Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie et grand connaisseur du régime d’Alger, entame une chronique sur Le360. Dans ce premier texte, il nous éclaire sur le contexte de l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal et des «buts de guerre» poursuivis par le pouvoir algérien. Il nous apprend aussi qu’en incarcérant l’écrivain, Alger prend trois otages et envoie trois messages.
Depuis trois mois maintenant, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est emprisonné en Algérie. Il se trouve que je suis probablement le dernier à l’avoir vu, puisque nous avions dîné ensemble la veille de son retour à Alger, le 15 novembre dernier. Boualem semblait être très en forme, il plaisantait, racontait des histoires drôles et évoquait ses projets, puisqu’il comptait s’installer en France pour écrire librement. «La vie est devenue terrible pour moi à Boumerdès, disait-il, je ne vois personne». Il m’avait demandé depuis plusieurs semaines de chercher pour lui une maison pas trop éloignée de Paris, mais pas trop proche non plus, à la campagne; et ce soir-là, je lui avais montré les photos de maisons que j’avais visitées pour lui. Il était très atteint par la polémique créée autour du prix Goncourt attribué à Kamel Daoud.
Depuis le 16 novembre, date de son retour à Alger, Boualem Sansal est donc emprisonné. Évidemment cette arrestation s’inscrit dans un long continuum de la dégradation de la relation franco-algérienne: il y eut d’abord la lettre du 30 juillet 2024, adressée par le Président de la République au Roi du Maroc concernant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, lettre vue comme une trahison de la part de la France; puis la visite d’État du Président de la République à Rabat, fin octobre, au cours de laquelle il a réaffirmé les termes de sa lettre du 30 juillet 2024; enfin l’attribution du Prix Goncourt à Kamel Daoud, autre écrivain franco-algérien dissident qu’Alger a vu sans doute comme une manigance ou une provocation de l’Élysée, imaginant certainement que le jury du Goncourt avait été instrumentalisé par la France, le Maroc et peut-être même par Israël! En un mot, pour Alger, il fallait réagir à ces «provocations» françaises décidées, pensait-on, au plus haut niveau de l’État. L’arrestation de l’écrivain fut donc la réponse algérienne à ce qui était considéré comme d’ultimes provocations françaises.
Il devenait d’autant plus urgent de réagir, du côté algérien, qu’à Paris, la popularité algérienne était au plus bas, hormis chez les parlementaires de La France insoumise: exaspération des Français devant les non-délivrances de laissez-passer consulaires, déclarations fermes du ministre de l’Intérieur vis-à-vis de l’Algérie, et, signe politiquement fort, propagation dans la classe politique française d’un sentiment anti-algérien inédit, dont le ralliement de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal à l’abrogation de l’Accord franco-algérien de 1968 constitue un élément fort.
Que cherche Alger dans ce contexte? Quels sont ses «buts de guerre»? Il est improbable que la France, après avoir proclamé solennellement la reconnaissance du Sahara marocain, fasse aujourd’hui marche arrière. Le combat, pour Alger, est perdu d’avance. Le voyage effectué par la ministre Rachida Dati à Laâyoune à la mi-février, puis celui du Président du Sénat montrent que Paris ne compte pas modifier sa politique, et d’ailleurs Alger ne s’y est pas trompé, compte tenu de sa réaction officielle. Ce que cherche probablement Alger c’est, je pense, une forme de «compensation» politique: de la reconnaissance, une reconnaissance formelle et officielle, davantage de visas, l’assurance, aussi et surtout, que la France fera taire les critiques contre le régime algérien, critiques d’une partie de la classe politique («les nostalgiques de la France coloniale», comme on dit à Alger), critiques des intellectuels algériens réfugiés en France, critiques de la presse et des médias français que ce pouvoir ne supporte pas. Alger veut étouffer la voix de ceux qui osent rappeler la faillite de ce système et de ce pays, pourtant indépendant depuis soixante-deux ans.
«Otage du régime d’Alger, Boualem Sansal avait le tort d’écrire en français, de publier en France et, injure suprême, d’avoir obtenu la nationalité française.»
En arrêtant Boualem Sansal, et en l’ incarcérant, Alger prend trois otages et envoie trois messages.
-Le premier otage est évidemment Boualem Sansal, qui avait le tort d’écrire en français, de publier en France et, injure suprême, d’avoir obtenu la nationalité française il y a quelques mois. Otage, il l’est en restant prisonnier, en attente d’un procès (quand viendra-t-il, tant le nombre d’Algériens en détention provisoire dans l’attente d’un jugement est élevé?). Otage, il ne peut évidemment s’exprimer, critiquer et voyager. Condamné à la prison, il est condamné au silence. L’interview donnée par Abdelmadjid Tebboune au journal français L’Opinion, le 3 février, souligne les contradictions profondes et l’incohérence du système: alors que, le 28 décembre 2024, le Président algérien employait, pour parler de Boualem Sansal, les mots «imposteur», «de père inconnu», «envoyé par la France», le qualifiant en somme de traître, dans cet entretien, il affirme naïvement que l’écrivain est évidemment algérien et que dans son cas, seul le droit algérien s’applique!
-Le deuxième otage, c’est le Président de la République française: otage de la relation franco-algérienne qu’il a lui-même créée en ignorant les «fondamentaux» de cette relation et en faisant fi du caractère irrationnel du «système» algérien. Le président Macron s’est cru plus fort que ses prédécesseurs et a naïvement pensé qu’il pourrait réussir là où Charles de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac, pour ne citer qu’eux, avaient échoué avec l’Algérie. Il pensait avoir son «Traité de l’Élysée», analogue à celui que le Général de Gaulle avait signé en 1963 avec le Chancelier Adenauer.
-Enfin, troisièmes otages : les intellectuels algériens, les «élites» algériennes sont aussi des otages, les troisièmes, de cette arrestation: avec l’arrestation d’un intellectuel comme Boualem Sansal, Alger envoie un message aux «élites» francophones et francophiles du pays. «Vous voyez, cela ne sert à rien de chercher et d’obtenir la nationalité française, en Algérie, vous êtes citoyens algériens et êtes sous notre loi, Paris ne peut rien pour vous».
Et maintenant? Il faudra bien sortir de cette impasse, de ce piège dans lequel le chef de l’État algérien s’est lui-même placé. La visite de Rachida Dati qui, évidemment, avait été autorisée par l’Élysée, et le voyage du Président du Sénat constituent une nouvelle étape qui ne va pas amener le gouvernement algérien à être plus clément vis-à-vis de Boualem Sansal. Mais le président Tebboune devra également sortir de ce piège, car l’Algérie est brouillée avec tous ses voisins au Sud comme à l’Ouest, avec l’Espagne comme avec la France et est fragile au plan intérieur. Les nombreuses arrestations, la presse muselée, le hashtag viral «Je suis mécontent» et les manifestations d’étudiants comme les arrestations de leurs meneurs à l’approche de l’anniversaire du Hirak sont les signes de la fragilité du pays. Et, chacun le sait, l’histoire en donne des exemples, quand les choses vont mal à l’intérieur, il faut toujours chercher un prétexte extérieur: ce prétexte, c’est la France et Boualem Sansal.
Xavier Driencourt Le 24/02/2025 à 11h00
Source : https://fr.le360.ma/monde/que-revele-laffaire-boualem-sansal_K3ZJO6PQLZCOPI3LREBNSZBJHU/
Juvénal de Lyon
L.B.S : LIBÉREZ BOUALEM SANSAL
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C’est ce que je dis depuis l’arrestation de Sansal, c’est une prise d’otage. Et l’Algérie n’agit pas autrement que le Hamas.