Al Bouraq, une bourrique volante pour le Prophète ! D’où vient-elle  ? Et pourquoi ?

Al-Bouraq : équidé pourvu d’ailes, plus grand qu’un âne, plus petit qu’une mule, à tête de femme, à queue de paon. Le mot est de la même famille que le mot arabe qui signifie « éclair ». Malgré le rôle de premier plan accordé à cette monture dans l’imaginaire et la mystique musulmanes, elle n’est jamais mentionnée dans le Coran. En revanche, une foule de détails sur « le Voyage nocturne» (al-isra) et  « l’Ascension céleste » (al miraj) de Mahomet, à dos de Bouraq sont transmis dans l’exégèse et dans les hadiths. Ce récit miraculeux, si  important dans la Tradition, ne s’appuie que sur la sourate 17, verset 1. Il est célébré le 27 du mois de « rajab » dans le calendrier musulman.

Le récit de la Tradition

Selon un grand nombre de hadiths repris par la Sira (« biographie ») du Prophète [1], en 620, Mahomet vivait encore à La Mecque. Une nuit, l’archange Gabriel vint le réveiller. Il le fit monter sur Al-Bouraq,  qui l’attendait auprès du Temple sacré, la Kaaba. En un éclair, le Prophète et sa monture atteignirent « la mosquée la plus lointaine » (« Masjid al aqsâ »). Là, se trouvaient réunis tous les prophètes qui avaient précédé Mahomet ; c’est lui qui dirigea la prière collective. Ensuite l’ange fit arrêter Mahomet en plusieurs lieux pour y prier, dont le mont Sinaï. Puis Muhammad gravit les 7 cieux, salué dans chaque ciel par les anges. Il rencontra à chaque étape un prophète différent : Noé, Abraham, Moïse, Jésus… Lorsqu’il parvint au 7e ciel, le Prophète continua seul son voyage jusqu’au « Lotus de la limite ». Là, il put contempler des signes de Dieu. Puis, il eut un entretien avec Allah qui lui donna l’ordre de prier, lui et sa communauté, 50 fois par jour. Il retournait sur ses pas, quand Moïse lui conseilla de revenir négocier auprès d’Allah une diminution du nombre de prières quotidiennes car les fidèles seraient incapables de se conformer à la volonté divine en accomplissant 50 prières par jour. Après plusieurs aller-retour d’un véritable marchandage entre Mahomet et Allah, ce dernier accepta de réduire son exigence à 5 prières par jour. On remit alors à Mahomet la Fatiha, prière principale à répéter 5 fois par jour, qui était jusque-là cachée sous le trône de Dieu. Sur le chemin du retour, le Prophète put voir, à travers leurs portes, l’Enfer et le Paradis.

Examen de l’unique verset du Coran qui fonde ce récit

Ce verset se trouve au début de la sourate 17, aujourd’hui dénommée « Al-isra » : « Le Voyage nocturne » , or rien n’est explicite dans ce texte.

« Gloire et Pureté à Celui qui de nuit, fit voyager Son serviteur, de la Mosquée Al-Haram à la Mosquée Al-Aqsa dont Nous avons béni l’alentour, afin de lui faire voir certaines de Nos merveilles. C’est Lui, vraiment, qui est l’Audient, le Clairvoyant. » (17, 1).

  •  La sourate 17 : était anciennement dénommée non pas « Al-isra » : « Le Voyage nocturne » mais « les Fils d’Israël » (« Bani isra’il »[2]).
  • Son serviteur : on ne sait si le mot est au singulier ou au pluriel «  Ses serviteurs » (= »les Fils d’Israël « ?). En ce cas, le verset ne désignerait pas Mahomet mais Moïse qui fit voyager «les Fils d’Israël »[3]. D’autres hypothèses proposent Jacob-Israël qui monta au ciel par une échelle[4] ou Abraham.[5]
  • la Mosquée Al-Haram: le « Temple sacré » serait la Kaaba. 
  • l a Mosquée Al-Aqsa : cette formulation est  un hapax, traduit ordinairement par «la Mosquée la plus lointaine», elle ne correspond à aucun lieu nommé dans le Coran. Mohammed n’a jamais pu venir à la mosquée nommée actuellement «  Al-Aqsa », qui fut achevée en 711, puisqu’elle n’existait pas de son vivant supposé. La « Mosquée  la plus lointaine » pourrait- être  la Kaaba céleste,  l’islam prétendant que ce temple  fut, au ciel,  le modèle de la Kaaba terrestre ?[6]

