Critique du livre d’Alain Falento, « Frexit, tout va bien se passer »

 

J’ai lu le livre d’Alain Falento « Frexit, tout va bien se passer » aux éditions Résistance républicaine.

Le premier mérite de ce livre est d’exister, de poser la question que beaucoup se posent, d’ouvrir des pistes de réflexion. Bien au-delà, il apporte des réponses à coup de brillantes démonstrations.
Son second mérite est d’être un véritable livre, c’est-à-dire un ouvrage construit, érudit, où l’on apprend des mots nouveaux, même lorsqu’on lit beaucoup, même lorsqu’on lit souvent ; un livre avec des références culturelles qui habillent, réhaussent, une réflexion de fond d’une grande qualité.
Par exemple, page 113, l’image du noeud gordien sied parfaitement à l’abrogation désirée de l’ensemble du droit européen en un seul mouvement. Alain Falento sait trouver des images fortes pour donner du relief à son écrit. On ne s’ennuie pas, en lisant ce livre. Jamais.

C’est un ouvrage qui forge ainsi des concepts, comme celui de « xénocratie », bien trouvé, et qui utilise des images comme celle de la dinde de Noël que serait chaque Français (p. 115). Il se lit aisément.
Les forces politiques y sont analysées avec justesse : Alain Falento dispose à la fois d’un bagage théorique solide et d’un sens de l’observation redoutable.
La lecture est ainsi limpide et agréable, car l’auteur sait maintenir l’intérêt du lecteur et sa démonstration est souvent solide, forte en arguments.
J’y ai beaucoup appris, j’ai apprécié le regard décapant jeté sur les problématiques envisagées, par exemple quand l’auteur éreinte le groupe de Visegrad et dénonce ses motivations purement financières à la participation à l’Union européenne. J’y ai perdu des illusions !

Comme pour toute lecture, j’essaie de parcourir l’ouvrage sans avoir d’a priori, négatif ou positif. Dans le cas présent, il fallait que je mette de côté la sympathie immédiate que j’avais pour « Frexit, tout va bien se passer ».
On nous dit qu’Alain Falento est né en 1974. Alors, quand il aborde la question des origines de l’Union européenne, il parle d’une époque qu’il n’a pas vécue, et cela se ressent. Je suis assez surpris de cet élément car finalement, quand on le lit, on a l’impression qu’un auteur plus âgé a pris la plume.
Ainsi, à la page 14, il nous parle par exemple des « thuriféraires du communisme soviétique », qui s’est donc écroulé pendant son adolescence. Il n’est pas de leurs contemporains, il n’a pas connu la guerre froide, mais il a vu la chute de l’URSS.
On peut déceler encore un sentiment vaguement anti-germanique en parcourant l’ensemble de l’ouvrage, avec l’image d’une Europe entre les mains de l’Allemagne, sentiment anti-Allemand fréquent dans les générations les plus anciennes, celles qui ont connu la seconde guerre mondiale.
J’ai ainsi eu l’impression qu’Alain Falento (qui porte le prénom d’Alain Delon attribué à une époque où il commençait à être passé de mode) a été biberonné au patriotisme le plus traditionnel dès le plus jeune âge. A moins qu’il se soit au contraire rebellé contre son milieu, toujours est-il qu’on a le sentiment qu’il s’est beaucoup nourri du regard de ceux qui l’ont précédé.
Cependant, on ressent une proximité idéologique de l’auteur avec certains aspects du communisme, lorsqu’il préconise le contrôle des capitaux pour éviter la fuite du bourgeois, bourgeois patriote étan un oxymore à ses yeux. On ressent Alain Falento tiraillé entre cette gauche à l’ancienne et cette droite à l’ancienne dans le paysage politique. Et comme la droite et la gauche se complètent, comme nos deux cerveaux droit et gauche interagissent et ont chacun leur utilité, je trouve à titre personnel dans ce positionnement beaucoup de justesse.
On a l’impression que les sympathies d’Alain Falento vont ainsi plutôt à « Les Patriotes » de Philippot qu’à l’union des droites de « Reconquête » (p. 35 à 39).

