se retrouvent par milliers en prison.

Enfin, cerise sur le gâteau, les militaires au poste de commandement, et ce jusqu’à ce jour. Mais quand on détruit sa propre société civile, à quoi d’autre peut-on s’attendre ?

L’Histoire aux historiens (aux vrais !)

D’autres qui auront le temps, l’envie et la qualification de passer au crible l’ensemble de votre œuvre, M. Stora, auront loisir de nuancer, voire de remettre en cause mes appréciations. En attendant, de ce que je connais de vous, je puis dire qu’en ne remettant pas en cause le récit fondateur du nationalisme algérien et sa matrice arabo-islamico-ethno-centriste vous avez participé à l’écriture d’une histoire mystifiée. Et de ce fait, avez été complice des pouvoirs algérien et français. Je rectifie donc le titre de mon premier article27 : Stora, avocat de l’Algérie, et ambassadeur plénipotentiaire de la France.

Je considère en effet que ces deux États ainsi que leurs dirigeants, contraints par des agendas politiques, sont depuis 1962 le principal obstacle à la réconciliation largement pratiquée par les populations depuis des décennies. Qu’ils cessent d’instrumentaliser l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, et laissent s’en occuper leurs sociétés civiles : l’histoire aux vrais historiens, la mémoire aux citoyens et aux artistes, la réflexion aux intellectuels.

M. Stora, dussiez-vous mieux tenir compte de l’avis de votre ami et mentor, l’historien algérien iconoclaste, M. Mohamed Harbi :

« Je vais vous dire franchement mon opinion : le pouvoir qui est là depuis 1962 n’a aucun intérêt à ce que l’histoire devienne la matrice d’une reconstruction du pays »28.

Ou alors du diagnostic du Président du gouvernement provisoire kabyle en exil, Ferhat Mehenni dans un article qu’il vous consacre :

« Demander à un historien d’apporter des solutions politiques est une erreur de casting… L’historien n’est pas un bricoleur d’éteignoirs de mémoires enflammées »29.

Mais pour terminer, j’aimerais laisser mes lecteurs en compagnie d’un grand homme politique algérien. Le 8 mai 1945, alors qu’il se rend à Alger pour féliciter le gouverneur général pour la victoire des Alliés, il est arrêté. Apprenant dans sa prison, ce qui s’est passé dans la région de Sétif, sa ville natale, et comment Deluca, le Maire de Sétif, son ami, a été assassiné, et son autre ami communiste Albert Denier a eu les bras coupés, il écrit, désespéré, ce qu’il intitule son « Testament politique », texte exhumé par l’historien Charles-Robert Ageron, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’au moment où en 2005, son neveu me l’offrit.

Extraits d’un texte ô combien prophétique de Ferhat Abbas, qui n’a rien perdu de son actualité…

« Paysan, écoute une voix amie. Ceux qui t’ont conseillé la rébellion te trahissent. Ils ont déshonoré tes malheurs. Hier, ils t’ont poussé contre de pauvres Français qui n’étaient pas tes ennemis. En 1934, c’étaient contre les Juifs… Demain ce sera contre d’autres musulmans, contre les Mozabites. Puis les gens de la montagne contre les gens de la plaine. La lutte de tribu à tribu recommencera. La féodalité arabe reprendra tous ses droits et toi tu crèveras sous d’autres privilèges, sous d’autres impôts, sous d’autres arbitraires… Ton affranchissement ne dépend pas de la mort de quelques passants dans la rue, ni du viol, ni du meurtre crapuleux. Laisse cette besogne à la tourbe des gens sans aveu ! »

1 https://www.causeur.fr/benjamin-stora-avocat-de-lalgerie-ou-ambassadeur-plenipotentiaire-de-la-france-298177 et https://mabatim.info/2025/03/31/les-contre-verites-de-benjamin-stora/

2 « Discours à la Nation » du 29 décembre 2024https://www.24hdz.dz/tebboune-replique-a-boualem-sansal-un-voleur-dont-lidentite-et-le-pere-sont-inconnus/

3 « Un Rêve algérien » (2004) et « Algérie, histoires à ne pas dire » – 2007)

4 https://www.liberation.fr/idees-et-debats/benjamin-stora-les-algeriens-qui-ont-combattu-pour-lindependance-ont-eu-du-mal-a-transmettre-cette-histoire-de-ce-silence-est-ne-un-trou-de-memoire-20240911_IEYPT7XDUBFT3DKQTZOY2LLF7M/?redirected=1

5 Ibid.

6 Les 3 exils. Page 135. Stora. Editions Stock. Et il en est de même, comme on l’a vu au début, dans son livre « Histoire des relations entre juifs et musulmans, des origines à nos jours ». Albin Michel.