Enfin la sourate 17, elle-même, contient la preuve que le verset 1 ne peut évoquer une ascension de Mahomet au ciel. En effet, un peu plus loin, on lit que les détracteurs du Prophète l’ont mis au défi de prouver sa nature prophétique par quelque miracle comme, par exemple, en montant au ciel. Mahomet leur répond : « Gloire à mon Seigneur ! Ne suis-je pas qu’un être humain-Messager ? » (17, 93). Allah fait dire, de la bouche même de Mahomet, qu’en tant que simple mortel il lui serait impossible de monter au ciel.

Le « Voyage nocturne » de Mahomet n’a donc aucun fondement coranique, il s’agit d’une fabrication ultérieure au moyen des hadiths et des exégèses qui foisonnent, par centaines, de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’ils sont éloignés dans le temps de l’évènement dont ils prétendent livrer les détails[7].

Antécédents et plagiats avérés

L’islam n’innove guère, en général, et cette tendance est particulièrement nette à propos du Voyage nocturne et du Bouraq. L’immense majorité des musulmans qui ajoutent foi à tout cela, ignorent que ce récit réduplique, sans la moindre originalité, les  récits d’ascensions prodigieuses qui l’ont précédé…

Dans les Textes des pyramides, qui constituent le corpus religieux le plus ancien découvert à ce jour en Égypte, il y a plusieurs mentions  des ascensions des pharaons vers le ciel afin de prendre place parmi les étoiles et les dieux.[8]

Dans la Bible, Hénok, (Idriss chez les musulmans), vécut en tout 365 ans puis « ayant suivi les voies du Dieu, il disparut car Dieu l’avait enlevé. »(Genèse 5, 23-34). Élie (Ilya ou Iliasse en arabe) fut emporté au ciel sur un char de feu (livre des Rois 2, 1-5)). Jacob (Ya’cob pour les musulmans) rejoignit les cieux en rêve sur une échelle. Les ascensions de Jésus et de la Vierge sont connues.

Mithra, dieu indo-iranien vénéré par les peuples de langue perse, puis, plus tard, dans l’empire romain -notamment dans tous les « Saint-Mitre » de France- monta au ciel dans un char tiré par des chevaux.( Son premier culte pourrait remonter au VIIe siècle avant notre ère).

Icare, fils de Dédale dans la mythologie grecque, grisé par la puissance des ailes que son père avait fabriquées, a volé jusqu’au soleil avant de chuter dans la mer Egée.

Persée puis Bellérophon ont monté Pégase, le coursier ailé porteur des éclairs et du tonnerre de Zeus. Ce dernier trait, particulièrement, est à rapprocher du Bouraq, lui aussi comparé à l’éclair.[9]

Médaillon central restauré de la mosaïque de Bellérophon, IIe siècle ap. J.C., découverte à Autun en 1830, musée Rolin.

Plagiats dans le récit

Reminiscence du Zoroastrisme [10]

LE VOYAGE NOCTURNE D’ARTA VIRAFLE +VOYAGE NOCTURNE DE MAHOMET
Emmené en voyageEmmené en voyage
Traverse les cieux porté par un ange nommé SaroshTraverse les 7 cieux à dos de Bouraq
Accueilli par des créatures célestesAccueilli par des créatures célestes
Rencontre des personnages saintsRencontre des personnages saints
Rencontre Ahura MazdaRencontre Allah
Voit l’enferVoit l’enfer
Il est donné l’ordre à ses disciples de prier 5 fois par jourIl est donné l’ordre à ses disciples de prier 5 fois par jour

 

Similitude avec un récit post-biblique, « l’ Apocalypse d’Abraham »

On a relevé que « la trame du récit de l’Ascension de Mahomet est construite à partir d’emprunts fais à un pseudépigraphe juif du Ier ou IIe siècle juif l’Apocalypse d’Abraham[11]. » Il s’agit d’un récit légendaire se réclamant de la Bible : Abraham est conduit par l’ange Jaoel au mont Sinaï, puis enlevé sur un char ; il voit alors le trône de Dieu, les différents cieux et l’avenir des peuples. Abraham redescend ensuite sur terre où il continue ses échanges avec Dieu.