Pour être plus concret, après 4 chapitres où le ton est donné – et il est mordant, percutant – à partir du chapitre 5, l’ouvrage m’a semblé commencer à avoir du ventre mou, plus précisément à partir de la page 45.
Pour signifier que l’Union européenne « vaut peanuts » sur la scène internationale, Alain Falento se fait l’écho d’un « Fuck the European Union » qu’aurait prononcé une certaine Victoria Nulland, alors secrétaire d’Etat américaine, dans une conversation privée interceptée par des services secrets.
Cela m’a semblé un peu mince que d’aller chercher ainsi un détail d’une conversation certes choquante, mais d’une personnalité politique loin d’être de premier plan et dont je n’avais d’ailleurs jamais entendu parler alors que je me tiens informé et réinformé au quotidien depuis longtemps.
Je n’ai pas le sentiment que cette anecdote soit restée dans les annales. L’auteur est friand d’anecdotes, ce qui donne de la couleur à son ouvrage mais rend la démonstration moins implacable.

Ensuite, dans le chapitre 5 encore, c’est à partir du paragraphe « la souveraineté européenne, un oxymore » que je me suis senti un peu abandonné, en tant que lecteur, dans une forme d’incompréhension.
Alain Falento nous assure qu’il n’y a pas d’intérêt européen car les intérêts nationaux s’y confronteraient sans accord, sans coopération possible.
Il procède plutôt par assertions péremptoires que par démonstration, par exemple lorsqu’il écrit page 47 que « chaque usine qui ferme en France, c’est une usine qui ouvre en Allemagne, en Pologne ou en Hongrie ».
Cela m’a surpris, surtout qu’il ne donne pas d’exemple. Il me semble plutôt que ce sont des usines qui ouvrent en Turquie, en Chine ou en Inde par exemple, quand on parle de délocalisations…

Sur le principe même d’une absence d’intérêt européen possible, je reste dubitatif. C’est une pétition de principe.
Si l’on raisonne de cette manière, en effet, on pourrait pareillement dire que les régions françaises se font concurrence mutuellement et que la France n’est donc pas une vraie nation.
Par exemple, pour les vacances d’été, la Cote d’Azur fait concurrence au Pays Basque, qui fait concurrence à Arcachon et la Rochelle, qui elle-même est en concurrence avec les Sables d’Olonne.
Ou bien Le Touquet fait concurrence à Pornic et à Royan et l’île de Ré.

On pourrait encore descendre au niveau d’un département et considérer qu’en votant tel taux de taxe foncière plutôt qu’un autre, telle commune fait concurrence à la commune voisine pour attirer de nouveaux habitants et que l’unité départementale est donc factice ; et en descendant au niveau d’une même commune, qu’en organisant une déviation poids lourds par telle rue plutôt que par telle autre, le maire de la commune choisit de dévaloriser telle rue plutôt qu’une autre et qu’ainsi, les habitants de la même commune se font concurrence les uns les autres car celui dont la maison est située le long de la déviation poids lourds la vendra moins cher que si elle était dans l’autre rue.
Bref, à raisonner ainsi, l’auteur m’a semblé nier la possibilité de vivre ensemble de façon générale, dès lors que les uns et les autres sont susceptibles d’être en concurrence dans la vie courante à tous les niveaux, sans que ça empêche de former une unité politique où ces clivages doivent et peuvent être dépassés.
Deux chefs d’entreprises concurrentes, par exemple, peuvent être des citoyens unis dans un combat politique tout en étant impitoyables entre eux d’un point de vue commercial. Bref, le propos m’a semblé ici excessif.

Il me semble que l’intérêt européen pourrait être défini a minima comme l’intérêt de développer un marché intérieur facilitant l’échanges de biens et services au sein de l’UE. Quant au développement de la « citoyenneté européenne », il facilite la libre installation dans un pays de l’UE. L’UE devrait avoir vocation à permettre aux Etats européens de peser dans la mondialisation en mettant en commun les intérêts nés de leur proximité géographique mutuelle qui crée des problématiques politiques et économiques communes. Il ne me semble pas aberrant, contrairement à l’auteur, qu’il puisse ainsi exister un intérêt européen découlant objectivement de cette situation.