7 « Les Émeutes de Constantine. 5 août 1934 » – Robert Attal. Éditions ROMILLAT. 212 pages.

8 Trois Exils. Page 113. Stora. Editions StocK/

9 https://www.france24.com/fr/%C3 %A9missions/l-entretien/20220506-benjamin-stora-les-massacres-du-8-mai-1945-en-alg%C3 %A9rie-sont-un-marqueur-id%C3 %A9ologique-fort

10 « Aux origines du FLN ». Mohamed Harbi. 1975. Éditions Christian Bourgeois. Pages 21 et 110-111.

11 Ayant dû enlever cet épisode de mon film « Algérie, histoires à ne pas dire » pour cause de longueur, j’avais espéré en faire un moyen métrage. Arte refusa le projet. Les Éditions Atlantis ont publié le scénario avec un DVD d’une heure de rushes, et d’autres documents, sous le titre de « Grand-Père a tué deux colons ».

12 Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2005.

13 En réunissant des historiens tel que Manceron, Harbi, Stora, et le journaliste-faussaire Daum, le président de cette association, Georges Morin (du même parti socialiste que Stora), avait cherché à amortir les ondes de choc provoquées par mon film « Algérie, histoires à ne pas dire »… J’avais accepté d’y participer une fois promis le même temps de parole que mes quatre contradicteurs, ce qui ne me fut finalement pas accordé !

14 Témoignage de l’étudiant juif constantinois André Beckouche, dans une thèse d’histoire de Pierre-Jean Le Foll-Luciani.

15 « Aux origines du FLN ». Mohamed Harbi. 1975. Éditions Christian Bourgeois.

16 Novembre 2004, Dossier El Watan « 50ᵉ anniversaire du début de l’insurrection armée ».

17 Trois Exils. Page 13.

18 L’Exil au Maghreb – La condition juive dans l’Islam (1148-1912) – Paul B. FentonDavid G. Littman – Presses Université Paris-Sorbonne, 2010.

19 Voir ma réponse au Rapport Stora publié en 5 parties dans la Revue Politique et Parlementaire :

20 « Discours à la Nation » du 29 décembre 2024https://www.24hdz.dz/tebboune-replique-a-boualem-sansal-un-voleur-dont-lidentite-et-le-pere-sont-inconnus/

21 https://algeriecultures.com/interviews/les-turcs-regnaient-par-la-force-en-algerie-abla-gheziel-historienne/

22 http://www.cu-relizane.dz/ETD/images/Cours-TD/FR/FR. Master01. DLA. Mr. Medd. BOUDAOUED. Cours. Malek%20Bennabi.S02.pdf

23 Discours de Bouteflika devant le Parlement français, 17-06-2000. « La colonisation, au siècle dernier, nous a ouvert à la modernité, mais c’était une modernité par effraction ».https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/06/17/le-message-de-m-bouteflika_3708111_1819218.html

24 Le khammes : paysan dont le labeur est rétribué en nature.

25 https://dhimmi.watch/

26 Seul le parti communiste arriva à se maintenir, à la condition que ses militants impliqués dans l’ALN, n’aient plus de contact avec leur parti. Le PCA désavoua le terrorisme, mais s’il en avait fait une condition à son soutien au FLN, il est clair qu’il aurait subi le même sort que les messalistes.

27 https://www.causeur.fr/benjamin-stora-avocat-de-lalgerie-ou-ambassadeur-plenipotentiaire-de-la-france-298177

28 Mohamed Harbi : « Les archives de la guerre de libération sont explosives… » – El Watan – 26 mai 2011

29 « Réflexions dans le feu de l’action ». Page 301. Ferhat Mehenni. Editions Fauves.  Source : https://mabatim.info/2025/04/05/benjamin-stora-un-historien-au-dessus-de-tout-soupcon/     

Jean-Pierre Lledo 3 avril 2025

Pcc : Juvénal de Lyon          Liberté pour Boualem SANSAL

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3 Commentaires

  1. STORA, UN HISTORIEN ? PLUTÔT UN RÉVISIONNISTE ALGÉRIEN…. LE FLN VA LUI OFFRIR LA NATIONALITÉ..ALGERIENNE comme citoyen de « déshonneur »!