Plagiat dans l’iconographie

Taureau ailé androcéphale assyrien, VIIIe siècle avant J.C. (Musée du Louvre, Paris)

Représentation du Bouraq

 

Le Bouraq comparé aux autres chimères : un ratage esthétique !

Composer une chimère à partir du corps animal et du corps humain est une gageure pour un artiste . Il se heurte au défi de l’art tel qu’il se définit dans la racine latine ars, artis qui signifie l’adaptation parfaite de différents éléments entre eux pour produire l’harmonie. L’art des civilisations qui ont précédé l’islam en offre de nombreux exemples, dont la réussite formelle a fait perdurer les images car leur fiction réussie donne l’illusion de la vie…

Horus à tête de faucon et Anubis à tête de chacal, dieux entourant le pharaon (Ramsès ? 1300 avant J.C. )

 

Œdipe et le Sphinx céramique grecque (Ve , IV e siècle avant J.C. )

 

Centaure de la Villa d’Hadrien, entre Ier et IIe siècle (Musée du Capitole, Rome)

Tête de méduse, Le Caravage, 1598 (Galerie des offices, Florence)

 

La statue de la Petite Sirène à l’entrée du port de Copenhague par Edvard Eriksen, 1913 (Danemark).

En comparaison, le Bouraq, avec sa tête de femme hâtivement collée sur un corps d’équidé et ses ailes trop chétives pour soulever son poids (d’ailleurs les dessinateurs ont du mal à les caser quand ils représentent Mahomet montant sur son dos)… fait vraiment piètre figure.

 

La tentation de l’exégèse au deuxième degré

L’opinion la plus répandue est que le Voyage nocturne s’est produit physiquement et à l’état de veille. Cependant quelques philosophes, quelques ésotéristes, quelques auteurs de hadiths dont la foi n’a pas complètement éteint la faculté de raisonnement, ont opté pour une interprétation uniquement spirituelle du Voyage de Mahomet vers l’extase. Aujourd’hui, un défenseur de la foi musulmane peut admettre les arguments qui démontrent l’impossibilité du miracle, tout en persistant à voir dans le récit « une extraordinaire réalisation spirituelle » (sic)[12]. Cette tendance est forte chez les intellectuels musulmans «coranistes» qui, pour sauver le Coran, réfutent la tradition islamique, position acrobatique invitant à « mieux distinguer la part relevant du Coran et de celle qui est propre à l’islam ».[13]

On pourrait s’attendre à ce que tous les soufis aient été adeptes d’une telle interprétation mystique. Or « de Qushayri à Ibn Ata Allah, en passant par Ibn Arabi, ils considèrent que le Prophète a effectué ce déplacement à la fois par l’esprit et par le corps, et que les saints musulmans, en tant qu’héritiers des prophètes l’accomplissent uniquement en esprit »[14].

Les fonctions de ce mythe

  • Satisfaire le besoin de merveilleux, très puissant dans la culture orientale, en ajoutant un miracle à la vie de Mahomet qui en est dépourvue.
  • Asseoir la prééminence de Mahomet sur tous autres prophètes, dans une surenchère incessante par rapport aux autres religions.
  • Valoriser l’habileté de Mahomet dans le marchandage, qualité importante dans la culture orientale. Non seulement il parle à Allah mais il négocie victorieusement avec lui en faveur de sa communauté.
  • Renforcer la validité du rituel, en faisant percevoir l’obligation des 5 prières quotidiennes, déjà contraignante, comme un allègement par rapport à la cinquantaine prévue initialement (Allah n’avait donc pas prévu le marchandage ?).
  • Placer Jérusalem au cœur de la géographie sacrée de l’islam afin de s’approprier lieu le plus sacré du judaïsme et du christianisme. Un soupçon de manipulation politique pèse sur les califes qui avaient intérêt à sacraliser la mosquée de Jérusalem aux yeux des croyants. Cela fonctionne parfaitement aujourd’hui encore, car ils ont attribué à la mosquée, construite des décennies après la mort du Prophète,  le nom de celle où il aurait prêché avant de monter au ciel, si bien que les foules musulmanes sont convaincues que c’est la même et n’ont que « la défense de la mosquée Al-Aqsa » à la bouche. La fonction polémique de ce mythe se trouve puissamment réactivée dans le cadre du conflit judéo-arabe.