Reste à savoir quelles valeurs on décide de mettre en commun, quelle vigueur on met à se défendre du reste du monde : l’Europe peut-elle être une forteresse ou, engoncée dans l’habit étouffant des droits de l’Homme, l’Europe se laissera-t-elle envahir et dominer au prétexte d’une non discrimination universelle ?

J’aurais aimé qu’Alain Falento nous démontre que le niveau européen devient un niveau politique ingérable, car de trop grande échelle. Or, je n’ai pas trouvé qu’il y soit parvenu.
Il aurait pu évoquer à ce sujet les difficultés que pose l’emploi de langues différentes dans l’UE, par exemple, ou les différences culturelles insurmontables qui existeraient entre nos Etats. Or, précisément, l’Europe offre un terreau de civilisation fertile qui, en soi, ne me paraît pas incompatible avec une possibilité de former une unité politique et économique forte. Il est regrettable qu’Alain Falento ait gommé totalement cet aspect : quel pessimisme, je trouve !

A partir de la page 52, au chapitre 6, Giscard d’Estaing est présenté comme un traître. Il est arrivé au pouvoir l’année de la naissance de l’auteur, qui n’a donc pas vécu de façon contemporaine ce qu’il décrit au sujet de son septennat.
Il est qualifié de traître pour avoir instauré la constitutionnalisation de la vie politique et accéléré le processus de participation à la Communauté européenne.
J’ai cependant regretté qu’Alain Falento ne développe pas davantage en quoi c’est une trahison.
Quel était le programme sur lequel VGE avait été élu ?
En quoi ses électeurs auraient-ils été bernés ?
Quelle responsabilité a la majorité populaire d’alors dans ce tournant politique ?
Quel intérêt avait VGE à trahir son peuple, le cas échéant ?

Finalement, j’en suis même arrivé à un désaccord avec l’auteur lorsqu’il évoque, page 55, un « empilement bancal de traditions juridiques incompatibles entre elles ».
Il a repris ici une idée couramment soutenue à propos de la cohabitation des systèmes anglo-saxons et du droit dit romano-germanique.
Sur ce point, le fait que l’auteur ne soit pas un juriste est perceptible. Il a convié ce lieu commun du discours anti-globalisation dans son ouvrage mal à propos.
Bien au contraire, les pays qui restent dans l’UE actuellement sont tous (sauf l’Irlande) issus d’une même tradition juridique, car ce sont des pays de droit romano-germanique, qui ont puisé dans le droit romain. L’autre grande famille de droits est formée des droits anglo-saxons, de « common law », mais précisément le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne et il n’y posait pas de problèmes particuliers…
Je tiens d’ailleurs à relativiser cette prétendue incompatibilité.
Les notions anglo-saxonnes ne coïncident pas parfaitement avec les nôtres, mais on finit par trouver des équivalents, des terrains d’entente.
Ainsi, nous avons reçu sous la forme de la fiducie et transposé encore d’autres façons ce que les Anglo-saxons appellent « trusts ».
Quant aux Britanniques vivant en France (il en reste encore beaucoup), ils ont trouvé l’équivalent du régime matrimonial communautaire français en bricolant des « tontines » déterrées de notre droit médiéval.
Entre Occidentaux, on finit toujours par s’entendre, sur le plan juridique !
Par contre, beaucoup de Britanniques ou Néerlandais vivant en France vivent entre eux car ils ne parlent pas notre langue, ou très mal, même après une longue installation dans notre pays.
Ils ont besoin de traducteurs dès qu’ils doivent faire des démarches administratives notamment. A l’épreuve de la vie quotidienne, c’est la langue qui empêche de faire véritablement nation ensemble.
Mais cela n’empêche pas d’entretenir de bonnes relations, ou du moins des relations normales…
Ces obstacles juridiques purement techniques ne sont pas insurmontables, car on n’est pas dans un conflit de civilisation, contrairement à ce qui nous oppose aux pays de charia.
Cela ne démontre pas qu’une Union européenne est juridiquement insoutenable.