En conclusion, si aucun corpus religieux n’est exempt de recyclage d’éléments antérieurs, le récit du Voyage nocturne de Mahomet sur son Bouraq, offre un exemple de la façon dont l’islam réutilise ses sources. En effet, à l’instar d’autres mythes, il attribue une ascension miraculeuse à son prophète, en prétendant se fonder sur un verset qui n’a rien à y voir ; quant au Bouraq, il n’est que le pâle reflet de fictions millénaires. Ce « bricolage », non exempt d’intentions politiques, s’est fait de manière très rapide et relativement bâclée. Son imagerie naïve a conféré à l’épisode la séduction d’un conte pour enfants, assurant pour longtemps son succès populaire. Les tentatives de rattrapage pour lui donner davantage de dignité intellectuelle s’avèrent vaines, dans la mesure où la réalité physique de cet envol du Prophète est revendiquée par les oulémas et autres autorités religieuses, sunnites, chiites,  soufies. Elle fait  donc toujours partie intégrante du dogme islamique, souvent puéril mais intangible pour tous les croyants.

 

[1] Ibn ISHAQ en 767.

[2] Sami ALDEEB, « Le voyage nocturne et la légende du « Bouraq » », in Savoir ou se faire avoir, Centre de droit arabe et musulman, 28 septembre 2019.  https://www.sami-aldeeb.com/le-voyage-nocturne-et-la-legende-du-bouraq/

[3]  Ibid.

[4] Ibid.

[5] Al AJAMI « Le Voyage nocturne et l’ascension céleste du prophète Muhammad, al-isrâ wa al mi’raj mystique ou mirage exégétique ? S. 17, v. 1 » in Que dit vraiment le Coran https://www.alajami.fr/2021/05/20/le-voyage-nocturne-et-lascension-celeste-du-prophete-muhammad-al-isra-wa-al-miraj-miraj-mystique-ou-mirage-exegetique-s17-v1

[6] Idée  empruntée aux juifs et aux chrétiens, celle d’une « cité céleste » dont la ville sainte terrestre n’est qu’une réplique.

[7] Al-AJAMI, op. cit.

[8] Sami ALDEEB, op. cit., citant Claude CARRIER, Textes des Pyramides de l’Égypte ancienne, Tome III, Cybèle, Paris, 2009-2010 p. 1405.

[9] Ibid.

[10] Zoroastre ou Zarathoustra, prophète iranien très ancien (peut-être XVe– XIe siècles av. J.-C.).

[11] Al-AJAMI, op. cit.

[12] Al-AJAMI, op. cit.

[13] Ibid.

[14] Eric GEOFFROY, « Ascension céleste », in Dictionnaire du Coran sous la direction de Mohammad Ali AMIR-MOEZZI, Robert Laffont, Paris, 2007, p. 98.

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15 Commentaires

  1. Vite une circulaire de cet article dans les mosquées. Pour votre bonne parole. Ouvrir les yeux sur le fatras et le verbiage du Koran

  2. BONNE ANNEE CHERE AGATHE – un feu d’artifice pour la nouvelle année – encore un texte à garder comme un trésor. MERCI AGATHE. Je savais au niveau de l’impossibilité du voyage à cause de la construction tardive de la mosquée d’arrivée mais je n’avais pas toutes les clés. MERCI AGATHE

  3. Il paraît que Mahomet avait eu des relations sexuelles avec son bidet. D’où la célèbre chanson : À dada sur mon bidet. Pédophile, puis zoophile, ce saint homme était rempli de toutes les qualités possibles. La pierre à partir de laquelle Mahomet s’élança vers le ciel est sous le dôme de la grande mosquée à Jérusalem. Il y a beaucoup de pierres dans l’histoire de cette religion. Peut-être pour cela qu’ils se torchent le croupion avec…

    • Merci, Argo. Parfaitement juste pour la pierre avec la trace de pied sous le dôme du Rocher. J’ai vainement cherché la photo, puis j’ai renoncé à mentionner ce détail, mais j’aurais dû le faire.

  4. J’admire toujours autant votre travail acharné, Agathe, ainsi que les recherches que vous faites pour l’iconographie. En effet les voyages sur des équidés volants ne manquent pas, dans les religions comme dans les légendes comme dans « le voleur de Bagdad », mais la question est: pourquoi une bourrique à tête de femme ? Peut-être parce que pour l’islam la femme n’est qu’une bourrique pour être montée et qui emmène les hommes au septième ciel. Bonne journée.