Pour revenir à la trahison qu’aurait été la montée en puissance du Conseil constitutionnel, l’opinion d’Alain Falento m’a semblé en partie erronée.
Je trouve plus satisfaisant de vivre dans un Etat de droit reconnaissant des droits fondamentaux, que de vivre dans un Etat autoritaire où règne l’arbitraire des puissants.
J’y retrouve l’esprit de 1789, qui était lettre morte avant la mise en musique juridique de la Déclaration de 1789 par le Conseil constitutionnel.
Bien sûr le Conseil constitutionnel nous a trahis depuis, ou plus exactement certains des membres qui le composent actuellement, mais à partir de la réforme de VGE de 1974, la Déclaration de 1789 est entrée dans l’arsenal juridique, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Il aurait été intéressant que l’auteur développe comment le Conseil constitutionnel a donné vie à la Déclaration de 1789. Tout n’est pas à jeter dans ce qu’a fait le Conseil constitutionnel.
La judiciarisation des droits de l’Homme a aussi permis aux opprimés de regagner de la dignité, et le combat n’est pas fini. Elle a permis des progrès sociaux et sociétaux qu’on ne peut nier.
En effet, il ne faut pas confondre la promotion des droits de l’Homme et le dévoiement des droits de l’Homme, comme l’indique d’ailleurs clairement l’auteur au chapitre 8 (p. 73).

Le discours un peu trop réactionnaire du chapitre 6 m’a inquiété. On le retrouve au chapitre 8 au sujet de la CEDH, où la GPA et les djihadistes sont évoqués dans un même mouvement, comme si on pouvait mettre la GPA au même niveau en termes de dangerosité (même si la gestation pour autrui me répugne aussi).
On ne peut nier non plus qu’au niveau européen, la CEDH (cour européenne des droits de l’Homme) a parfois eu des solutions salutaires.
Par exemple, elle a imposé au droit français d’établir l’égalité successorale entre les enfants autrefois appelés « légitimes » et les enfants autrefois appelés « naturels » ou « adultérins ».
C’était en 2001.
Il y a encore 25 ans, on considérait qu’un enfant n’était pas légitime parce qu’il n’était pas né pendant le mariage.
Rien que ce mot « légitime » est horrible. Vous étiez censé naître avec une souillure parce que vos parents n’étaient pas mariés, être « naturels » comme des petits issus d’un animal et non d’un être humain.
Je ne regrette en rien que ces mentalités surannées, qui correspondaient à des discriminations financières, périssent avec le progrès des droits de l’Homme.
Cependant, je suis d’accord sur le fait qu’aujourd’hui, il devient urgent de se libérer de certaines jurisprudences de la CEDH et donc qu’il faut s’en retirer ou la modifier (p. 75).

A partir du chapitre 7, Alain Falento évoque « les conditions d’une sortie réussie » de l’Union européenne. Il explique comment les instruments juridiques verrouillent la sortie de l’Union européenne. Il y voit de la perversité.
Il est vrai que les conditions de majorité qualifiée exigées ne permettent pas de sortir de l’Union européenne facilement.
Cependant, là encore, je renouvelle ma critique portant sur l’absence de démonstration de la trahison des processus démocratiques.
Qui plus est, il n’est pas assez question du Parlement européen et des défaillances qu’il y aurait à cet égard quant à la représentation de la volonté populaire. Ces « angles morts » de la réflexion la rendent moins crédible.

Si l’on met de côté le coup de force de Sarkozy avec le traité de Lisbonne et la « Constitution européenne », que j’ai vécu comme l’auteur de façon contemporaine, je n’ai pas vu la démonstration de ce que les programmes politiques des élus de l’époque auraient été trahis, non respectés, donc que le peuple n’aurait pas consenti à chaque étape du processus.
Peut-être que parmi les électeurs, beaucoup avaient sous-estimé les conséquences de leurs choix ;, mais est-il juste d’en faire porter la responsabilité aux politiques qui ont porté ces choix, qui eux aussi, peut-être, de bonne foi, y ont cru, ont cru que c’était un progrès ? Notre peuple doit assumer ses responsabilités.

Si on raisonne par exemple par comparaison avec les indépendantismes régionaux, force est de constater que les indépendantistes régionaux auraient une plus grande légitimité à mettre en doute la cohésion de la France comme Etat.
Les différentes provinces sont devenues France par la force des conquêtes, des guerres, des affrontements des différents Rois, des différents Etats. Le consentement populaire n’a pas toujours joué un grand rôle dans ce processus et en tout état de cause, ce consentement commence à être vieux…
Nous pourrions être la France sans l’Alsace et la Lorraine, sans le comté de Nice, sans la Bretagne, la Corse ou le Pays Basque… Nous ne le sommes que par le fruit du hasard finalement, des résultats de guerres datant parfois du siècle dernier.
Aujourd’hui, il est plus difficile par exemple à des indépendantistes bretons d’obtenir la sortie de la Bretagne de la France que pour la France de sortir de l’Union européenne.
Il leur faudrait obtenir une réécriture de la Constitution qui prévoit l’indivisibilité du territoire français, aux mêmes conditions de majorité que celles requises pour abolir la participation de la France à l’UE. Ils peuvent être à peu près sûr de ne jamais l’avoir…
Pourtant, les personnes qui ont décidé que la Bretagne serait française sont mortes il y a bien plus longtemps que ceux qui ont décidé que la France serait membre de l’UE lors du traité de Maastricht, encore vivants pour une grande partie d’entre eux, ayant consenti de leur vivant à ce qui se produit sous leurs yeux.

Objectivement, je trouve normal que lorsqu’on s’engage dans la construction d’un édifice, on s’assure que ses fondations soient solides.
De même que la Constitution verrouille fortement la possibilité pour des indépendantistes régionaux de faire éclater la France en provinces morcelées, de même au fur et à mesure de la solidification de l’Union européenne (d’abord Communauté européenne), les fondements juridiques ont été affermis, les fondations ont été renforcées pour éviter que l’édifice ne s’écroule sur un coup de tête.

On peut à ce jour le déplorer mais Alain Falento ne nous a pas démontré que le peuple français a été contraint et forcé à chaque étape du processus.
D’ailleurs, si je me replonge dans les années 2006/2007 où l’on débattait de l’adhésion de la Turquie à l’UE ainsi que d’une Constitution européenne, en toute honnêteté, le débat sur le second point était symbolique. C’était l’utilisation du terme « Constitution » et la possibilité juridique qu’une Constitution soit supranationale qui était en cause. On peut avoir le sentiment que Sarkozy nous a trompés, mais en réalité le traité de Lisbonne n’a pas remplacé la Constitution française et finalement, il n’y a pas eu de Constitution européenne ainsi que le peuple l’avait décidé.
Sur le plan des symboles et de la hiérarchie des normes, nous avons conservé notre Constitution qui, bien souvent, conserve une utilité juridique.

En effet, n’allons pas dire que le droit européen remplace la Constitution dans tous les domaines. C’est faux.
Un seul exemple : la procédure du 49-3 a son siège dans la Constitution française, et dans elle seule.
Si vraiment la Constitution était lettre morte, on ne se scandaliserait pas autant de l’utilisation qui a été faite parfois de cet article « couperet »…
La laïcité à la française (certes souvent piétinée dans les faits, mais rarement en invoquant un texte du droit européen), l’indivisibilité du territoire, l’usage de la langue française comme langue de la République, s’imposent encore comme des exigences ayant leur siège dans la Constitution…

Quand un maire signe un bail emphytéotique à 1 euro pour construire une mosquée, il n’a pas besoin de l’Union européenne. Et quand le Conseil d’Etat vous assure qu’il respecte ainsi la loi de 1905, il n’a pas non plus besoin, dans sa décision, d’invoquer le droit européen. CQFD.

S‘agissant du verrou de fait qu’opposeraient de hauts fonctionnaires à la sortie de l’UE, qu’évoque Alain Falento à partir de la page 65, au chapitre 7, il est regrettable qu’il ne donne pas d’exemples, voire une liste, des 100 hauts fonctionnaires censés diriger effectivement la France.
Je ne vois pas ce qui empêcherait un ministre de limoger une partie de cette caste, si ce ministre fait partie d’un gouvernement de patriotes.
Si les ministres passent et ne durent pas, sont considérés comme « des fâcheux de passage », c’est parce qu’ils sont balayés par des tempêtes politiques.
Dans un Etat de droit, précisément, un gouvernement qui obtient la satisfaction populaire peut gouverner plusieurs années et débarquer les administrateurs abusant de leur position.
La grande liberté du recrutement « au tour extérieur » permet ensuite de placer à peu près n’importe qui à la tête d’une administration.
Je suis donc resté dubitatif sur ce point.

En revanche, j’ai apprécié le passage consacré à la justice et le rappel de l’existence, dans l’ordonnance de 1958, de moyens juridiques de sanctionner un juge qui n’en fait qu’à sa tête et a une conception dévoyée de l’indépendance de la justice.
Bien sûr, mes réflexions se veulent complémentaires et ne portent que sur des détails d’un ouvrage qui, dans sa globalité, est d’une excellente facture.
Certains développements relèvent même à mon sens d’une forme de génie de la part d’Alain Falento, par exemple lorsqu’il aborde la position des Etats-Unis qui consiste à ne se lier par aucun traité international contraignant dans le domaine des droits de l’Homme (p. 78) et préconise que la France fasse pareil pour clouer le bec à ceux qui gémiront le moment venu…
C’est un ouvrage passionnant aussi lorsqu’il compare le Brexit avec le « Frextrip » qu’il appelle de ses voeux.

C’est effectivement à partir du chapitre 9 que le livre d’Alain Falento reprend du souffle. On sent chez lui le stratège, l’expert en finances aussi.
Car si je pointais certaines lacunes de l’ouvrage (à mon avis) sur des aspects juridiques ou de réflexion politique, le pragmatisme et la stratégie sont ses points forts.
Sa capacité à anticiper l’intimidation que nous subirons, à estimer notre force de négociation et à exprimer la nécessité d’agir rapidement mais dans le respect du droit international convainc entièrement.
C’est un ouvrage très bien documenté, par exemple lorsqu’il cite un enseignant de Sciences po pris en flagrant délit de nous inviter à verser des larmes sur un terroriste djihadiste…

L’ouvrage se fait véritablement magistral à partir du chapitre 10, où l’on en prend « plein les yeux » de vérités dispensées par un auteur de génie, d’une lucidité cruelle.
A l’issue de sa lecture, je ne suis pourtant pas encore totalement convaincu.
Mon manque de culture économique a sans doute joué dans l’incapacité que j’ai eue de réellement mesurer la portée de l’utilité de sortir de l’euro.
Je reste persuadé que l’idée d’Europe est bonne et qu’il peut exister un « intérêt européen » à condition que des patriotes gouvernent l’Europe.
Peut-être est-ce une question de génération, puisque j’appartiens à celle, qu’évoque spécialement Alain Falento, qui a toujours connu la France dans l’Union européenne.
Je crois qu’il procède trop par isolationnisme et conserve de la France une vision quelque peu idyllique qui sous-estime la gangrène intérieure.

L’UE est gangrénée, certes, mais la France l’est tout autant.
Le Parlement européen est critiqué, certes, mais le Parlement français est désormais encore pire.
Deux mots sont consacrés à Thomas Thévenous atteint de « phobie administrative » : mais que dire de tous ces autres députés qui, depuis la Macronie spécialement, se sont signalés défavorablement…
Il y a peut-être des alcooliques au Parlement européen, mais chez nous les drogués ont leur place à l’Assemblée.

Le poids de l’UE est surestimé dans la réalité du débat politique. Nous restons encore très franco-français à concevoir les clivages politiques comme des affrontements intérieurs.
Quand l’ensemble du spectre politique s’oppose, comme un seul homme, au nom du « front républicain », au Rassemblement national, on ne parle pas de l’UE…
L’UE ne suscite pas de passion politique, sinon Florian Philippot dépasserait le 0 et des poussières % qu’il réalise à chaque élection.
La France ne pourra jamais être isolée comme aux temps jadis. L’auteur lui-même conditionne le retour de la France sur la scène politique à sa réindustrialisation massive et concède qu’elle mettra un temps fou.
Or, les Françaises ne veulent plus être des mères de familles nombreuses. A moins d’interdire le préservatif, on n’aura jamais les bras nécessaires à réindustrialiser sans immigration.
Le métier d’ouvrier est vécu comme une punition par une grande partie du peuple, un métier réservé à ceux qui ne travaillent pas bien à l’école. Les mentalités ne changeront pas du jour au lendemain.
L’Union européenne a certes des défauts, mais il est exagéré de lui imputer tous les maux qui sont les nôtres.
Les Français ont voulu la situation dans laquelle ils sont. Ils ont vécu égoïstement en pensant d’abord à leur génération, quitte à endetter les suivantes.
Quand on parle d’envahissement, d’invasion, on voit bien que très peu de Français se sont opposés dans la rue à l’islamisme galopant, alors qu’ils étaient des millions à protester contre la réforme des retraites ou le mariage des couples de même sexe.
Ce n’est pas l’Union européenne qui les a empêchés d’aller aux manifestations !
Cet ouvrage part du principe que les Français seraient comme un seul homme d’accord pour un changement politique majeur vers plus de nationalisme. On en est loin.

Sortir de l’UE ne résoudra donc pas le problème.
Si vraiment les Français tournaient casaque et devenaient de vrais patriotes, il y a fort à parier que les autres pays européens seraient aussi dans ce cas car la France est à un état avancé de la globalisation, qui est aussi idéologique.
Les courants de pensée politique ne s’arrêtent pas à la frontière. La montée de l’AFD en Allemagne, pays tant vilipendé dans cet ouvrage, en est un signe.
Si le vent tourne, on pourra encore penser à construire une Forteresse européenne.
En attendant, tant qu’on n’aura pas apuré notre situation interne, la sortie de l’UE ne pourra qu’être un danger car la France sera un village isolé sur la planète.
Pour un peu que sur un coup de tête électoral, après la sortie de l’UE, les Français mettent LFI à la tête de toutes les institutions, nous basculerons à vitesse accélérée dans la pauvreté et l’islamisme généralisés tout en criant « cocorico, nous avons fait le Frexit ! ». Ils sont capables de voter à 80% pour Mélenchon dès qu’ils verront les complications et intimidations arriver.
Avant de s’en prendre à l’UE, ne sous-estimons pas la capacité des Français à se nuire à eux-mêmes, et la nullité d’une bonne partie d’entre eux !

Merci en tout cas à Alain Falento grâce à qui j’ai passé de bons moments de lecture et appris beaucoup, tout en ayant une conclusion différente de la sienne. Ce livre mérite d’être lu.

 

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6 Commentaires

  1. C’était comment en 1970 ? 1980 ? Chaque nation avec sa propre monnaie et c’était beaucoup mieux !! Ils ont inventé l’euro TUEUR, on peut le défaire et revenir à ce qui nous a tous enchanté, les nations indépendantes !!!

  2. Merci pour ce travail très intéressant.
    Une petite remarque ; Alors que vous regrettez l’absence récurrente d’arguments sourcés il vous arrive à plusieurs reprises de critiquer l’auteur sur le seul fait qu’il soit né en 1974 et qu’il na pas connu l’époque dont il parle.
    Je trouve l’argument un peu (beaucoup ;o) léger.

    • Ce n’est pas une critique mais une réflexion. On ne parle pas de la même façon d’une époque qu’on a connue et d’une époque qu’on nous a racontée.

  3. Effectivement tout va bien se passer. Rester dans la communauté européenne c’est la misère à petit feu et sortir seul de la communauté européenne c’est la misère accélérée.